Work In Progress (conduite du changement) n'est pas Work In Process (gouvernance du projet)
- Erwan Hernot

- il y a 11 minutes
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Campons le décor. Dans de nombreux projets (ou programmes) très visibles politiquement, la même scène se répète : un projet donne des signes de dérive, les dirigeants interviennent “pour aider”, et on assiste aussitôt à une inflation de réunions, de documents et de tableaux de bord. Pensez : les grands chefs à plumes se penchent sur notre cas... Pendant ce temps, les utilisateurs (c'est à dire les clients finaux du projet) découvrent un prototype trop lourd, les ingénieurs courent après des retards impossibles à rattraper et le chef de projet passe ses soirées sur Excel. Je vous vois lever les yeux au ciel...
Ce n’est pas un échec de gouvernance : c’est un échec de conduite du changement déguisé en gouvernance. On confond processus et progrès, paperasse et adoption, présence en réunion et redevabilité. L’organisation tente de “reprendre le contrôle” en ajoutant des couches — plus de réunions, plus de reportings — alors que le travail pertinent serait de décider, engager, tester et adapter. Bref, un travail de conduite du changement.
1. Quand la gouvernance masque le vrai problème
Les projets déraillent pour des raisons de fond :
Leadership tardif
Les dirigeants n'apparaissent qu'une fois la tempête installée. Le parrainage arrive trop tard, quand les décisions structurantes sont déjà figées. Ce peut être une stratégie (évidemment non assumée) : prétextant un emploi du temps chargé, le parrain évite ainsi d'engager sa responsabilité. La supervision aval remplace alors le vrai leadership amont : droits délégués, critères explicites, engagement explicite de délai de décision (par exemple 10 jours ouvrés maximum pour décider à l'aide d'un document préparatoire : le 1-pager).
Valeur utilisateur supposée, rarement validée
Les utilisateurs découvrent la solution trop tard, alors que tout est déjà “coagulé”. Résultat : rejet, re-travail et perte de temps. Une répétition à blanc, un prototype manipulable ou une simulation de scénario terrain dès le début aurait évité les mauvaises surprises.
Stratégie évolutive, projet figé
Le marché, la régulation et les priorités bougent — mais le projet, lui, reste arrimé à son plan initial. On tente alors de “maîtriser la variance” en augmentant le reporting… alors que la variance n’est qu’un signal : l’écart entre prévu et réalisé, qu'il s'agisse de coût, délai ou périmètre, voire niveau de qualité. Et surprise : elle ne disparaît pas avec plus de slides mais avec de meilleurs arbitrages.
PMO mal orienté
En période de tension, on demande au PMO de renforcer les contrôles documentaires. C’est l’inverse qu’il faudrait : réduire la latence de décision, préparer les options, aligner les parties prenantes, fluidifier le flux, pas empiler les templates.
2. Le cœur du problème : un système qui produit des artifices, pas des artefacts
La dérive s’installe quand :
tout le monde assiste à tout — donc personne n’est responsable (au sens de "accountable"),
les décisions ne sont pas formulées pour être prises. Elles sont plutôt délayées pour éviter d'endosser la responsabilité !
les détenteurs de potentiel veto ne sont pas contactés, pas d'échanges avant la réunion,
l’équipe optimise le périmètre au lieu des résultats d’usage et de performance (business ou outcomes),
le premier artefact testable arrive trop tard, alors que l’inertie s’est déjà installée.
L’organisation croit piloter ; elle observe surtout sa propre production documentaire.
3. Ce qui fonctionne réellement
C'est remettre la décision au centre. Un simple outil change la dynamique :
Le 1-pager décisionnel
Une page, trois options maximum, des critères business (qui sont autant de repères), une recommandation claire, des impacts chiffrés, des preuves (utilisateurs, essai à blanc), responsable et échéance. C’est un accélérateur de gouvernance : les comités deviennent des lieux où l’on choisit, pas où l’on “partage des vues”.
Engager un échange avec les décideurs en amont
Une consultation des vrais décideurs, de 15 à 30 minutes, 48 heures avant le comité, permet de clarifier critères et objections. Le “non” potentiel arrive tôt, en petit comité qui évite souvent les postures politiques. A ce moment là, il coûte encore peu.
Piloter le changement comme un flux
Regrouper toutes les demandes de changement dans un journal unique, les traiter à cadence fixe, mesurer le pourcentage de décisions prises en < 10 jours ouvrés. Quand le flux devient visible, il s’améliore.
Garder la valeur en fil rouge
La valeur est inscrite sur une page, revisitée à chaque consultation. Elle décrit clairement les indicateurs qui la qualifient : débit, lead time, taux d’erreur, sécurité, adoption... Le tout accompagné des hypothèses qui les supportent et des conditions non-négociables. Si l’environnement change, on compare les options aux résultats attendus, pas au périmètre initial.
Réorienter le PMO vers l’impact
Enfin, faites évoluer le PMO de la police (jouer à l'agent devant les puissants n'a rien de glorieux) à l’appui de l'équipe projet. Conservez vos obligations de conformité, mais changez ce que vous célébrez. Placez la latence de décision, l’exécution dans les délais, la vitesse de traitement des changements et la préparation à l’adoption sur le scorecard PMO. Retirez les modèles qui ne modifient pas les comportements et investissez dans une poignée d’artefacts qui les transforment : 1-pager décisionnel, journal des arbitrages, journa des changements, carte d’acteurs, checklist pré-réunion, ... Coachez la salle. Un ExeCom de 30 minutes suffit si on le structure : 5 min de statut (On-Time/On-Budget + tendance), 5 min sur les 3 risques majeurs (propriétaire, plan, date) et 20 min pour décider les 1-pagers. Le reste attendra.
4. Le test simple pour votre prochain comité
Au prochain comité de pilotage, observez :
Y a-t-il des choix clairs sur une page ?
Pouvez-vous mesurer la latence de décision ?
Compare-t-on les options aux outcomes, ou à un plan figé ?
Les “non” émergent-ils en pré-gate ou tardivement, en plein comité ?
Le PMO célèbre-t-il l’action, ou l’élégance des modèles ?
Si la réponse est “non” à la plupart des questions, vous pilotez en apparence, pas en réalité.







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