Passer au management Agile ? Choc des cultures assuré !
- Erwan Hernot
- il y a 19 heures
- 5 min de lecture

Adopter un management Agile dans une entreprise ne revient pas à simplement modifier quelques processus ou à introduire des outils comme Scrum ou Kanban (1). Il s’agit d’un changement culturel radical, un basculement dans la manière même dont l’entreprise perçoit le travail, la collaboration, l’autorité, l’erreur, la valeur et le succès. En prendre la mesure : tel est l'objet de ce papier.
Commençons par rappeler ce qu'est une culture organisationnelle tant le concept peut paraître fumeux. La culture est invisible mais façonne les décisions, les comportements, les interactions d'un collectif donné. Elle repose sur trois piliers :
Les valeurs : ce qui est jugé important (ex. : stabilité, performance, collaboration, transparence).
Les croyances : ce que l’on considère comme vrai ou faux (ex. : « l’erreur est inacceptable », « il faut tout prévoir », « un bon manager contrôle »).
Les normes de comportement : ce qui se fait ou non (ex. : « on ne contredit pas son supérieur en réunion », « on peut demander de l’aide »).
A quoi ressemblerait une entreprise qui devient agile ? Voici quelques bascules typiques illustrant la transformation culturelle d’une entreprise «traditionnelle» :
Aspect culturel | Culture traditionnelle | Culture Agile |
Valeurs dominantes | Contrôle, stabilité, conformité | Confiance, adaptation, collaboration |
Croyance sur le changement | Le changement est un risque à maîtriser | Le changement est une opportunité à saisir |
Rôle du manager | Donner des ordres, contrôler les résultats | Soutenir, coacher, faciliter l’apprentissage |
Vision de l’erreur | À éviter, sanctionnée | Source d’apprentissage, analysée collectivement |
Relations hiérarchiques | Top-down, silotées | Réseaux de coopération transversale |
Temps de décision | Lents, concentrés en haut de la pyramide | Rapides, décentralisés, au plus proche du terrain |
Mode de travail | Individuel, séquentiel, planifié sur le long terme | Collectif, itératif, piloté par la valeur à fournir au client |
Comment passer d'une culture managériale traditionnelle à agile ?
Le premier levier, c'est la culture organisationnelle dominante.
Elle correspond aux valeurs, croyances et normes véhiculées par la direction et l’encadrement supérieur. Ce groupe définit explicitement ou implicitement ce qui est valorisé : performance, agilité, sécurité... Ces valeurs deviennent des points de référence. Les croyances associées deviennent des évidences qui ne sont plus questionnées. Les comportements visibles des dirigeants envoient des messages forts au reste de l'organisation. Leurs décisions en matière de récompenses, promotions ou sanctions définissent les comportements acceptables ou inacceptables, renforçant ainsi les normes. La fragilité d'adoption du concept Agile tient au fait que beaucoup de dirigeants ne sont pas capables de passer, seuls, d'un modèle mental du leader contrôlant à celui du leader-serviteur. Le coaching peut aider ... ou pas. Ajoutons que cette culture dominante n’est jamais entièrement homogène ni totalement stable. Les sous-cultures existent au niveau des équipes, métiers, régions géographiques… Ces différents niveaux influencent, chacun à leur manière, la perception et la mise en œuvre du changement. Si on se limite à agir sur un seul niveau (la direction), le changement reste superficiel, symbolique et ne modifie pas profondément les comportements. Cela explique pourquoi un projet de changement culturel durable comme l'Agile, nécessite souvent des actions à plusieurs niveaux (descendantes et remontantes).
Clarifier le “pourquoi”
Le passage à l’Agile ne se décrète donc pas. Cette transformation ne fonctionne que si tous les acteurs 1) comprennent la finalité du changement et 2) sont reconnus et récompensés pour le changement opéré. Sans cela, les équipes se contentent d’appliquer des méthodes sans y adhérer. Une communication claire et honnête sur les enjeux (plus d'efforts car clients plus exigeants, complexité croissante...) prépare l'alignement des équipes sur une vision commune. Concrètement, les promoteurs du changement traduisent la transformation Agile en bénéfices tangibles pour chaque métier. Ils relient l’Agile aux enjeux stratégiques de l’entreprise (meilleure réactivité, innovation, satisfaction client…).
