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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Les plateformes arrivent à maturité : quel management ?

Si on estime que l’ère numérique est la quatrième révolution industrielle, la question de l’adaptation des entreprises “non digital natives” à l’économie de plateforme, continue à se poser intensément. Dans ce contexte, comment est impacté le management ?


En quelques mots : les plate-formes sont arrivées à maturité. Premier bilan : elles ont profondément modifié les chaînes de valeur ET la notion même de valeur. Pourtant le management reste ancré dans le modèle économique précédent (linéaire) : difficile alors d'exploiter à fond ce potentiel de valeur pour les clients.

 

En beaucoup plus de mots : la croissance de l'économie numérique devrait représenter 25% de l'économie mondiale cette année, contre 15% en 2005*. En conséquence, de plus en plus d'entreprises se sont tournées vers des modèles d’affaires basés sur des plateformes. KPMG valorise la totalité de l’économie de platforme (des milliers d’entreprises) 7.18 billions de dollars**. Si par exemple, Accor voulait éviter de devenir une simple commodité, fournisseur de chambres d’un acteur maîtrisant l’accès aux clients (Booking), l’entreprise devait réagir et lancer sa propre plateforme. Cet exemple est valable pour la plupart des entreprises “non digital natives”. En 2020, le temps de l’hyper croissance de ces plateformes, démarré au début des années 2000, est toutefois terminé. Leurs dirigeants cherchent d’ailleurs à identifier de nouvelles perspectives de croissance. C’est par exemple illustré par Amazon dans le divertissement et l'épicerie (Whole Foods Markets). Mais le fait est que les plateformes sont installées et qu’elles ont modifié en profondeur les chaînes de valeur. Ainsi la théorie des rendements décroissants associée aux modèles traditionnels de chaîne de valeur a été contredite par les plateformes : dans la «longue traîne***» de la courbe de distribution, les interactions génèrent de la valeur au delà du monde borné du modèle linéaire (illustré ci-dessous) avec une incidence directe sur le management.



Dans ce modèle linéaire, la différence avec mes concurrents se fait dans l’optimisation de ma ligne (de la coordination et des négociations avec mes fournisseurs jusqu’au contact avec le client final) : plus vite, moins cher ou meilleur rapport qualité/prix. D’une certaine façon, le processus est un des actifs les plus importants de l’entreprise. Par conséquent, l’autorité est concentrée dans les mains d’un petit nombre de personnes positionnées au sommet de l’organisation et gardiens du processus, générateur de valeur. Le management Command & Control règne. C’est la hiérarchie qui décide car les ressources sont rares et les décisions perçues comme immédiatement très conséquentes sur la chaîne de valeur. L’autorité et les instructions “descendent” dans la structure. Le manager, récipiendaire de l’autorité, en délègue à son tour une partie à certains membres de son équipe pour qu’ils réalisent leur mission. L’organisation en « râteau » qui en découle s’apparente à une cascade de responsabilités. Les contributions individuelles sont formalisées à travers des postes aux frontières précises. Une fois les tâches décrites et l’ordre de leur enchaînement précisé, on met les bonnes compétences aux bons endroits. Par ailleurs, chaque problème de coordination est traduit en procédure. A la limite, en suivant les règles, on se coordonne sans avoir besoin ni de se voir ni même de se parler. La hiérarchie contrôle que le travail est réalisé conformément à la manière dont il a été défini. Le manager est d’abord un superviseur. Il est aussi un arbitre qui résout les problèmes dont les réponses ne se trouvent pas dans les procédures.


Les interactions, actif de l'entreprise


Les plateformes, bénéficiaires de la longue traîne n’évoluent pas dans une chaîne de valeur linéaire et bornée. La différence avec mes concurrents se fait dans la valeur générée par les interactions sur les plateformes. D’une certaine façon, le nombre des utilisateurs et leurs interactions sont un des actifs les plus importants de l’entreprise. Le marché valorise donc une capacité à satisfaire des utilisateurs. Les équipes doivent être efficaces dans leur flexibilité, leur capacité à toujours accroître la vitesse transactionnelle et à s’adapter : à chaque nouvelle transaction, les avantages pour tous les utilisateurs se renforcent, créant des effets de réseau qui font croître la plateforme de façon exponentielle. Ce modèle de marché n’est pas nouveau ; il existe depuis des siècles. Le trait distinctif du modèle actuel c’est la puissance croissante de la connectivité, des données et de leur analyse grâce à des outils à faible coût basés sur le cloud. Le modèle d’affaires des plateformes (illustré ci-dessous) consiste donc à s’ouvrir aux interactions internes et externes. Dit autrement : à favoriser l’expérience client et par conséquent l’expérience employé. La hiérarchie pyramidale est mal équipée pour gérer cette complexité.




L'engagement à répondre aux besoins des clients dans 100% des cas guide les entreprises-plateformes vers la gestion de la qualité et l'amélioration continue des opérations. Comme la technologie permet une prise de décision de plus en plus rapide, le temps nécessaire pour obtenir une réponse raccourcit. Le besoin d'une organisation flexible qui peut pivoter, devient crucial. À mesure que leur capacité de prédire et donc de planifier diminue, les dirigeants mettent donc davantage l’accent sur l’architecture organisationnelle (configurer et reconfigurer ad-hoc les services, produits, structures) que sur la planification stratégique. On n’est plus dans une ligne : l’augmentation de la complexité rend indispensable le travail d'équipe complémentaire composée d’acteurs ayant une vision globale du monde et faisant fi des cloisonnements “silo” classiques. Ça modifie en profondeur la pratique du management. Suivre les lignes hiérarchiques ne fonctionne pas bien car les problèmes sont multidimensionnels et appellent une intervention multidisciplinaire.


Inopérabilité du Command & Control


Ce qui entraîne une inopérabilité du Command & Control. Le travail d'équipe doit se traduire dans un leadership et une gouvernance collaborative favorisant la co-construction. Les méthodes Agile, Lean, Design Thinking sont adaptées. Les décisions opérationnelles se font en équipe. Cette “descente” des décisions s’accompagne d’un changement notable sur l’accès à l’information. Afin de prendre de meilleures décisions en période d'incertitude accrue, les collaborateurs ont besoin d’un cadre interprétatif : l’accès à toute l'information est nécessaire, des démarches comme l'approche Open Book sont évoqués. Le contexte impose aujourd’hui aux dirigeants d’accompagner la transformation de l’état d’esprit de leurs managers, de passer d’un management codifiée à de l’open management (au sens de l’ouverture d’esprit). Les managers avaient l’habitude d’appliquer des cadres, des processus et de se référer à des indicateurs. Aujourd’hui on leur demande au minimum d’être un peu plus que de simples utilisateurs de systèmes experts pour comprendre la logique et les perspectives ouvertes par les plateformes, de proposer des idées, d’analyser des situations (esprit critique) et de résoudre plus de problèmes donc de prendre des risques et de co créer des solutions avec les utilisateurs, leurs équipes, les parties prenantes sans nécessairement répliquer ce qu’ils savent faire.


* Selon les calculs d'Accenture en 2016.

** KPMG cité dans "Impact 21st Century, Change Management" de Paul Gibbons

*** A prendre au sens de Nicolas Colin et de son livre “L’âge de la multitude”

Schémas inspirés de Marshall W. Van Alstyne, Harvard Business Review

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