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Semaine de 4 jours : utopie mais miroir de la maturité managériale

  • Photo du rédacteur: Erwan Hernot
    Erwan Hernot
  • il y a 12 minutes
  • 5 min de lecture
Un calendrier hebdomadaire pour figurer la semaine

La semaine de 4 jours s’impose comme un sujet récurrent dans les débats sur le travail. Elle dessine en fait une question plus profonde : sommes-nous capables de piloter la performance autrement que par le temps de présence ? Question qu'on retrouve dans le reflux du télétravail, d'ailleurs ;) La semaine de 4 jours agit comme un miroir de la maturité managériale. Elle révèle la capacité réelle des organisations à faire confiance, à clarifier leurs objectifs, à supprimer les routines inutiles et à repenser les équilibres entre efficacité et vie personnelle.


1 — Une idée ancienne devenue symbole contemporain

L’idée de réduire la durée hebdomadaire du travail n’est pas neuve.Dans les années 1980, le philosophe André Gorz plaidait déjà pour une réorganisation du temps social : travailler moins, non pas pour produire moins, mais pour réinvestir la sphère personnelle, associative et citoyenne. Il voyait dans cette transformation un moyen d’échapper à la logique purement productiviste et de redonner sens au travail. Longtemps restée marginale, cette idée a connu un regain d’intérêt après la pandémie.Les expériences menées en Islande (2015–2019) puis au Royaume-Uni en 2022 ont attiré l’attention : sur 61 entreprises britanniques, 92 % ont poursuivi l’expérimentation au-delà des six mois prévus.Les salariés étaient plus satisfaits, les indicateurs de performance globalement stables, et le turnover en baisse. En France, LDLC, distributeur high-tech, a instauré dès 2021 la semaine de 32 heures sur 4 jours, sans perte de salaire, avec des résultats positifs en engagement et fidélisation.Welcome to the Jungle, média RH, a tenté la même formule pendant dix-huit mois avant de revenir à un rythme de 4,5 jours, la charge de travail étant trop dense. Le Groupe Rocher a testé le modèle sur certains sites de production et services tertiaires, tandis que l’entreprise de recyclage Yprema et la collectivité d’Ille-et-Vilaine l’ont appliqué pour attirer ou retenir leurs collaborateurs. Le modèle n’est donc pas réservé à la tech. Mais il fonctionne mieux là où les équipes disposent d’une autonomie d’organisation et où la chaîne de valeur peut être réagencée sans rupture majeure.


2 — Le retour du temps choisi

La semaine de 4 jours répond à un double mouvement. D’un côté, un besoin de respiration après des années de transformation digitale et d’hyperconnectivité. De l’autre, un dysfonctionnement managérial constant : trop de réunions, trop de reporting, trop de coordination.

Le travail à distance, massivement adopté pendant la pandémie, a donné un avant-goût d’autonomie, mais aussi révélé les limites du pilotage à distance. Depuis 2024, le télétravail recule sous la pression des dirigeants qui redoutent une baisse de l'innovation qu quotidien, de la cohésion et au final de la performance. La semaine de 4 jours s’imposeait alors comme un compromis culturel : on revient au bureau, mais moins longtemps. C’est une autre forme de flexibilité, plus sociale que digitale : non plus “où je travaille”, mais “quand je travaille”. Elle traduit une transformation silencieuse du contrat de confiance entre salariés et entreprises.


3 — La maturité managériale : condition cachée du succès

Réussir la semaine de 4 jours suppose une organisation dotée d’une maturité managériale élevée.Cette maturité, c’est la capacité à piloter la performance sur la base d’objectifs clairs, de confiance et de feedbacks réguliers — plutôt qu’à travers le contrôle horaire. Dans les organisations mûres, les résultats priment sur le temps passé, les responsabilités sont explicites, et les rituels de régulation (points d’équipe, débriefs rapides) remplacent les réunions longues et formelles.À l’inverse, les entreprises encore dépendantes de la supervision quotidienne ou des validations multiples peinent à tenir leurs objectifs en 4 jours. Une semaine de travail réduite n’impose pas seulement de nouveaux rythmes, elle exige une autre conception du management : plus adulte, plus transparente, plus horizontale. Elle met à nu les failles d’une culture où l’on confond encore “présence” et “engagement”. Voilà pourquoi, la semaine de 4 jours n'est pas prête de se généraliser !


