top of page
  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Manager la complexité ? L'équipe est la clé !



La COVID-19 ajoute une couche supplémentaire de complexité pour le manager. Pour s'en sortir, ce dernier a un atout à jouer : son équipe. Voici comment.


Complication et complexité. Le premier est un indicateur de la capacité à comprendre quelque chose (plus c'est compliqué, plus c'est difficile à comprendre) tandis que le second est un indicateur de la prédictibilité de quelque chose (plus c'est complexe, plus c'est difficile à prévoir). En formation, j'ai coutume de donner l'exemple suivant : un Airbus A320, totalement démonté, c'est compliqué à remonter. En revanche, c’est complexe de prévoir tous les mouvements des spaghettis al dente que vous versez dans un saladier. Le management Command&Control du siècle dernier s’accommodait très bien de la complication. Il y répondait par des processus et des règles qui standardisaient les réponses possibles des collaborateurs, sous la houlette de leur manager. Ce dernier était donc le gardien d'une certaine conformité. La disruption de la révolution digitale et la pandémie est passée par là. Le manager se retrouve face à des équipes hybrides dans un environnement totalement chamboulé. Pour y répondre, il regarde sa mission d’une autre perspective : celle de la complexité. Il a tout intérêt à s’inspirer de la « loi » d’Ashby (1) : face à cette complexité de l'environnement, doit correspondre la complexité organisationnelle. C’est à dire que le manager considère son équipe comme un système, ce qui lui rend sa propre …complexité. Tentons une démonstration par l'absurde. S’il ne gère pas son équipe comme un système et qu’il reste dans l'illusion du contrôle, le surinvestissement du manager est inévitable. Il distribue précisément les tâches et individualise le rapport au travail. Il ne consolide pas l’intégration de l'équipe, source de coopération. L’équipe fonctionne alors essentiellement par addition de contributions individuelles. Par conséquent, le manager est toujours sur le qui-vive, attentif aux « livraisons » quitte à pallier certaines contributions défaillantes ; il s’épuise en relances et en sollicitations. Quid des processus et des règles du Command&Control déjà évoquées ? Bien sûr, elles vont lui enlever une charge d'encadrement. Mais il reste quand même des « zones d’incertitude » (2) parce que la complexité de l’environnement met les équipiers dans des situations concrètes qui n'étaient pas prévues. La zone d’incertitudes des équipiers s’accroît avec le télétravail : par exemple, la distance offre la possibilité pour certains d’entre eux de se mettre en retrait et de reporter sur le manager, le poids de la réussite. Ces zones d'incertitudes sont une source de pouvoir pour chaque équipier vis à vis du manager. Chercher à les contrôler, par exemple en multipliant les règles, c’est comme tenter de mettre du vent dans une boîte…Plus un manager essaiera de contrôler avec des règles, ce que font ses collaborateurs en télétravail, plus ces derniers se créeront des marges de manœuvre, à partir d’une béance non prévue dans ces règles. Et je n'aborde pas ici le message subliminal transmis : « je ne vous fais pas confiance » ou la sensation de harcèlement numérique. Le manager lucide l’a bien compris : s’il ne contrôle pas les personnes, il raisonne « sytème », il peut contrôler l’objectif et les contraintes qu'il impose à l'équipe. Il s’appuie sur un principe : tout groupe avec un délai (réaliste) et un but, s'auto-organisera, produira ses propres règles de fonctionnement à partir du couple but/délai, dopé par le fait qu’il a ainsi plus de … contrôle sur ce qui lui arrive. Le rôle du manager est alors d'aider son équipe à cette émancipation, à condition de comprendre comment elle fonctionne.


Comment l'équipe fonctionne. Paradoxalement, lorsqu'il côtoie au quotidien son équipe, le manager se dispense d'en connaître la mécanique. Il est là pour la guider. Si le lecteur me permet l'analogie : quand vous faites vos trajets quotidiens de 10 km en voiture domicile/bureau, en environnement urbain, vous n'avez pas besoin de connaître les rudiments de la mécanique : il y aura toujours une dépanneuse en cas d’ennui. Quand vous voyagez sur longue distance, en voiture dans le désert, vous avez tout intérêt à maîtriser les principes mécaniques de base, ce qui vous sauvera peut être la vie. L'équipe hybride, c'est la traversée du désert du manager ;) Il doit comprendre les principes du fonctionnement de son équipe. Généralement, pour se représenter l'équipe, on dessine un organigramme… qui reste largement théorique et peu opérationnel. Il faut aller au-delà : l’équipe, c’est un ensemble de relations concrètes (formelles comme informelles) entre des individus interdépendants (la plupart du temps). Dans l’équipe, chaque acteur joue un rôle (à la fois officiel et officieux : j’y reviendrai dans un papier) et se trouve en interaction avec tous les autres membres de l’équipe. Les actions des uns ont obligatoirement une influence sur le comportement des autres ainsi que sur leurs actions. Ceci, par effet de rebond, se répète sans cesse. Le système « équipe » est plus que l'addition de ses parties (individus). Les informations contenues dans le système lui même sont bien meilleures que les informations disponibles dans n'importe quel nœud individuel du réseau qui le structure, y compris le nœud managérial qui se considère comme le centre de contrôle. En prendre la mesure, c'est pour le manager, réaliser qu'il ne maîtrise pas son équipe. En revanche, il peut l’encadrer et la développer.


