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Photo du rédacteurErwan Hernot

Pratiques managériales post-covid : qu’est-ce qu’on gardera ?


Face au grand chamboulement, la vaccination laisse entrevoir un monde d'après covid. Sera-t-il forcément différent pour les managers ? Plusieurs tendances managériales ont en effet émergé. Lesquelles résisteront à la fin de la pandémie ? Ce papier argumente sans complaisance sur 6 d’entre elles.

La proposition. « Les choses vont changer, car nous avons découvert de nouveaux modes de travail et de fonctionnement. La crise a été un accélérateur de tendances. Pour le télétravail, nous adapterons l’organisation selon les fonctions, les cas personnels, les pays. La réflexion sera mondiale. On ne travaillera plus après comme on travaillait avant. » (1)


Est-ce possible ? Oui, même si nous sommes encore dans un télétravail de crise et que la pérennité de la démarche reste à assurer notamment pour les PME (https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/covid-une-nouvelle-fracture-se-creuse-entre-les-entreprises-sur-le-teletravail-1305025 ). Mais pourquoi le télétravail a-t-il eu tant de mal à se développer avant la COVID-19 ? Les jugements sur les pratiques habituelles étaient pourtant sans appel. Par exemple, les réunions en face à face : trop nombreuses, souvent inutiles, ordre du jour flou, etc. Comment alors expliquer que les entreprises obligeaient les managers à se déplacer, parfois de très loin, pour participer à de tels exercices ? C’est que le présentiel remplit quelques fonctions :

  1. Vertus du contact physique dans la construction de la confiance entre collègues, de l'échange d'idées, de l'entraide, …

  2. Possibilité de contrôle en continu qui rassure les managers

  3. Pilotage en continu qui rassure également (les corrections de trajectoire, dans le couloir, au débotté d'une courte conversation)

  4. C'est en présentiel que la symbolique du pouvoir, et du statut s’expriment le mieux. Par exemple, se déplacer en avion de la France vers les États-Unis pour une réunion, c'est probablement inutile mais ça dit beaucoup sur le statut du participant.

Le distantiel a maintenant fait ses preuves : les salariés (surprise ! ;) travaillent quand ils sont chez eux ou dans un tiers lieu. La réduction des temps de transport et de la fatigue associée se reportent dans le travail. Le contexte de la crise a montré le potentiel d’économies sur les espaces de travail et sur les frais de déplacement lointains. La réflexion déjà engagée sur ces espaces vise à faire du bureau un endroit complémentaire de la maison, dédié aux rencontres. La pérennité probable des changements observés va toutefois dépendre 1. d’une connexion haut débit et d’une possibilité de travailler dans le calme chez soi, 2. de la capacité des dirigeants à modifier leur représentation du travail avec une révision des compétences, du style de leadership, de l’organisation du travail à la lumière du nouveau contexte.

La proposition. Le management à distance a bouleversé la relation dirigeants-salariés. En gestion de crise, les dirigeants ont incité à l’autonomie. Il n'y aura pas de retour en arrière ; c’est un développement de la confiance durablement accordée aux salariés. (2)


Est-ce possible ? Probablement pas à court terme. Les dirigeants et les managers ont, pour beaucoup (il y a peut être un effet générationnel), une représentation du travail, qui date du siècle passé :

  1. On travaille plus par territoire que par valeur ajoutée. Le statut et le territoire sont donc importants à défendre. Par exemple, la collaboration nécessite des attitudes adaptées : respect systématique pour les contributions des collègues, ouverture à l’expérimentation de leurs idées et prise en compte de la façon dont ses propres actions pourraient affecter le travail des autres. Hors silo, ces attitudes sont rares. Dans les grandes entreprises, la plupart des acteurs se méfient des autres et restent centrés sur leur propre statut.

  2. La confiance n'est pas dans la culture des élites (qu'elles soient politiques ou économiques). Les transformations liées à la financiarisation, à la concentration sur le cœur de métier (3) et à la multiplication des sous-traitances, d’une façon plus générale au primat de l’actionnaire sur les autres parties prenantes, ont érodé la confiance des salariés.

  3. L'organisation du travail telle qu'elle est pensée aujourd'hui part du principe que « la règle définit le jeu » (4). Dit autrement : les acteurs appliquent ce qu'on leur demande d'appliquer. Ils ne déploient leur intelligence que pour se conformer à ce qui a été décidé. Une certaine interprétation de la responsabilisation des managers rend ces derniers susceptibles d’être jugés et évalués de manière constante. Le contrôle par les reportings chiffrés sur les résultats de leur activité, les éloigne de leurs supérieurs hiérarchiques : leur relation avec eux n’est pas vécue comme directe et confiante. Dans un environnement imprévisible, ils sont prisonniers de cette logique et se démotivent rapidement car ils sont tenus responsables de résultats sur lesquels ils n'ont pas beaucoup de prise. Plus il y a de règles, de procédures, de reportings etc. et plus le message envoyé aux équipes c'est « On ne vous fait pas confiance ». Ce manque de confiance est reçu 5/5 par les salariés.

