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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Va-t-on supprimer le manager ? Et quid alors des missions managériales ?


La suppression du manager ne supprime pas les missions managériales
Supprimer le manager ?

Air à la mode : les technologies (avec l'arrivée des IA génératives, type ChatGPT) évoluent rapidement. L'automatisation croissante change la répartition du travail. Les tâches routinières sont de plus en plus prises en charge, permettant (en théorie (1) aux employés de se concentrer sur des aspects plus créatifs et stratégiques de leur travail. Les technologies de communication facilitent, quant à elles, la collaboration à distance et la connectivité globale. Les équipes travaillent ensemble sans être physiquement présentes au même endroit, ce qui remet en question la nécessité d'une supervision hiérarchique constante. Les structures hiérarchiques classiques, trop complexes, ralentissent le processus de prise de décision. Les entreprises cherchent de plus en plus à favoriser une culture de l'innovation. L'accent est mis sur les idées et les contributions, qui peuvent venir de n'importe où dans l'entreprise, et pas seulement des niveaux supérieurs. Cela conduira à une structure organisationnelle plus plate et plus décentralisée. D'ailleurs, les nouvelles générations d'employés recherchent des environnements de travail plus flexibles, collaboratifs et inclusifs. Les structures organisationnelles traditionnelles sont alors perçues comme rigides et hiérarchiques. N'en jetez plus : la démonstration est claire ! Les managers sont une espèce envoie de disparition ! Vraiment ? C'est en tout cas l'hypothèse qu'explore ce papier.


Si certains augurent de la fin des managers intermédiaires, il faut immédiatement ajouter que les missions managériales, elles, ne disparaissent pas. Elles demeurent, complexes et multiformes. Qui va alors les remplir ?


Avant de tenter une réponse, un rappel de la nature des groupes. Si vous refusiez de définir des structures de pouvoir personnifiées par un manager, des structures hiérarchiques informelles apparaîtraient presque instantanément. Dans tout système comprenant des humains, des relations de pouvoir existent, qu'elles soient formalisées ou non. Ces systèmes ne se limitent pas aux entreprises. Ils sont présents dans tous les aspects de la vie quotidienne. Les familles, les écoles, les gouvernements, les communautés et d'autres groupes sociaux ont également des structures de pouvoir qui façonnent les relations et les décisions. Le pouvoir peut être entendu comme une influence, c’est-à-dire la capacité pour un individu, d’imposer ses vues à autrui. Par ex. des individus influencent d'autres par le biais de relations personnelles, de compétences, d'expérience ou de connaissance. Ces relations peuvent être basées sur la confiance, la popularité, l'expertise ou d'autres facteurs. Elles peuvent souvent être aussi effectives, voire plus, que la hiérarchie formelle. Le pouvoir peut encore être entendu comme une force, c’est-à-dire une puissance d’action, qui exerce sur les autres, une contrainte. Première conclusion partielle : la suppression des managers ne signifie pas la disparition du pouvoir dans le groupe.


On parle de la fin des managers, mais d'où part-on ? Cette suppression serait un grand écart par rapport à la situation de la plupart des entreprises : les libertés décisionnelles des personnels (y compris managers) de première ligne sont très limitées. Par ex. les commerciaux, le personnel des centres d’appels, les superviseurs et les employés des chaînes de montage sont généralement enfermés dans un carcan de règles et de procédures. On sait qu'il est impossible de libérer les capacités humaines sans d'abord élargir l'autonomie des employés. Mais c'est - même si ce n'est pas exprimé ainsi - assumé par les dirigeants, qui préfèrent un contrôle qui les rassure à une liberté plus fructueuse pour l'entreprise, mais qui pourrait les déstabiliser. A cet égard, la connaissance marque le début de l'autonomie. Il est piquant de constater qu'aujourd'hui (même avec un manager), cette connaissance n'est pas beaucoup partagée. Par ex. dans certains réseaux (commerciaux, bancaires), les directeurs de magasins (d'agence bancaire) ne disposent pas toujours d'un véritable compte de résultats. Au mieux, ils obtiennent un ensemble de comptes synthétiques qui ne leur donnent qu'une indication approximative de la rentabilité réelle de leur magasin et ils obtiennent rarement des informations détaillées sur les performances des autres unités. On comprend pourquoi : l'asymétrie d'information dégage des marges de manœuvre pour le siège social, qui peut ainsi modifier, à volonté, les mécanismes d’incitation et exhorter les unités les plus performantes à faire encore mieux ; lesquelles n'ont aucune base de comparaison pour arguer des efforts déjà engagés ou juger de l’impact réel de leurs décisions sur les bénéfices. Face à ce déficit d'information, un manager limite les dégâts et compense ce manque en s'appuyant sur son expérience, son intuition et son intelligence émotionnelle voire son propre manager. La disparition du manager est-elle la garantie d'une information complète mise à la disposition de l'équipe, par les dirigeants, pour qu'elle décide ? Je n'en suis pas certain. Deuxième conclusion partielle : la suppression des managers suppose un énorme changement dans les entreprises, une perte de marge de manœuvre (donc de pouvoir) des dirigeants. A part quelques pionniers (toujours les mêmes, quelques soient les études ou les ouvrages considérés), dont on a maintes fois parlé, je n'en vois pas beaucoup d'autres prendre le relais.


