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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

La vérité est ailleurs ;) la place de l'informel dans l'entreprise


Les entreprises sont généralement représentées à partir d'une structure formelle. Sa conception tient aux réponses aux questions suivantes : Quels sont nos objectifs? Quelles sont les tâches de base? Qui prend quelles décisions? Comment l'information circule-t-elle et quelle est la mécanique d'incitation à faire quelque chose ? Qui a accès aux ressources ? Qui a la responsabilité ? Si l'organigramme est le document le plus courant pour représenter la structure de l'entreprise et rappeler aux collaborateurs le "bon" canal hiérarchique pour gérer les problèmes, il reste l'héritier d'une vision réductionniste (on peut réduire un tout en la somme de ses parties) de l'entreprise. Il ne fournit en effet qu'une image partielle de l'organisation : processus de division du travail, coordination. Même dans ce dernier cas, il n'est pas complet et jamais à jour puisqu'il ne prend pas en compte tous les groupes de travail, commissions, instances diverses et variées qui se forment et se délitent au rythme du travail. En fait, pour la plupart des gens, l'organigramme n'est guère qu'un document à partir duquel on peut déduire qui gagne le plus d'argent ;). Outil de repérage par définition, il exprime aussi les mythes et la symbolique de l'entreprise si on sait lire entre les lignes. Il est ainsi piquant de se rappeler les heures passées à négocier entre acteurs lors d'une fusion entre deux entreprises, pour un rattachement qui finalement figure sur le papier non pas dans une ligne pleine mais en pointillés ! Il faut superposer plusieurs cartes pour lire complètement la réalité d'une entreprise. L'organigramme ne correspond qu'à la carte visible de tous. D'autres éléments, informels ceux-là, déterminent pourtant les comportements des acteurs. Faire l'inventaire de leur portée, tel est l'objet de ce papier.

  • Le premier élément informel est évidemment la culture réelle (pas celle proclamée, qui remplit les pages du site web) de l'entreprise. De par sa nature même, il est généralement ignoré. Pourtant il existe un lien fort entre la stratégie et la culture. Cette dernière agit à deux niveaux. Tout d'abord en "entrée", comme un filtre sur les perceptions qu'auront les acteurs de l'entreprise, de l'environnement des affaires. D'une certaine manière, la culture contribue ainsi à façonner les stratégies qui seront conçues puis adoptées. Ensuite, en "sortie" : ces stratégies ne pourront pas être mises en Å“uvre avec succès que si elles sont en ligne avec la culture qui induit le comportement des acteurs. Un avantage concurrentiel décisif vient toujours d'une stratégie pertinente assise sur une culture alignée. Pourtant les dirigeants biberonnés à la vision réductionniste de l'entreprise comprennent relativement peu comment intervenir pour apporter les changements de culture nécessaires ... au-delà de l'incantation.

  • Deuxième élément, les structures informelles (au sens de non officielles) de l'organisation sont souvent considérées comme les plus importantes, car elles révèlent comment l'entreprise fonctionne réellement. Pourtant là encore, elles sont ignorées par beaucoup d'acteurs internes. Elles sont créées à l'initiative de certains individus, au fur et à mesure des circonstances. Par exemple, certains ne font pas exactement ce que leur titre indique quand d'autres dirigent de fait alors qu'ils n'en ont pas le titre. Les structures informelles ont tendance à se former naturellement au sein des organisations, généralement autour des structures formelles ; par exemple, à l'intérieur d'une équipe, les membres ont tendance à former leurs propre hiérarchie. En France, dans certaines entreprises à forte composante d'ingénieurs, par exemple, vous retrouvez une hiérarchie informelle, des écoles d'ingénieurs. « Dans chaque département qui continue de fonctionner, les travailleurs se sont – qu'ils en soient conscients ou non – constitués en un groupe avec des coutumes, des devoirs, des routines, voire des rituels appropriés. Le manager réussit (ou échoue) dans la mesure où il est accepté sans réserve par le groupe comme autorité et leader » (1)