Encadrer l'équipe ou construire un référentiel commun. L’époque oblige à reconnaître la fragilité du contrôle managérial affecté par la pandémie. L’alternative consiste à encadrer l'équipe. c'est à dire clarifier son but dans le cadre - imposé - de la déclinaison des objectifs stratégiques de l’entreprise. Jusqu'à présent, le manager était surtout attentif au premier niveau (la stratégie de l'entreprise) et au dernier (objectifs opérationnels des collaborateurs). Mettre en valeur le but de l'équipe en tant que tel oblige les collaborateurs à penser « coopération ». Pour aller au bout de la logique, le manager a tout intérêt à co-élaborer le but de l'équipe avec eux. Ça démarre par une connaissance des faits : l'équipe a accès à toutes les données que le manager possède. Idéalement, un outil collaboratif devient la base de données irréprochable vers laquelle tout le monde peut se tourner pour résoudre les conflits entre les différentes interprétations d’un problème donné. Le manager passe beaucoup de temps à co-élaborer de la connaissance, qui sera partagée à partir des données (schéma ci-dessous).


S’il investit pas d'abord dans la connaissance, ça ne sert à rien d'investir ensuite de demander à l’équipe de produire les solutions adaptées. On est bien loin du discours descendant ou l'équipe écoute le leader-visionnaire pour savoir quoi faire. Il s’agit plus modestement d'avoir une compréhension extrêmement claire, réaliste ET partagée de la situation dans laquelle on se trouve. C’est à partir de cette compréhension que l'équipe se déterminera et agira. Sans compréhension partagée, il est aussi plus difficile de collaborer entre membres de l'équipe. On remet ainsi tout le monde à égalité ; ce qui enlève la « protection » du statut du manager : Il doit établir et maintenir du crédit auprès de l’équipe puisque sa position de pouvoir a moins de valeur. Il se met à l'écoute de ses collaborateurs et d'une certaine façon à leur service. Ça rend autonomie et marge de manœuvre aux équipiers.


Développer l'équipe : monter les collaborateurs en compétence, développer leur capacité à coopérer, résoudre des problèmes, décider. Bien développée, l’équipe devient une organisation auto-apprenante, qui intègre l'idée de changement, conséquence de la complexité. Elle permet à ses membres d'acquérir de manière constante de nouvelles compétences, résolvant ainsi des problèmes inconnus des manuels. L'expérience accumulée est partagée. Cette intelligence collective est la force indispensable à l'entreprise. D’autant que cette dernière requiert toujours une efficacité organisationnelle, rendue plus aléatoire par la distance. Je l'ai déjà indiqué dans d'autres papiers : l’efficacité des organisations ne provient plus de la seule qualité de leur structure et techniques de production et de gestion, aussi sophistiquées soient-elle. Avec l'évolution des environnements économique et technique, les objectifs se complexifient : la qualité et la flexibilité viennent s'ajouter à la productivité. Là où on attendait des individus qu’ils respectent les règles, on attend aujourd'hui qu'ils sachent coopérer pour prendre des initiatives et faire preuve de créativité parce que, pour s'adapter aux exigences de l'environnement, les entreprises ont besoin de souplesse et de réactivité. Le manager doit s’assurer que les processus de décision en vigueur dans l’équipe sont adaptés. Il n'est pas là mais il est responsable de la qualité des décisions prises par les collaborateurs. C'est d'abord un rôle de modèle dont les équipiers peuvent s'inspirer. Le manager veille par exemple, à ce qu'il n'y ait pas de compétition d’egos mais des compétitions d'idées. Il forme ses équipiers à ce que, sur un problème donné, la question posée soit la plus pertinente, que la réponse apportée soit la plus claire et complète possible. Il promeut un processus itératif de formulation des idées. L'enjeu principal est d’encourager des résolutions de problèmes par des acteurs intelligents plutôt que de procéder à une démarche personnelle d’un chef soucieux de conserver son territoire. Cette collaboration est la condition sine qua non d'une bonne subsidiairité ou pour le moins, d’une délégation de missions. Procédant ainsi, le manager aura confiance dans la capacité de son équipe à résoudre les problèmes rencontrés. L’installation de processus de décision collective renforce l’autonomisation. Cette autonomisation augmente la capacité à gérer la complexité. Partant de ce constat, les équipiers doivent être habilités à prendre leurs propres décisions avec les informations dont ils disposent. Seules des équipes coopérant parfaitement sur le terrain (c’est à dire pratiquant l’intégration de leurs compétences individuelles) sont capables d'affronter la complexité à condition qu'elle sachent résoudre des problèmes et décider.