Soutenir les managers intermédiaires : accompagner une mutation de posture
Pris en étau entre injonctions de résultats et transformation culturelle, les managers intermédiaires et de proximité sont souvent les oubliés des transformations, alors qu’ils sont les piliers de la mise en œuvre au quotidien. Ils ont besoin d’un accompagnement spécifique pour muter d’un rôle de “chef” à celui de “facilitateur”. La mutation est conséquente : avant l'Agile, un manager répartit les tâches et contrôle l’exécution. Après, il anime la dynamique de l’équipe et encourage les prises d’initiatives collectives. Les promoteurs de l'Agile ont tout intrérêt à :
Leur proposer des formations spécifiques sur leur nouveau rôle dans un contexte Agile.
Les impliquer dans la définition des nouvelles pratiques.
Leur donner des espaces et du temps pour exprimer leurs doutes et construire ensemble des réponses.
Former, expérimenter, adapter puis pérenniser
Former aux méthodes ne suffit pas : il faut aussi créer des espaces d’expérimentation sécurisés où l’erreur est autorisée, le feedback encouragé et où l’on apprend en marchant. Le changement culturel ne vient pas d’une transformation massive mais d’une série de petites évolutions concrètes, visibles et partagées : introduire progressivement de nouveaux rituels (stand-up, rétrospective, board visuel...), co-construire des indicateurs d’équipe, modifier les réunions pour qu’elles soient plus participatives. Par ex. avant l'Agile: les réunions hebdomadaires descendantes durent 2 heures. Après, des points quotidiens de 15 minutes synchronisent les actions de l’équipe. Les réussites issues de pratiques Agiles sont célébrées. En effet, une culture ne change que si les nouveaux comportements sont valorisés, récompensés puis institutionnalisés. Le processus de recrutement est mis à jour tout comme les référentiels de compétences et les critères d’évaluation avec la valorisation de la collaboration, de l’apprentissage continu, de l’autonomie dans les revues de performance ou d'une façon plus générale dans les évaluations annuelles, la gestion des carrières. Par ex. avant l'Agile, la performance est évaluée sur des résultats individuels chiffrés. Après, elle prend en compte la capacité à collaborer, à apprendre et à améliorer le collectif. Des baromètres d’engagement, des feedbacks anonymes, des observations terrain ajustent l'effort en continu. Des espaces de dialogue régulier comme les communautés de pratique, cafés managériaux, forums d’équipe font vivre la culture Agile au quotidien.
Mettre en place le management Agile, ce n’est pas faire autrement avec les mêmes croyances. C’est penser autrement pour faire différemment. Cela suppose de revisiter en profondeur l’ADN culturel de l’organisation : ce que l’on valorise, ce que l’on croit, ce que l’on attend des uns et des autres. La transformation Agile suppose qu’on accepte d’explorer, d’apprendre, de tâtonner, ensemble. C’est dans cette humilité collective que peut émerger une véritable organisation apprenante, réactive, et durablement agile.
(1) : Scrum : méthode agile structurée autour de cycles courts (appelés sprints), caractérisée par une équipe pluridisciplinaire, des rôles clairement définis (Product Owner, Scrum Master, équipe de développement), et des cérémonies régulières (planification, revue, rétrospective). Scrum est particulièrement adapté à des projets complexes nécessitant adaptabilité et collaboration fréquente.
Kanban : méthode agile centrée sur la gestion visuelle du flux de travail, limitant le nombre de tâches en cours (WIP : Work In Progress), visant à améliorer la fluidité, l’efficacité et l’identification rapide des blocages. Kanban convient particulièrement à l'amélioration continue de processus existants avec une grande flexibilité, sans sprints fixes ni rôles imposés.
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