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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Itinéraire d'un manager comblé


Dans une entreprise, les acteurs perçoivent le contexte et les problématiques selon leur place dans le système. Le saut est particulièrement significatif quand, de contributeur opérationnel, on franchit le seuil du management. Il l’est tout autant lorsqu'on passe de manager à manager de managers. Dans les deux cas il faut changer sa façon de penser et d’agir. L'évolution d’un manager nécessite une mue progressive mais inévitable. Prenons le cas d'un manager d'une chaîne de supermarchés qui aurait évolué dans la même entreprise et déroulons son parcours managérial, de manager de 1er niveau jusqu’au comité de direction.


Le nouveau manager de 1er niveau, normalement, découvre que cette mission est bien plus compliquée qu'il ne l'imaginait ! Pour la première fois de sa vie, le rôle de manager va amener un acteur à être responsable d'un travail fait par d'autres et non par lui-même. Il faut reconnaître cette transition intellectuelle. Les entreprises sont constituées d'individus (et de groupes) interdépendants mais avec des intérêts divergents. Le manager doit trouver comment équilibrer ou concilier ces intérêts concurrents afin de pouvoir allouer les rares ressources disponibles. Dès, ce premier poste, s’il ne fait pas encore de la stratégie, il est tactique dans ses choix ! Avant, en tant qu’opérationnel, cet acteur avait « le luxe » de ne se soucier que de ses propres préoccupations. Il y a de fortes chances qu'il ai été recruté en tant que manager parce qu'il était excellent dans un métier. C’était une « star ». Il avait un fort crédit auprès de ses pairs et de son patron en raison de son expertise technique, de son expérience et de ses efforts. Il éprouve un choc quand il découvre que, dans son nouveau rôle, ses anciens atouts ne pèsent plus le même poids. Tout est à recommencer : le nouveau manager doit trouver une nouvelle crédibilité… de manager capable de faire avancer les choses à travers les autres. Il commence à sortir du « faire » pour se positionner dans le « faire faire ». Il apprend ainsi la valeur des relations et comment les utiliser pour développer les compétences de son équipe. Sa capacité à travailler en étroite collaboration avec eux est fondamentale. C’est elle qui lui permet de les guider. Il les dirige sur des tâches spécifiques pour fournir des services essentiels ou pour diriger des projets d'équipe. C’est encore assez facile : il s’agit de consignes opérationnelles. Si elles sont pertinentes, elles sont évidentes pour des gens de métier. Au delà, il doit trouver de nouvelles sources de pouvoir et d’influence pour pouvoir défendre les intérêts de son groupe, ici l’équipe du magasin dont il a pris la charge. Ainsi, dans un sens, il doit devenir « politique », c'est-à-dire comprendre la dynamique politique des organisations et développer le pouvoir et l'influence nécessaires pour s'y mouvoir.


Imaginons que notre directeur de magasin réussisse sa 1ère mission d’encadrement ; il est alors promu directeur de district, qui englobe trois magasins. Dans sa communication, il s'agit de moins en moins de consignes opérationnelles qui, elles, sont données par ses directeurs de magasin, seuls habilités à décider en professionnel sur le terrain. En tant que de directeur de district, il essaie de maintenir le contact en visitant les sites et en passant le plus de temps possible avec les directeurs de magasin et les chefs de rayon. L’animation devient subtile : il doit prendre sa place, sans prendre de la place. Il a de bons directeurs de magasin ? Ils sont engagés et veulent qu’on leur laisse de l’espace. Son équipe ne doit être que très rarement bloquée à cause d’une de ses décisions. Si un manager de managers comme lui, intervient directement et de façon régulière auprès des collaborateurs des managers de niveau 1, il risque de les court-circuiter et de les déresponsabiliser. Il fait le deuil d’une partie de ce qu’il estime être les éléments décisifs de son efficacité comme l’expertise technique ou la qualité relationnelle avec les équipes terrain. Il prend le recul nécessaire et quitte l’opérationnel, l’urgence de l’action. Le travail n'est plus technique ; il ne pilote plus directement la performance. Il agit sur un système : le périmètre de son contrôle est plus large mais il n'a désormais qu'une influence indirecte sur les opérations plus qu’il ne dirige. C’est un mélange presque égal de management (faire les choses dans les délais et dans les limites du budget) et de leadership (motiver les acteurs à agir et à se développer). Il engage ses managers à décider en autonomie. Il apprend encore à gérer en transverse, en dessous et au dessus. Il a besoin, lui-même, de temps pour comprendre et répondre aux demandes de son propre manager. Il doit pouvoir s'isoler et réfléchir : « De quoi ai-je besoin pour réussir ? » A ce poste, ses décisions sont guidées par le plan stratégique. Il sécurise les ressources en fonction de ses objectifs. Il développe les compétences en relations humaines de ses directeurs de magasin afin de leur faire passer le cap qu’il a franchi lui même et investir énergie et talents dans le management. Enfin, lorsque on dirige une grande équipe, on affronte la complexité et on commet de nombreuses erreurs. Or, ceux qui arrivent à ce stade, ont toujours réussi - et pour beaucoup, cela signifie qu'ils ne sont pas habitués à faire des erreurs (on parle ici d'erreurs qu'ils ne peuvent pas corriger rapidement). L’analyser et l’accepter est essentiel. Il convient d'avoir un ego souple ; par exemple on ne peut pas trop s'en vouloir ; sinon ce sera paralysant dans la suite du parcours.