La proposition. Les événements ont montré à quelle vitesse les entreprises peuvent s’adapter et agir de manière plus agile qu’elles mêmes le supposaient. Le cadre taylorien d'exécution de la relation de travail, autrefois conditionné à une unité de lieu et de temps, a volé en éclat. Le management à distance a aussi bouleversé la relation employeur-salariés. C'est une transition définitive vers l'agilité et l'autonomie.


Est-ce possible ? C'est possible mais peu probable. Le taylorisme a généré le management Command & Control encore très prégnant dans la relation de travail entre employeurs et salariés. Ses mots-clés sont familiers à tous les salariés : mesures, contrôle, formalisation, standardisation. Passé la phase pionnière, les entreprises se structurent en multipliant les échelons (les managers intermédiaires) et les nomenclatures, procédures de contrôle, fonctions support. Quand on arrive au niveau de l'encadrement de proximité, il ne reste pas grand-chose d’un pouvoir capté par ces niveaux hiérarchiques, ces fonctions support, les règles générales et les processus centralisateurs qu’elles promeuvent. Une autre voie est possible : celle qui donne plus de pouvoir à la base. Pour surmonter la crise, beaucoup d’acteurs ont trouvé des méthodes de fonctionnement plus simples, plus rapides et moins coûteuses. Tout cela témoigne de la capacité à changer et à s’éloigner des approches prescrites et des solutions standardisées. Toutefois, qui dit agilité, dit capacité à décider sur le terrain et donc prise de risque. De nombreuses grandes entreprises sont, à cet égard, dirigées par des PDG très réticents au risque car ils travaillent sur des horizons à très court terme (quarterly results). Autre obstacle : la question de la complexité des organisations devra encore être tranchée. En France, la majorité des grandes entreprises a une organisation matricielle, peu adaptée au besoin d’agilité. La confiance peut jouer le rôle de réducteur de complexité (5) mais on a vu précédemment qu'il était peu vraisemblable qu'elle se renforce. D'autant plus que l'intelligence artificielle pourrait s’immiscer dans un nombre croissant de métiers. Le travail devient alors comme une commodité processisée avec des algorithmes. Certes, les salariés détestent être traités comme faisant partie des machines. En période de crise, ils hésiteront pourtant à s'envoler vers d'autres cieux : c'est aussi une question de rapport de force. Plutôt que le couple agilité/autonomie, le management Command&Control pourrait se maintenir, revêtu des habits neufs de l’IA.

La proposition. L’optimisation tient sur les principes : standardisation, spécialisation, hiérarchie, alignement, planification et contrôle, réduction des coûts, utilisation de récompenses extrinsèques (6) pour façonner le comportement humain. Tous ces principes répondent à la question : comment maximiser l'efficacité opérationnelle et la fiabilité à grande échelle dans les entreprises ? La pandémie et les ruptures d'approvisionnement ont démontré la fragilité des systèmes qui n'ont aucune flexibilité pour répondre aux perturbations. Les organisations résilientes étaient mieux à même de s'adapter à un environnement en constante évolution. De nombreuses entreprises rééquilibreront leurs priorités dans les mois à venir, de sorte que la résilience devienne tout aussi importante pour leur réflexion stratégique que le coût et l'efficacité.


Est-ce possible ? Pour être résilientes, les entreprise s’appuient sur :

  1. La redondance dans les chaînes de valeur : l’accès à des capacités de fabrication supplémentaires (au risque -assumé - de la surcapacité), la diversité (l'accès à plusieurs sources d'approvisionnement) et la modularité (l'aptitude à reconfigurer un système et à recombiner des ressources) des systèmes de production.

  2. Un écosystème complet : une organisation qui facilite la coopération, la prise de décision et l'exécution rapides ; une structure souple (des processus qui soient des repères plutôt que des contraintes absolues) ; des rôles variés, évolutifs qui autorisent un apprentissage en continu ; des politiques et des pratiques qui permettent aux salariés de mieux gérer leur stress, de vivre une vie plus équilibrée et d'avoir plus d'autonomie dans le travail.