4 — De la sociologie du travail à la réalité économique

Les économistes Pierre Cahuc et Gilbert Cette ont montré que la réduction du temps de travail n’a d’effet macroéconomique significatif ni sur l’emploi ni sur la productivité, sauf si elle s’accompagne d’une transformation de l’organisation. Les sociologues du travail, eux, s’intéressent à cette dimension organisationnelle : Jean-Yves Boulin y voit une réinvention possible du temps social, tandis que Dominique Méda y lit un changement de rapport au travail lui-même.

L’enjeu serait surtout culturel.Réduire à 4 jours revient à réinterroger le sens du temps collectif : comment organiser, coopérer, décider et se coordonner dans un espace-temps plus contraint ?

C’est là que la réduction des frictions internes devient un levier majeur. Les entreprises qui réussissent ce passage identifient les processus qui consomment du temps sans créer de valeur : réunions sans décision, reportings produits mais jamais lus, validations en cascade pour des montants dérisoires, ou encore boucles interminables de relecture interne.Éliminer ces routines n’est pas un luxe, mais une condition de survie dans un modèle à quatre jours. Sauf que.


5 — Sauf qu'éliminer les frictions est peu réaliste

François Dupuy rappelle que les “frictions” — ces négociations, ces lenteurs, ces discussions informelles — ne sont pas des dysfonctionnements : elles constituent la texture politique du collectif. Elles permettent aux acteurs de défendre leur territoire, d’exprimer leur point de vue, de préserver leur reconnaissance symbolique. La semaine de 4 jours repose implicitement sur l’idée qu’on peut supprimer ce temps politique, le remplacer par une organisation rationnelle et fluide. Mais c’est une illusion : le travail reste un espace de pouvoir et de reconnaissance, et ces jeux-là ne disparaissent pas par décret. Le véritable enjeu n’est donc pas d’éliminer les frictions, mais de les transformer en coopération productive. C’est ce que ferait un manager mature : il ne nie pas les tensions, il les régule. Il reconnaît que les relations humaines prennent du temps, mais que ce temps n’est pas du temps perdu — c’est celui de la confiance et de la coordination durable. On n'y est pas...


6 — Les limites du modèle "semaine 4J"

La promesse d’efficacité n’a rien d’automatique. Si certaines entreprises constatent une hausse de productivité horaire, d’autres observent une intensification du travail : les objectifs restent les mêmes, mais concentrés sur quatre jours. Le risque d’épuisement est réel, surtout dans les métiers relationnels ou à forte pression client. Le modèle est inégalitaire : il convient aux salariés autonomes mais beaucoup moins à ceux soumis à des horaires fixes ou à la présence physique. Enfin, il suppose un environnement RH robuste : fiches de poste actualisées, indicateurs clairs, communication transparente. Sans cela, la semaine de 4 jours devient une promesse vite déçue.

Seules 2 % des entreprises françaises l’ont réellement adoptée. Mais vous me direz qu'une idée n’a pas besoin d’être majoritaire pour transformer la culture du travail. La semaine de 4 jours agit comme un miroir collectif : elle montre où en sont les entreprises sur l’échelle de la confiance, de la responsabilité et du sens. C’est moins une norme qu’un révélateur managérial.


Conclusion

La semaine de 4 jours ne s’imposera sans doute pas partout. Loin de là. Mais elle a déjà modifié la conversation sur le travail. Elle a replacé le management au centre du débat : non plus comme un contrôle, mais comme une ingénierie du lien. Les entreprises qui la réussissent ne sont pas celles qui comptent le mieux les heures, mais celles qui savent donner du sens à chaque heure travaillée.


📚 Références

  • André Gorz (1988). Métamorphoses du travail : quête du sens, critique de la raison économique. Galilée.

  • Jean-Yves Boulin (2019). La semaine de quatre jours : le travail autrement. Les Petits Matins.

  • Dominique Méda (1995). Le travail : une valeur en voie de disparition. Aubier.

  • Dominique Méda & Patricia Vendramin (2013). Réinventer le travail. PUF.

  • François Dupuy (2011). Lost in Management. Seuil.

  • François Dupuy (2019). La faillite de la pensée managériale. Seuil.

  • Pierre Cahuc & Gilbert Cette (2018). Le chômage, fatalité ou nécessité ? Flammarion.




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