  • Cette citation d'Elton Mayo introduit le troisième élément informel : le leader. Ce que dit ce chercheur c'est que le manager réussit lorsqu'il parvient à faire coïncider son poste de responsable formel (manager) et informel (leader). Ce leader est celui qui donne le ton (informel) quant à l'accueil d'un nouveau projet par exemple. Car il dicte souvent la manière dont la communication circule dans son périmètre et la façon dont les informations sont réellement filtrées et interprétées. Or ce leader fait face un paradoxe : il tient son succès de sa double dimension formelle et informelle mais il risque de perdre le contact avec cette structure informelle quand sa carrière progresse. Plus il monte dans la hiérarchie, plus il doit s'appuyer sur la structure formelle… qui est donc incomplète. Par exemple, en emménageant au siège social, un directeur régional devient directeur national des ventes. Sa perception de la réalité se situe alors au niveau de l'entreprise, au cÅ“ur des liens entre elle, son marché, ses concurrents, ses clients, ses réseaux de partenaires. Sa propre performance est mesurée par des indicateurs financiers. Pendant ce temps, il a perdu sa familiarité fonctionnelle non seulement avec les gens, mais avec le métier lui-même. Il est devenu de plus en plus dépendant de l'organisation en dessous de lui parce qu'il sait de moins en moins comment les choses fonctionnent réellement. Pour prendre une métaphore d’aviation, ce n'est plus un pilotage à vue mais un pilotage aux instruments : l’autorité formelle et les processus. C'est un risque que les hauts responsables politiques connaissent bien et qu'ils essayent de contrecarrer avec les fameux visiteurs du soir.

  • Le quatrième élément informel se loge dans une notion qui semble pourtant très formalisée : le pouvoir. Dans toute organisation, des règles formelles sont établies mais même si les dirigeants ont pensé tout prévoir, il reste toujours des zones d’ombre, dites « zones d’incertitude » qui sont source de pouvoir pour certains acteurs. L’organisation la plus contraignante laissera toujours une marge d’autonomie aussi minime soit-elle à ses acteurs. Ainsi plus il y a de règles, plus elles finissent par se contredire, plus les individus se créent des marges de manÅ“uvre, obtenant ainsi une source de pouvoir non prévue par lesdites règles. Car le pouvoir naît de l’interdépendance des acteurs. Celui qui maîtrise, même partiellement, une zone d’incertitude, importante pour le fonctionnement de l’entreprise, est en quelque sorte irremplaçable. Il réussit alors à créer une dépendance des autres à son égard. Face cachée des sources formelles de pouvoir, les zones d’incertitude prennent souvent appui sur des informations « non officielles », celles qui ne passent pas par les canaux traditionnels, ou des compétences « implicites » dont les titulaires refusent toute formalisation, celles qui ne figurent donc pas dans les référentiels, celles qu’on acquiert par la pratique, pas en formation ».

  • Ce qui nous amène au cinquième élément : le savoir tacite et donc informel. Jusqu'à récemment,ce concept était négligé mais cela a changé car ce savoir-faire tacite est reconnu comme contributeur clé dans la croissance des entreprises et la compétitivité économique. C'est particulièrement, par exemple, le cas en Allemagne avec ce que certains économistes appellent la compétitivité relationnelle. Les Allemands en sont des champions avérés qu'illustre l’expression banalisée du « chasser en meute ». Elle caractérise la capacité des acteurs économiques et institutionnels à se mobiliser collectivement pour leur bien commun et pour vendre les marques allemandes à l’étranger. Fournisseurs et sous-traitants sont généralement considérés comme des partenaires de développement. Délais de paiement à 30 jours, hiérarchies plus plates, réduction des fonctions de contrôle, responsabilisation accrue des acteurs, maturité du dialogue social, ancrage local des entreprises et tissu de solidarités... sont quelques-uns des ingrédients cultivés de longue date qui cimentent la qualité de ces interactions entre acteurs de l'économie.


Prendre en compte ces éléments informels, c'est simplement faire preuve de réalisme dans un quotidien de manager. D'autant que l'hybride sape les bases de repères formels ! Sans face-à-face, il y a beaucoup de symboles que la hiérarchie ne peut plus utiliser. Les entreprises qui nient ces aspects informels et considèrent cette hiérarchie officielle comme le seul moyen de manager, trouvent l'environnement actuel paralysant. À leurs risques et périls...


(1) Elton Mayo "The Human Problems of an Industrial Civilization" réédité en 2007

Photo : Thiago Matos


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