Puisqu'on parle de capital humain, managez-vous votre équipe comme un portefeuille d’actifs ?
- Erwan Hernot
- 15 mai
- 6 min de lecture

On parle de capital humain. Ça fera hurler certains : les êtres humains ne sont pas un capital. Mais leurs connaissances, leurs compétences et leurs capacités collaboratives représentent pourtant des atouts précieux pour toute organisation. Les investissements en capital humain prennent de multiples formes : formation académique, apprentissage, formation en entreprise et programmes de développement professionnel continu. Chacune de ces formes contribue directement à la performance organisationnelle, favorisant l'innovation, améliorant la productivité et influençant finalement la rentabilité. Selon une étude de McKinsey & Company (1), les entreprises qui investissent stratégiquement dans les capacités de leurs équipes voient généralement des gains de productivité de 10 à 20 %, surpassant nettement leurs concurrents qui négligent ce développement. En effet, les entreprises qui proposent une formation systématique de leurs managers rapportent des niveaux d’engagement supérieurs, des taux de rotation plus faibles et des cultures d’innovation plus fortes. Allons, dans ce papier, au bout de cette logique. Que se passe-t-il si vous managez votre équipe comme un gestionnaire d’actifs pilote son portefeuille ? Faire de votre équipe un actif stratégique, capable de générer un retour sur investissement durable, tout en limitant les risques : avec un tel vocabulaire, même la Directrice financière va comprendre ce que vous dites !
Une comparaison éclairante
Un gestionnaire d’actifs cherche à maximiser le rendement global de son portefeuille, répartir intelligemment les ressources (diversification), gérer les risques (volatilité, contre-performance), ajuster en permanence en fonction du marché (arbitrage actif). Un manager peut faire exactement la même chose avec son équipe :
maximiser la valeur créée par les collaborateurs. Il s'agit de pousser à l'innovation, de stimuler la performance, de satisfaire le client.
diversifier les profils et les compétences pour répondre aux enjeux variés auxquels l'équipe fait face,
anticiper les risques humains qui menacent la valeur évoquée précédemment, qu'il s'agisse du désengagement, de départs de collaborateurs clés, de conflits entre membres de l'équipe ou inter équipes,
réallouer les ressources et les priorités, régulièrement, en fonction des objectifs.
Voici 5 principes de gestion de portefeuille qu'un manager pourrait emprunter à un gestionnaire d'actifs.
1. Connaitre ses actifs
Comme un investisseur analyse chaque titre de son portefeuille, un manager doit connaître finement chacun de ses collaborateurs. Pour mettre en évidence les forces et compétences clés des membres de l'équipe, il se sert d'entretiens individuels, feedbacks 360°, auto-évaluations. Afin de détecter les potentiels inexploités, il observe les prises d’initiative, la capacité à apprendre vite ou à se projeter. Pour identifier les signaux faibles, il surveille la motivation, les changements de comportement, les baisses de performance. Faire un état du portefeuille humain, c’est alors cartographier qui sont les talents connus et testés, les potentiels talents, les zones à risques ? Qui pourrait être repositionné ou développé ? Par ex. Claire, brillante sur les analyses, manque de confiance en prise de parole. Jean, très bon communiquant, peine à respecter les délais. Un manager avisé pourra proposer à Claire de coanimer une présentation avec Jean. Double effet : progression pour l’une, responsabilisation pour l’autre.
2. Diversifier pour performer
Une équipe trop homogène, c’est comme un portefeuille surinvesti sur un seul secteur : c'est vulnérable. Par ex. une équipe 100% issue d’écoles d’ingénieurs, pensant en silo, réticente à la prise de risque. Conséquence : peu d’innovation, conformisme, faibles capacités d’adaptation. Le manager a tout intérêt à diversifier les compétences, les parcours, les modes de pensée. Ainsi dans une équipe composée d’un expert technique, d’un junior créatif, d’une gestionnaire rigoureuse et d’un profil commercial récent, la diversité favorise l’agilité, les idées nouvelles et la complémentarité.
3. Évaluer le rendement du capital humain
Pourquoi ne pas raisonner en termes de valeur créée par collaborateur ? Par exemple en parlant de chiffre d’affaires ou d'impact opérationnel générés, d'idées nouvelles mises en œuvre, de qualité perçue par les clients internes ou externes. Ceci donne de la clarté. Si l'exercice est envisageable pour les commerciaux, comment le faire dans les fonctions support ? Pour calculer le ROI d’une fonction support, on peut identifier les bénéfices directs (temps gagné, coûts évités, satisfaction accrue), les rapporter aux coûts (salaires, outils, formation). Par ex. une équipe juridique réduit le délai moyen de validation contractuelle de 8 à 3 jours. Gain estimé : 5 jours × 100 dossiers/an = 500 jours gagnés, valorisés à X euros. On compare cela au coût de l’équipe.
