Le télétravail s'installe et constitue une nouvelle norme, même s’il faisait déjà partie de la culture organisationnelle dans nombre d'entreprises. Les discussions vont bon train, aujourd'hui sur les conséquences qu'il peut avoir sur le contrat - juridique - de travail. Je laisse aux juristes le soin de travailler ce sujet pour m'intéresser au contrat psychologique. C'est-à-dire la somme des attentes mutuelles et implicites entre les deux parties salariés et employeurs (1). Est-ce que les attentes ont changé de part et d'autres ? Probablement que la pandémie et le confinement ont laissé leur empreinte. Or les ruptures du contrat psychologique (2) génèrent 4 types de réactions : la parole, le silence, le retrait et la défection. La parole consiste à maintenir le contrat par l’échange. C'est le sujet de ce papier. Le silence du salarié (aggravé par le télétravail) devient la solution adoptée lorsque le salarié estime que les termes du contrat ne sont pas négociables. Cette approche conduit au retrait qui consiste, pour ce salarié, à réajuster son apport en fonction de la réduction perçue de l’apport de l’employeur. La défection, enfin, se traduit par un départ de l’entreprise. Ces comportements dépendent de l’équilibre perçu entre les contributions de l’individu et de l'entreprise, de l’attribution de la responsabilité dans la rupture et du sentiment de justice qu’a l’individu de la façon dont il a été traité. Mais alors comment mettre à jour des attentes non formulées par un salarié parfois télétravailleur et par des entreprises qui peinent à prendre la mesure du management hybride ? À première vue, la réponse tient de la gageure ! À seconde vue, plusieurs éléments émergent. Le management hybride doit prendre en compte trois dimensions : l’autonomie, le contrôle, la confiance. Elles obligent le manager à penser à un nouvel écosystème basé sur l'affiliation, le sens et la communication.
Le concept d'autonomie va bien plus loin que le sens commun (ne dépendre de personne). En interne, il s’agit alors de construire autour d'un salarié autonome, une organisation plus agile, où le télétravail se conjugue aussi en travail collaboratif, basé sur la confiance et sur la responsabilisation. L'entreprise attend plus du collaborateur : sa capacité à mettre en œuvre bien entendu mais maintenant aussi une réelle prise d’initiative, une prise de risque, voire une audace, le tout avec une nouvelle capacité à assumer ses actes et ces décisions (qu'il sera forcé de prendre puisque son manager ne sera pas à ses côtés au quotidien). Dans le même ordre d'idées, s’il revenait auparavant aux managers de placer la bonne personne à la bonne place en fonction d'une connaissance concrète du terrain, ce sera maintenant au collaborateur de se positionner en fonction d'une analyse approfondie de ses propres capacités. L'autonomie va jusqu'à la prise en charge de son évolution professionnelle. Le collaborateur devient plus stratégique et considère son développement de carrière comme un projet à part entière ! Il est ainsi capable de trouver la bonne combinaison de ressources, en fonction du contexte, afin que sa compétence individuelle soit reconnue par les différentes parties prenantes. Vous me direz que ça suppose un collaborateur qui a pris le temps de réfléchir à son évolution, ce qui n'est pas toujours le cas si vous vous remémorez bon nombre d'entretiens annuels. C'est vrai mais ce collaborateur a eu le temps de s'interroger sur sa propre utilité professionnelle, et celle plus large de son entreprise. Ce questionnement a fait évoluer son regard sur le rôle qu'il tient et qu'il aimerait tenir : « Qu'est-ce qui compte pour moi dans mon travail ? À quoi sert-il au delà du besoin fondamental de revenu ? Quelle est sa place dans ma vie ? Comment me nourrit-il intellectuellement, socialement ? À quoi sert mon entreprise? Qui sert-elle ? Quelle est la cohérence entre mes valeurs et les actions de mon entreprise ?" S'il ne trouve pas de réponse, ce collaborateur pourrait perdre son implication et sa motivation ou travailler sans énergie ».