Imaginons maintenant que notre directeur de district a encore réussi ! Il est promu directeur régional dont le périmètre intègre 10 districts. Il ne tarde pas à se rendre compte qu'il ne peut plus visiter les magasins parce qu'il est maintenant perçu comme un étranger dont les visites perturbent le fonctionnement des magasins. Sa venue est un évènement : il faut nettoyer le magasin pour le grand chef ! Il doit prendre conscience du poids des symboles et du pouvoir de ses paroles. Ainsi, c'est un leurre de croire qu’il peut effacer la distance instituée par le pouvoir ; un certain nombre d’acteurs donneront à ses opinions une importance démesurée. Ce n'est pas un détail : à un moment donné, ce directeur régional fera un commentaire sans en avoir pesé les mots et quelqu'un changera complètement un plan en fonction de ces paroles. Son langage corporel lors d'une réunion est décodé et le degré d'intérêt qu’il semble manifester pour un sujet auront un impact sur les acteurs concernés. Certains utiliseront également ses commentaires comme moyen de mener des batailles - «Le DR a dit…» L’exemplarité s’applique à tous, mais devient encore plus forte pour le directeur régional. Il a déjà compris dans son poste précédent qu'il devait accepter que sa réussite dépende encore moins de lui que de son environnement et d'autres acteurs - son patron, ses managers et leurs équipes. La notion de pilote d’un système est encore plus évidente. Elle a plusieurs conséquences. En montant dans la hiérarchie, il s'ouvre de plus en plus sur l'extérieur de l'entreprise. Ainsi, il intègre les autres leaders du même secteur d’activité dans son réseau. Ce « grand chef » s’appuie de moins en moins sur ses propres observations et doit gérer selon des règles, des principes et des données que lui rapportent ses directeurs district. Il ne peut être personnel qu'avec ces 10 collaborateurs immédiats. Il change de perspective à 2 titres.

  • D’abord, il prend en compte le fait qu’il fait face à des spécialistes, ce qu’il n’est plus : ceux qui font le travail ont des données, une expertise dans le domaine ou un historique qui peuvent signifier qu’ils ont raison et que lui a tort. Son focus dans une conversation n'est plus l'expertise métier mais la validité logique d'un raisonnement.

  • Avant, il regardait vers le haut (la direction régionale voire générale) ; maintenant il regarde vers le bas et convertit la vision en stratégie. C’est à dire qu’il produit du sens. Pour révéler le sens de l’action collective et individuelle, le directeur régional peut la co-construire avec ses directeurs de district. Mais une de ses prérogatives sera de s’assurer que ses directeurs de magasins l’ont bien compris, qu’ils y adhérent afin de le partager eux mêmes avec leurs équipes. Cette descente en cascade ne peut se faire par une simple réunion Power Point. C’est en maintenant un dialogue constant avec les équipes qu’il réussira sa mission. Le directeur régional devient un levier de changement pour les autres. Sur ce niveau de poste, la complexité est telle qu'un dirigeant comme lui doit être prêt à laisser des acteurs faire des erreurs parce que c'est la seule façon, pour eux, d'apprendre.


Enfin en emménageant au siège social, notre directeur régional devient directeur national des ventes du développement. Sa perception se situe maintenant au niveau de l'entreprise, au cœur des liens entre elle, son marché, ses concurrents, ses clients, ses réseaux de partenaires. Sa fonction de vigie externe peut l'amener à engager des partenariats stratégiques avec des fournisseurs. La performance est conçue de façon globale. Il se rend compte qu'il doit maintenant trouver des moyens de développer ses directeurs régionaux et de les aider à développer leurs subordonnés. Sa langue maternelle devient la finance. Sa propre performance est ainsi mesurée par les indicateurs financiers de chaque région. De plus en plus de son temps est dédié à examiner les résultats financiers et à les justifier auprès du PDG et du conseil d'administration. Le comité de direction dont il fait partie, réfléchit à l’avenir et décide sur des critères économiques, stratégiques (pertinence des choix de survie/développement), structurels (processus, règles, etc.), réglementaires, financiers et RH. Dans son raisonnement, il ne voit plus l'humain en tant que personne mais en tant que ressource (voire de capital humain) détenant une partie des conditions de la performance de l’entreprise pour produire de la valeur. Les compétences métier productrices d'avantages concurrentiels sont ainsi particulièrement surveillées. Toutes ses décisions sont basées sur la vision et le plan stratégique. Il en prend une petite dizaine par an, qui ont un impact très fort sur l’entreprise. Il s'est également rendu compte que pendant tout ce temps, il perdait sa familiarité fonctionnelle non seulement avec les gens, mais avec le travail lui-même. Il est devenu de plus en plus dépendant de l'organisation en dessous de lui parce qu'il sait de moins en moins comment les choses fonctionnent réellement. Pour prendre une métaphore d’aviation, ce n'est plus un pilotage à vue mais un pilotage aux instruments : l’autorité formelle et les processus. Renouer le contact avec le terrain nécessite maintenant des tactiques (comme par exemple les visites dans les magasins). Ce contact reste toutefois indispensable pour boucler la boucle ; c'est-à-dire constater par soi-même l'alignement des acteurs dans l'organisation.


Le modèle Command&Control établissait une claire distinction entre un leader qui pense et un manager qui fait appliquer les ordres du premier. On voit que toute personne en situation de responsabilité déploie des missions de leader et de manager. La proportion entre les deux rôles évolue en fonction des postes. Plus les postes sont de nature opérationnelle, plus la partie manager sera représentée. Plus les postes seront de nature organisationnelle (dans l’organisation de la production et non dans sa réalisation), plus la partie leader sera importante.


Les suites logiques de ce papier :

Webinaire : "L'évolution managériale et le positionnement des ressources humaines". Durée 1h00. Ce webinaire est intéressant pour deux populations : les jeunes managers et les jeunes spécialistes de ressources humaines.


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