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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Equipe hybride : la cohésion, carburant de la performance




Trois éléments clés sur le travail à distance, émergent de l’étude Work.Reworked 2020 (1) : maintenir une culture d’entreprise, préserver une cohésion d’équipe, éprouver le sentiment d’être moins connecté aux autres, ce qui semble avoir un effet sur la capacité des équipes à partager et à innover. Dans ce papier, je m'intéresse précisément à la cohésion de l'équipe hybride (une partie au bureau, l'autre partie en télétravail). L'équipe - présentielle ou hybride - est, en effet, la structure de base au sein des entreprises. Les meilleures représentent un avantage concurrentiel quand il s’agit de déployer des stratégies complexes. Voici comment la cohésion les aides à devenir performantes.


Quels sont les bénéfices de la cohésion ?

Dans toutes les équipes, la cohésion est la condition d'une très bonne performance. Les membres d’une l'équipe cohésive restent unis les uns aux autres et à l'équipe dans son ensemble. Ils sont plus engagées envers les objectifs et les activités qui y conduisent car il n'y a pas d'acteur de seconde zone. Chacun a sa place, reconnue par les autres. Tous se sentent partie prenante de quelque chose de plus important qu’eux. Les membres s'engagent pleinement dans les processus de décisions et les stratégies de l'équipe, créant ainsi une responsabilité commune. Une équipe à forte cohésion dispose de compétences accumulées par les expériences communes, les connaissances et les idées partagées. Elle dispose encore de ressources de concentration et de temps : chacun sait ce qu'il a à faire et a confiance dans ce que les autres feront. Ces atouts lui permettent d’agir sensiblement mieux et plus vite qu’une équipe moins cohésive. La division du travail y produit de la coopération et de la solidarité que la simple coordination n'autorise pas. La supériorité tactique est alors potentiellement significative. La cohésion permet enfin une plus grande estime de soi, une amélioration du moral (car la communication entre les membres s'accroît) et une amélioration des performances de l'équipe.


Quelles sont les conditions de la cohésion et les risques auxquelles elle fait face ?

On réduit souvent la construction de l’esprit d’équipe à des opérations telles que séminaires ou sorties hors du site de travail. En réalité, la cohésion d’une équipe se construit sur des éléments qui sont autant de conditions nécessaires à son établissement.

  • Le premier risque de non cohésion d’une équipe hybride, c’est le mirage du solutionnisme digital. Il évite de traiter les vrais problèmes : organisation du travail, capacité des managers… « La coopération digitale » est célébrée par les vendeurs de plateformes parce qu'elle permettrait de maintenir le lien humain à distance grâce à l’utilisation d’outils collaboratifs. Ces technologies font croire, par leur efficacité à traiter les données, qu’elles valent les contacts directs. Mais il est impossible d’obtenir, avec des réseaux virtuels, l’intensité de la cohésion qui se forme dans les réseaux physiques. Quand certains intervenants expliquent - sérieusement - qu’« il est important de garder un contact humain, en utilisant le tchat, les emojis et les GIFs, pour faire passer des émotions », je reste perplexe.

  • La situation, les exigences de la tâche et la nécessité de la convergence des efforts pour l'effectuer (autrement dit le fameux sens du travail) sont des facteurs de cohésion. La Covid-19 a ainsi beaucoup aidé (au moins lors du premier confinement) à resserrer les rangs. L'installation d'équipes hybrides à long terme porte un risque de perte de sens et du sentiment collectif si l'organisation du travail actuelle demeure inchangée.

  • La cohésion augmente avec la valeur d’attraction de l'équipe. Cette valeur a 3 sources : l’intérêt du poste de travail individuel cumulé à l’intérêt de la mission de l’équipe, alliée à la qualité des relations entre les membres. Si les dirigeants et les managers ne repensent pas, là encore, l'organisation du travail et des postes à l’aulne de la nature hybride de l’équipe, sa valeur d’attraction peut diminuer.

  • La cohésion se bâtit aussi sur un attachement émotionnel. Avoir noué des liens dans les multiples interactions quotidiennes (plus « marquantes » quand nous sommes au bureau) ou des activités périphériques au travail renforce la fidélité des uns aux autres et à l’équipe. Quand elle devient hybride, ce métabolisme d'une équipe ralentit, le collaborateur peut facilement perdre la proximité affective car ce sont les activités périphériques (discuter à la machine à café, déjeuner, prendre un verre, …) qui créent du lien. Sans ces moments, le collaborateur se retrouve seul face a la tâche qui devient l’unique réalité tangible de l'entreprise. Le désengagement n'est pas loin. En télétravail, un passé commun de coopération réussie nourrit la coopération à distance. La mécanique est simple : plus le collègue est connu, plus ses actions peuvent être anticipées correctement, plus diminue le risque perçu de s'en remettre à lui. Cette acceptation de la dépendance suppose une estime portée aux collègues, une reconnaissance de leur valeur, de leurs compétences et de leur loyauté. Cette confiance permet de mieux se comprendre, d’oser exprimer les problèmes, de les débriefer sans barrières hiérarchiques ou organisationnelles. Il faut donc faire attention à la fréquence possible des rencontres. Une fréquence basse pourrait faire pivoter la loyauté du collaborateur vers sa seule contribution individuelle parce que c'est concret. C’est un risque de mercenarisation.

  • La cohésion de l'équipe reste toujours fragile. Elle est soumise aux influences et aux pressions de son environnement, comme une réorganisation, une pandémie. Elle peut être le théâtre de conflit et exploser quand la pression devient trop forte même si cette équipe a travaillé sa cohésion. À la première mobilité d'un des acteurs, elle devra être reconstruite. Pour autant la culture de l'entreprise peut s’enrichir des expériences et des compétences sociales (capacités permettant d'interagir de façon constructive et aisée dans un groupe) acquises par les équipiers.