À l'énumération on se rend bien compte du défi pour les entreprises : il consiste à passer de leur objectif traditionnel de tirer le meilleur parti des individus, à investir dans la satisfaction des besoins fondamentaux de ceux-ci. Au-delà de quelques hauts potentiels, je ne suis pas certain de la généralisation de cet effort de la part de dirigeants surtout formés à l'optimisation…

La proposition. Dans l'ère post-COVID, les dirigeants auront besoin de nouvelles aptitudes et compétences pour réussir dans cet environnement changé et changeant. Un management plus attentif aux individus valorisera, dans l’après-crise, l’empathie des cadres de proximité et d’une façon plus générale, leur intelligence émotionnelle.


Est-ce possible ? Oui, la pandémie a accentué l’utilité de l'intelligence émotionnelle à côté de la capacité intellectuelle. Mais c'est difficile de former les salariés à ce concept d'intelligence émotionnelle que tout le monde utilise mais que peu définissent. Cette formation suppose un travail sur soi, par exemple, pour reconnaître ses émotions. Au delà, c’est également ardu de gérer ses émotions pour qu’elles soient appropriées à une situation. La formation des dirigeants a traditionnellement mis l'accent sur la pensée du cerveau gauche. C'est le raisonnement déductif, la résolution analytique de problèmes et l'ingénierie de solutions. L'exigence d'intelligence émotionnelle s’est installée dans les postes où le relationnel est fondamental. Elle va s'étendre à d'autres postes plus techniques parce qu’elle est indispensable dans des équipes hybrides.

La proposition. Si certains changements ont été imposés, la COVID-19 est également un catalyseur pour réinventer le travail. L’irruption des équipes hybrides et les technologies numériques vont en plus nécessiter de nouveaux rôles - plus que de nouveaux emplois -, qui appelleront de nouvelles compétences, état d'esprit, comportements dans un environnement en évolution rapide.


Est-ce possible ? C'est en tout cas nécessaire. Pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faut en préalable faire la différence entre un emploi et un rôle. Un emploi est une « unité organisationnelle » qui articule des groupes de tâches en activités, précisément définis pour être exécutées. Les emplois se réfèrent à un contenu; ils sont liés à une obligation de moyens. Un rôle est défini comme un ensemble organisé de comportements adaptés afin d’atteindre un résultat convenu. Les rôles concernent les personnes, ils se réfèrent au contexte. Ils sont liés à une obligation de résultat. Les entreprises post covid auront ainsi besoin d'acteurs utilisant leurs connaissances métiers ET les compétences de leur rôle pour travailler en coopération plutôt que des tenants d’emplois impersonnels, contenus dans les encadrés d'un organigramme et se contentant de coordination. Les entreprises à hiérarchie « plate » se réfèrent à des rôles plus qu’à des emplois. Les entreprises « classiques » comprennent que l’anticipation d’événements qui affectent leurs activités nécessite une utilisation des ressources disponibles de manière opportune, flexible, abordable et pertinente : quelle est la manière optimale de fournir des produits et services de qualité afin de bien servir les clients ? Le rôle est la réponse parce qu'il dégage le plus de souplesse. A une réserve près : il faudra considérer la prudence des juristes. Un rôle s’évalue de manière très subjective par un manager. Un emploi s’insère plus objectivement dans un contrat de travail. Le premier est un risque dans un potentiel procès aux prud'hommes. Il y a donc fort à parier que l'emploi demeure même si tous les managers demandent à chacun de leurs collaborateurs de tenir un rôle…


Les suites possibles à ce papier sont :

Webinaire : « exercice prospectif : vers où va le management ? ». Durée 1h00. Contact : Erwan Hernot (LinkedIn) ou info@clavaconsulting.com


(1) PDG de L’Oréal cité par Michell Kalika, L’impact de la crise sur le management, 2020

(2) Cette proposition et les suivantes sont tirées de la presse économique : les Échos, la Tribune et les pages "éco"du Monde.

(3) Cœur de métier. C'est une expression dont l’interprétation est éminemment subjective en fonction des intérêts du groupe qui l’emploie.

(4) J'emprunte cette formule à Francois Dupuy, On ne change pas une entreprise par décret, 2020

(5) Olivier Ousilou, "Niklas Luhmann, la confiance, un mécanisme de réduction de la complexité social", revue Interrogations n° 9, décembre 2009

(6) Il existe deux types de facteurs de motivation : les facteurs de motivation intrinsèque (fierté d'avoir atteint voir dépasser ses objectif, plaisir du travail bien fait, satisfaction de progresser…) et les facteurs de motivation extrinsèque (liés à des données de contexte : salaire, carrière, statut social, sécurité de l'emploi,…)

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