Si la confiance n'existe pas au niveau global de l'entreprise (processus contraignants, mentalité des dirigeants : voir ici) elle existe des facto au niveau des managers, sur le terrain. Or, pour le manager, accepter de faire confiance c'est savoir que ça n’engage pas nécessairement la personne à qui il accorde sa confiance. Donner sa confiance l’engage, cela n’engage pas nécessairement le collaborateur ! L'affiliation reste alors une valeur sûre quand les équipes sont distribuées et les individus parfois isolés. Le manager a tout intérêt à la favoriser. Il va donc chercher l'engagement de ses équipiers, les inciter à participer activement aux décisions qui les concernent... s'il veut qu'ils les respectent ensuite. Il peut s'appuyer sur la relation que l'équipier entretient avec l'entreprise : elle a une nature identitaire. L'entreprise, même si elle n'est pas la seule, permet à l'individu de se représenter lui- même. Il construit son identité et existe socialement à travers son travail, son appartenance à un monde (un service, un métier) et à une entreprise. Par exemple, un changement mal géré peut provoquer une remise en cause profonde de cette identité individuelle en modifiant la nature de la relation qui lie un salarié à l'entreprise. Au final, le manager fait face à un salarié plus autonome, plus exigeant dans ses attentes parce que son identité dépend toujours de l'affiliation qu'elle peut proposer. Pour honorer ce contrat psychologique modifié, le rôle de l’entreprise à missions demeure toujours une option à considérer par les dirigeants.
Conscient de ses enjeux, le manager va apprendre à clarifier les contrats psychologiques. Le manque de communication, de compréhension et d'accord mutuel signifie que la plupart des salariés ne savent pas réellement que leur perception du contrat psychologique diffère probablement de celle de leur employeur... d'autant plus qu'il évolue constamment en fonction des interactions et des expériences que ces salariés ont, lorsqu'il travaillent avec leur manager. Idéalement, ce dernier réactualise fréquemment les enjeux de l’action, encourage à imaginer qu’il y a de multiples manières de faire quelque chose et non un best-way taylorien. Il donne autant d'informations que possible sur les rôles, les responsabilités, les tâches et plus globalement ce qu'il attend d'eux. Parallèlement, il prend du temps pour les écouter exprimer leurs besoins et leurs attentes. L'exercice peut paraître artificiel : beaucoup de managers expliquent qu'ils passent leur temps à parler à leurs collaborateurs. C'est vrai mais les conversations dépassent rarement la portée purement opérationnelle. Attentes et besoins sont souvent cantonnés à l'entretien annuel. Or, les collaborateurs qui sentent qu'ils peuvent parler avec leur manager sont beaucoup plus engagés. Ainsi, ce dernier installe les conditions dans lesquelles la plupart de ses équipiers se sentiront totalement redevables de l'écoute et de la confiance qu'il leur accorde. Le dialogue appelle le dialogue. Ces équipiers ressentiront un besoin de l’informer très régulièrement voire de prendre plus de temps pour finir un dossier. Ils réagiront par une forme d’autocontrôle. Ils auront tendance à accroitre leurs promesses envers l'entreprise, car leurs attentes auront été dépassées par la confiance mise en eux. C'est une façon de rééquilibrer le contrat psychologique modifié coté salarié.
Les suites logiques à ce papier sont :
Webinaire : « Le contrat psychologique post Covid » Durée : 1h00.
1. Les travaux fondateurs d’Argyris et de Schein dans les années 1960 ont permis d’élaborer le concept de contrat psychologique. Denise Rousseau, professeur à Carnegie Mellon University, a formalisé le concept.
2. The Affective Underpinnings Of Psychological Contract Fulfillment, Sylvie Guerrero, Olivier Herrbach, Journal Of Managerial Psychology, 18 janvier 2008.
Photo : Andrea Piacquadio
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