Que peuvent faire managers et dirigeants pour renforcer la cohésion d'une équipe hybride ?

Dans un contexte de travail hybride, jamais la formule « Manager un système avant des individus ». n’a été aussi pertinente Ce système se pilote sur plusieurs leviers :

  • Des équipes hybrides qui s’installent dans la durée, interrogent la structure en silo. Elles s’épanouissent mieux quand elles ont de l’autonomie et qu’elles opèrent dans des organisations en réseau qui portent un dialogue inter métiers et un partage des données. Les entreprises qui font la transition vers un certain degré d’autogouvernance des équipes doivent apprendre à leurs collaborateurs à avoir confiance (en eux, en l’équipe, dans le manager, …). Ceci passe par la facilité à comprendre le “quoi” (le business model) et le “comment” (l’organisation interne). A cet égard, il faut concevoir des indicateurs de mesure permettant aux membres de l'équipe d'évaluer leur performance collective et d’identifier le lien entre leur travail et les indicateurs clés de l'entreprise. Les DRH doivent encore former managers et équipes à l’intelligence émotionnelle entendue comme la prise de conscience et la compréhension des émotions. Colère, tension ou frustration mais aussi joie (après un succès) surviennent inévitablement dans un collectif. Ces formations renforcent la capacité d’empathie qui construit la confiance mutuelle. C’est elle qui dote chaque membre d'une « conscience de l'équipe ». C'est-à-dire qu'il raisonne toujours avec deux constantes en plus des variables d’un problème donné : lui-même et son équipe. L’intelligence émotionnelle facilite les mécanismes de prise de décision et les techniques de résolution de problèmes, Enfin elle aide à clarifier les rôles : l’équipe est ainsi consciente des compétences mais aussi de la personnalité de chaque membre.

  • Le manager met en valeur ce qui a été appris ensemble durant la période exceptionnelle de la COVID-19. Cet apprentissage approfondit la culture de l'équipe, laquelle renforce la cohésion. Il peut même redéfinir l’identité : qui nous sommes en tant qu’équipe et quelle est notre place au sein de l’entreprise.

  • Certains métiers fonctionnent plus en groupe de travail (la performance collective n'est que la somme des performances individuelles) qu’en véritable équipe. D'autres fonctionnent en équipe où les individus se complètent, articulent leurs différentes activités et dépendent les uns des pour réaliser l'objectif. La performance collective résulte alors de la valeur des échanges entre les membres de l'équipe. Dans le contexte de la pandémie, le manager d'une équipe hybride revoit la définition même de la performance. Elle s’élargit, au delà de la pure performance métier, vers le bien-être au travail. Elle n'existera que si les récompenses et évaluations s’effectuent aussi au niveau de l’équipe, et pas seulement par des incitations individuelles : « Je dois prendre en compte le bien-être de mes collègues (collaborateurs) dans mes comportements de travail. » L’interdépendance organisée par le manager solidarise les membres de son équipe. Les liens qui se créent permettent de combattre des maux tels que solitude, stress professionnel, mais aussi les forces naturellement centrifuges d'une équipe hybride.

  • La constitution d’un destin commun, l’interdépendance et le partage équitable des bénéfices de l’action collective conduisent à la réduction des conflits. Le manager a donc tout intérêt à solidifier l'interdépendance sur cette base. Afin de la nourrir, il décrit en continu le contexte du travail dans lequel s’insèrent les efforts. Il actualise les objectifs de chacun et les fait connaître à tous les autres, il expose les problèmes qu’il affronte en tant que manager car il a conscience que la distance enferme chacun dans sa bulle. Cette description en continu donne aux membres de l'équipe une large compréhension de ce qui se passe afin qu'ils puissent prendre des décisions éclairées sur leur travail. Il délègue son autorité au niveau le plus bas possible pour éviter 1° de micro-manager et 2) d’être l'interface irremplaçable entre ses collaborateurs. À distance (encore plus qu’en présentiel) le micro-manager devient un obstacle car il empêche la cohésion de s’opérer dans le groupe : il est toujours là ! De plus, chacun des collaborateurs du manager-interface préférera le confort de s'adresser à lui plutôt que de coopérer ce qui demande des efforts (changement dans leur façon de travailler).

Les plus graves défis de la Covid-19 vont survenir dans les mois à venir. Il faut nous y préparer en formant les personnels. Le plus grand risque est que, le statu quo organisationnel prévale sur la mesure des changements à conduire. Quand on est salarié d’un groupe de plusieurs milliers de personnes, l’anonymat en présentiel, représente un risque lié au sentiment d’interchangeabilité et de déresponsabilisation. Que dire alors pour une équipe hybride…Pour le prévenir, nous devons développer de véritables compétences sociales, gages de cohésion des équipes. Mission accomplie pour le manager de l'équipe hybride ? Comme toujours en management, rien n’est simple. Si les membres de l'équipe deviennent trop solidaires les uns des autres, ils commencent à cesser de s'affronter -et on perd la diversité des opinions, utile pour trouver des solutions. C’est la « pensée de groupe », (2) par opposition à une pensée critique, peut se produire. S’il veut les éviter, le manager prend en compte la diversité essentielle pour l’innovation. Dans l’après covid, les managers devront accorder autant de valeur à la diversité, au désaccord et à la divergence qu’à la conformité, au consensus et à la cohésion. Un équilibre hybride en quelque sorte …


(1) Deuxième édition de l’enquête « Work.Reworked » de Microsoft, réalisée en collaboration avec KRC Research, Boston Consulting Group et le Dr Michael Parke de la Wharton School, Octobre 2020

(2) Irving Janis, Victims Of Groupthink, 1972

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