4. Arbitrer et ajuster en continu
Un bon gestionnaire d’actifs ne laisse pas son portefeuille en roue libre. Il vend, il achète, il ajuste selon les opportunités. Le manager réaffecte les talents en fonction des enjeux. Par ex. une équipe projet marketing élargit sa cible à l’international. Le manager décide de déplacer Sofia, bilingue et à l’aise en interculturel, vers ce projet. Il confie temporairement les missions actuelles de Sofia à Julien, en développement; Il complète le dispositif en intégrant un alternant pour soutenir Julien. Résultat : une meilleure réponse aux enjeux, une responsabilisation et une montée en compétence. Le manager donne de la visibilité aux hauts potentiels. Par ex. Julie, cheffe de projet performante mais sous-exploitée, est intégrée par son manager à un projet stratégique transverse, visible de la direction. Elle obtient un mentor du comité exécutif et entre dans un programme de mobilité. Résultat : son potentiel est développé avant qu’elle ne se démobilise ou parte. Le manager n'attend pas que les tensions explosent pour intervenir. Par ex. deux seniors en conflit larvé dans une équipe technique dégradent le climat collectif. Le manager organise une médiation, clarifie les rôles, et réinstalle un cadre de fonctionnement partagé. Résultat : la performance de l’équipe est préservée et les talents retenus.
5. Pilotez avec des indicateurs fiables
Ne gérez pas à l’instinct seul. Utilisez des indicateurs de pilotage opérationnel pour anticiper les écarts avant qu’ils ne pénalisent la performance.
Type d’indicateur | Fonction | Exemples |
Résultat | Mesure finale de performance | ROI moyen par tête |
Levier | Facteurs humains prédictifs | Engagement, turnover, innovation |
Pilotage opérationnel | Ajustement quotidien des pratiques | Feedbacks, OKR, score manager |
Qui sont les gestionnaires du capital humain ? Si on poursuit la comparaison avec le gestionnaire d'actifs :
1. Ce qui correspondrait aux « Gestionnaires de portefeuille stratégiques » c'est le niveau direction générale (directeurs, vice-présidents) qui prend des décisions d'investissement stratégiques en matière de talents, telles que :
Stratégies d'acquisition de talents (achat ou développement)
Planification de la relève pour les postes clés
Allocation stratégique des ressources humaines entre les unités d'affaires ou les marchés
Investissements majeurs dans le développement des employés ou la culture organisationnelle
Ils établissent des repères et définissent des indicateurs pour mesurer le retour sur investissement du capital humain à l'échelle de l'entreprise.
2. Ce qui correspondrait aux « Gestionnaires de fonds opérationnels » ce sont les managers intermédiaires. A la place du fonds spécifique , ils gèrent un département, une équipe fonctionnelle, un bureau régional au sein d'un portefeuille de talents plus large :
Affecter efficacement les ressources aux projets et aux équipes
Identifier les individus à fort potentiel (comme les talents prometteurs)
Combler les lacunes en compétences, assurer la cohésion d'équipe, la motivation et la gestion de la performance
Suivre et ajuster les stratégies afin de garantir leur adéquation avec les objectifs plus larges d'investissement en talents fixés par la direction
Leur principale responsabilité est de traduire les stratégies de capital humain en résultats tangibles.
3. Ce qui correspondrait aux « Gestionnaires d'actifs tactiques », ce sont les managers de premier niveau. Ils gèrent directement les ressources humaines individuelles :
Encadrent, encadrent, évaluent et motivent régulièrement les employés.
Interagissent quotidiennement avec leurs équipes pour garantir la productivité, la performance et le développement.
Identifient et résolvent rapidement les problèmes émergents susceptibles d'avoir un impact négatif sur le rendement (par exemple, désengagement, sous-performance, conflits, absentéisme).
Ces responsables mesurent le rendement principalement à travers les résultats directs des employés : exécution des tâches, qualité, innovation, satisfaction des employés ou rotation du personnel.
4. Enfin les « Conseillers en investissement spécialisés » correspondraient aux professionnels des ressources humaines (RH, responsables du développement des talents). Les RH jouent un rôle de soutien et de conseil stratégique comparable à celui des analystes ou des conseillers en investissement, en fournissant :
Des conseils et des analyses sur les conditions du marché du capital humain (pénurie de talents, tendances en matière de compétences).
Des outils et des méthodologies pour suivre le rendement du capital humain (enquêtes d'engagement, analyse des talents).
Une expertise professionnelle dans l'élaboration de stratégies de formation, de rémunération, d'engagement et de fidélisation.
Le capital humain n’est pas un slogan. C’est un levier de performance que l’on peut piloter avec rigueur et discernement. Encore faut-il l’assumer pleinement comme tel. L’objectif n’est pas de transformer les managers en financiers, mais de leur donner une grille de lecture rigoureuse et opérationnelle pour créer de la valeur durable.
(1) L'étude de McKinsey à laquelle je faisais référence est intitulée « Performance through People: Transforming Human Capital into Competitive Advantage », publiée en février 2023 par le McKinsey Global Institute.The Digital Insurer+3McKinsey & Company+3McKinsey & Company+3
Cette recherche analyse 1 800 grandes entreprises dans 15 pays, en les classant selon deux dimensions : leur performance financière et leur capacité à développer le capital humain. Les entreprises excelling dans les deux domaines sont qualifiées de « People + Performance Winners ».The Digital Insurer+2McKinsey & Company+2McKinsey & Company+2
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