L'équipe sans manager ne pourra pas compter sur l'IA pour l'épauler sur la totalité des missions managériales. Celle-ci ne peut diffuser que l'information qu'on l'aura autorisée à accéder. Ensuite, bien que l’IA puisse automatiser certaines tâches et processus, plusieurs facettes du management font appel à des capacités humaines qu'elle peut difficilement prendre en charge. L’intelligence artificielle est très performante dans l’analyse, la reconnaissance vocale et faciale, l’apprentissage automatique. Elle est efficace dans l'aide à la décision (rôle d'assistant), la proposition de décisions à prendre (rôle prédictif) voire dans la prise de certaines décisions (rôle décideur). Elle a des difficultés avec la compréhension contextuelle, les considérations éthiques et la gestion de l’incertitude. Il lui manque la capacité de saisir les nuances émotionnelles qui sont cruciales dans de nombreux scénarios de prise de décision. Elle est moins efficace dans les champs de la problématisation, de la créativité et de développement personnel. Troisième conclusion partielle : l'IA aidera mais ne constituera pas LA solution.


Les managers disparaissent, les responsabilités doivent être assumées collectivement par le groupe lui-même. Ce changement de paradigme nécessite une meilleure organisation, une autorégulation, une culture commune, une communication efficace au sein du groupe. Prenons par ex. l'autorégulation : elle devient impérative pour que les groupes maintiennent l'ordre et l'efficacité. Chaque membre doit assumer la responsabilité de ses actes et contribuer au fonctionnement global de l'équipe. Cela suppose d'abord une belle maturité personnelle de chaque équipier, qui a déjà fait un travail sur lui même et se connaît. Ensuite, cela implique d'adhérer à des normes et des valeurs partagées qui dictent des comportements et des niveaux de performance acceptables. En favorisant ces normes, valeurs et ces structures partagées et en s'engageant dans des discussions ouvertes pour ajuster les rôles, les équipes doivent réussir à instaurer de la confiance qui permet l'établissement d'accords cruciaux pour trouver un équilibre entre autonomie et collaboration, définir des limites pour assurer la cohérence et prévenir les conflits. L'écosystème, sans manager est extrêmement précis (holacratie, sociocratie,…) ; les missions managériales s'intègrent dans des processus que chaque acteur s'engage à respecter. Ainsi, au lieu de s'appuyer sur une seule figure d'autorité, le groupe va devoir, seul, affronter sa propre diversité. Il doit, par exemple, établir des processus qui permettent une participation et une contribution inclusives de tous les membres. Cela devrait garantit une diversité de points de vue et favoriser un sentiment d'appropriation des décisions prises, condition sine qua non de leur exécution puisqu'il n'y a plus pouvoir de contrainte du manager. En s'engageant dans des discussions ouvertes, en tenant compte de différents points de vue et en recherchant un accord, les groupes peuvent arriver à des décisions bien informées et mutuellement convenues qui reflètent l'intelligence et l'expertise collectives. Mais ça suppose une maîtrise également collective des différentes techniques d'argumentation, d'écoute active, de facilitation. Idem pour la prise de décision évoquée : laquelle adopter ? Autocratique (par délégation à un membre de l'équipe), majorité, conseil, consentement, consensus, selon les situations dans lesquelles les groupes se trouvent. Tout ça prend beaucoup de temps à se réunir, instaurer la confiance, nouer des relations. Or, l'appartenance à un collectif n'est pas une garantie de confiance. Le télétravail, sur le long terme, érode les liens interpersonnels. La base de confiance s'affaiblit : ce qui mène à une situation où l'intérêt commun se révèlera peu et où les acteurs, moins rompus aux interactions contradictoires du quotidien, se sentiront attaqués à la moindre discussion sur un enjeu sérieux. Les équipes ne possèdent généralement pas les compétences relationnelles qui leur permettraient de fonctionner sans autorité d'un manager (qui sert en plus de bouc émissaire ; ce qui est pratique). Quatrième conclusion partielle : sans préparation à 1. comprendre les données, 2. Interpréter lesdites données et 3. gérer les potentiels conflits d'interprétation, la paralysie des équipes est probable.


Conclusion : les missions managériales demeurent… et les managers changent. Les histoires d'entreprise décrivant une organisation totalement plate sont extra-ordinaires. Dans les situations plus ordinaires (et plus courantes), la suppression des managers me semble illusoire. Pour autant, Il serait faux de croire que l'ordre actuel est immuable. Il serait déjà honnête de constater que la manière dont la conduite des affaires se déroule réellement a peu de lien avec la stratégie développée initialement au siège de l'entreprise. Il y a une ré-interprétation : la stratégie est élaborée étape par étape, à mesure que les managers à tous les niveaux d'une entreprise – qu'il s'agisse d'une petite entreprise ou d'une grande multinationale – engagent des ressources dans des politiques, des programmes, des personnes et des installations. Trait d'union entre la stratégie et l'exécution, le manager reste au cœur du dispositif de la création collective de valeur. Certaines entreprises prennent la mesure de cette réalité et s'appuient sur des hiérarchies plus dynamiques que statutaires. Si le manager reste dépositaire de l'autorité ultime, il s'appuie sur des spécialistes qui possèdent plus de connaissances et d'expérience et ou d'expertise que lui dans un domaine un contexte donné et dont il est obligé de tenir compte. Non, seulement, le manager ne disparaît pas, mais il doit être plus talentueux que celui du XXe siècle, parce qu'il doit à la fois maîtriser des compétences métier, des compétences managériales classiques et des capacités de facilitateur, de coordinateur, de leader.


(1) : L'intelligence artificielle prend en charge les tâches routinière… en théorie. En pratique, je m'aperçois, chez certains clients, que les équipes doivent revérifier le travail de l'IA ;) Au final, on a donc rajouté - pour l'instant - une couche de travail sans véritable progrès !


Photo : freepik



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