Si la coopération est la clé, comment la renforcer ? Renforcer la coopération permet d’armer l’équipe face à la complexité. Si le manager est convaincu des mérites d'une réelle coopération, il gomme, par exemple, certaines différences hiérarchiques au sein de son équipe et faire monter en compétence des équipiers. La qualification d’un équipier doit être suffisante pour qu’il ait une chance que sa compétence soit reconnue par ses pairs et ses clients internes. On démarre un cercle vertueux : l'image que se fait l'équipier de lui-même le valorise et elle coïncide avec la façon dont les autres le perçoivent. Dans le cas contraire (compétence non reconnue), l'équipier perd confiance en lui et perd sa capacité à prendre des initiatives. Cette différence de position conduit à une détérioration significative de sa capacité de coopération. La traduction RH, consiste à redesigner des postes ad-hoc, modes de reconnaissance, formations afin qu’ils encouragent le travail en équipe. Par exemple dans une organisation de type industriel, on va passer de postes spécialisés (un opérateur effectue un certain nombre de tâches bien précises à partir d'équipements clairement identifiés et suivant des modes opératoires prédéfinis) à des postes enrichis qui en plus, incorporent des activités amont / aval (préparation, contrôle qualité, …) et/ou des activités relevant le niveau de responsabilité des titulaires (auto organisation, gestion…) On va passer des groupes traditionnels (des opérateurs reliés chacun à un poste individuel sont supervisés par le manager) à des groupes autonomes dans lesquelles les activités de planification, d'organisation et de contrôle sont réalisés par les membres de l’équipe eux-mêmes. Sur l'aspect organisation du travail proprement dit, le manager définit les missions de chacun à exercer en coopération avec les autres équipiers, responsabilise sur la circulation de l’information, le suivi des résultats. A distance, il encourage encore l’équipe à mieux anticiper les charges de travail, Le manager définit le cadre ou le périmètre des activités, l’objectif global de l’équipe et les contraintes avec lesquelles elle doit composer. Pour le dire autrement : on cherchait avant à faire rentrer l'individu dans une case de l'organisation. Maintenant on cherche à structurer l'organisation autour des individus qui la composent car c’est d’eux que viendra la volonté ou pas de coopérer. Le manager vérifie enfin qu’une trop forte pression sur le rendement ne soit pas à l’origine de tensions et de conflits qui nuisent à la coopération entre les membres de son équipe. Il revoit les indicateurs de performance pour mieux mesurer et valoriser le collectif : il récompense les collaborateurs non plus en fonction de la quantité de travail fourni mais en fonction de leur création de valeur pour l'entreprise et pour l'équipe.


Maintenant qu’on a une équipe prête à affronter la complexité, comment la faire durer ? On sait que le fait d’être ensemble au même endroit forge une histoire commune et donc du lien, lequel façonne les normes de fonctionnement qui seront autant de repères pour les équipiers lorsqu'ils sont en télétravail. A contrario, on sait que ce télétravail amoindrit le sentiment d’appartenance et la cohésion qui, à leur tour, vont affecter les normes de fonctionnement. La coopération, clé de la performance collective, résulte donc dans le cas des équipes hybrides, d'un délicat équilibre à conserver. Protéger cet équilibre c'est pour le manager, cherche à avoir des projets intéressants et visibles pour son équipe. Si vous êtes fier d'appartenir à une équipe, vous vous identifiez fortement à elle. C’est un puissant moteur d’engagement et donc de coopération. Cette identification favorise les interactions d’un équipier avec les autres membres de l’équipe. Il fait également davantage confiance à ses collègues et supposera que la coopération sera réciproque. L'équipier agit alors d’une façon conforme aux normes qui prédominent dans l’équipe sans que le manager intervienne directement.


Ajouter le niveau de l'équipe dans son management change significativement le rôle du manager : de gardien de la conformité, il devient leader d’un écosystème capable d’affronter la complexité. Cette mutation suppose un travail conséquent sur soi, ses réflexes, ses pratiques et ses perspectives. La réflexion a démarré…


Plusieurs déclinaisons possibles à ce papier :


« Mobiliser, motiver, impliquer, engager : quels sont les leviers du manager ? » Webinaire, 1 heure.

« Le manager, animateur de son équipe à distance » formation distancielle, 1 journée.

Contact : info@clavaconsulting.com ou sur LinkedIn.


(1) W. Ross Ashby, An Introduction To Cybernetics, 1956

(2) En sociologie des organisations, la zone d'incertitudes est, dans une relation, ce que maîtrise l’un des protagonistes par rapport à l'autre. Cette zone concrétise d'une certaine façon le pouvoir qu'il a sur l'autre.

Photo : Marlene Leppänen


bottom of page