On n'en a pas forcément conscience, mais manager une équipe suppose de le faire à 2 niveaux de responsabilités :
L'équipe elle même (sa composition, sa performance, sa direction). Partant du principe, que le tout est supérieur à la somme des parties, une équipe est plus qu'une simple somme d'individus. Elle opère comme un système où les actions et les interactions des membres sont interdépendantes. Les changements dans un aspect du système ont des répercussions sur les autres, par ex. sur les relations, les rôles, les compétences, les objectifs et les processus de communication, qui forment un ensemble complexe d'éléments interconnectés.
Son contexte : l’environnement (marchés, stratégies des concurrents, progrès technologiques avec les intelligences artificielles génératives ,…) dans lequel elle évolue ; les réseaux dans lesquels elle s'insère (avec toutes les parties prenantes) et les interdépendances de tâches et d'activités que ça implique.
S'il a conscience de ces 2 niveaux, le manager relativise l'importance d'un acteur DANS l'équipe et centre son attention SUR l'équipe. En effet, la valeur qu'elle crée ne réside pas dans la tête de ses membres mais dans leurs interactions et la combinaison de leurs points forts. Une équipe n'est pas un résultat abouti une fois pour toutes ; elle nécessite une évaluation et des ajustements continus pour garantir qu'elle reste efficace et alignée sur les objectifs organisationnels. L'équipe est constamment confrontée à des changements dans son environnement, qu'il s'agisse de défis externes, de modifications des tâches ou de variations dans sa composition. Ainsi les acteurs s'organisent et se réorganisent constamment en structures plus larges ou plus petites (équipes projet, groupes de travail, comités, etc.). L'intelligence artificielle générative accélère encore la mutation de l'équipe. Elle accroît le savoir disponible et renforce les capacités à faire des équipiers : par ex. 1) elle peut suggérer les nouvelles lignes de code nécessaires pour mettre à jour un système de reporting financier ; par ex.2) elle peut décrire les versions A et B d'une campagne marketing que les équipiers humains peuvent affiner. Le manager va ainsi superviser des flux de travail plus nombreux et différents, évoluant à un rythme jamais vu auparavant.
Jamais à court de formules, certains experts considèrent maintenant l'équipe comme un système adaptatif complexe, tels que ceux observés dans d'autres domaines, qu'il s'agisse de la biologie, l'informatique ou l'écologie. L'analogie porte tant il est vrai que l'équipe et le manager baignent autant dans la complexité (une indication de prévisibilité) que dans la complication (une indication de compréhensibilité). Manager une équipe adaptative complexe suppose alors de prendre en compte les 2 adjectifs : au minimum ne pas empêcher l'adaptation et s'accorder à la complexité. L'équipe est, en effet, une entité apprenante. Les applications d'intelligence artificielle générative l'aident à acquérir de nouvelles compétences plus rapidement. Encouragée par son manager, elle tire aussi des leçons de ses expériences, ajuste les comportements en conséquence et évolue. Cet apprentissage continu contribue à renforcer sa capacité d'adaptation. Le rôle du manager s'en trouve transformé : il se révèle moins légitime à dire à ses équipiers ce qu’il y a à faire que pour éclairer les routes et accompagner la manière dont ils vont faire. Sa réussite repose donc davantage sur l'autorité (qui émane de sa légitimité) que sur le pouvoir. Le pouvoir seul ne permet pas de dompter un tel système : le manager peut avoir la tentation de trop compter sur son titre (et sa position), ce qui se traduit par une omniprésence, des instructions précises pour amener son équipe à faire quelque chose. Incongru dans la mesure où les IA le feront mieux que lui ! De plus, cet exercice du pouvoir entraînera de façon quasi automatique, une résistance des membres de l’équipe, réticents à accepter les tactiques ou les méthodes de travail du manager, parce qu'ils sont plus proches du terrain, ne font pas la même analyse que lui de la situation et qu'il n'y aura pas eu d'échange de ces idées différentes.
En revanche, l'autorité permet d'influencer le système que constitue cette équipe. Il reste que l'autorité n'apparaît pas au manager ex-nihilo, comme certaines théories du leadership voudraient bien nous le faire croire (je parle ici de la théorie dite "des traits", (1). Ce qui permet habilement de faire porter la responsabilité d'un échec aux seules qualités et défauts d'un manager, sans remettre en cause le système dans lequel il évolue. L'autorité du manager vient d'une forte délégation de … pouvoir émanant de son N+1. Prenons l'exemple d'une usine où une machine au cœur du fonctionnement des différentes lignes de production se casse, un directeur du site clairvoyant cède alors son pouvoir de direction de la réparation au manager de l’équipe locale, renforçant ainsi l'autorité du premier, durant ce moment délicat et solidifiant sa légitimité pour l'après. Noblesse oblige : les opérateurs de terrain, guidés par leur manager, vont alors agir en tenant compte des implications de leurs choix pour l’ensemble de l’usine. Si on élargit cet exemple, pour que son équipe s'épanouisse, le manager a besoin lui même d’autonomie, en laissant ainsi plus de place à sa subjectivité, au jugement et au bon sens plutôt qu'aux procédures obligatoirement appliquées. Ce qui constitue probablement la meilleure façon d'avancer dans le flou. La notion de "mission command" des militaires illustre assez bien cette autonomie, encadrée par les objectifs. Cette notion ne tient toutefois que par la qualité du contenu explicatif (qui matérialise l'influence), fournie par le manager. Il pointe un objectif et en explique bien les tenants et aboutissants. La mission dit : « Il faut faire ceci, afin que… » C’est la seconde partie de la phrase, « afin que… », qui est déterminante. Les militaires utilisent le terme « intention » pour définir l’action des combattants. L’action peut être autonome dès lors que l’intention est énoncée, expliquée, partagée et comprise (2). Si on retranscrit cela dans l'entreprise, ça suppose que les senior managers des grandes divisions, business units, échangent - plus qu'ils ne le font - avec les managers intermédiaires et de première ligne pour élaborer des objectifs opérationnels, qui soutiendront les objectifs stratégiques. Sur le terrain, les acteurs n'ont certes qu’une vision parcellaire de l'équation. Mais les gens du siège n'ont qu'une vision globale, sans connaissance intime des problèmes rencontrés. Si l'on veut aller vers plus de collaboration, il faut donner un accès égal à tous à la totalité de l'information. Le travail de liaison entre la stratégie et l'exécution nécessite en effet une bonne dose d'interprétation et une attention particulière à la nuance, la subtilité. L'autorité des managers dépend alors de la traduction (opérée de concert par eux ET leur N+1) des exigences liées à la déclinaison desdits objectifs. Ensuite et en cascade, les managers aident les salariés à comprendre les activités sur lesquelles l’entreprise concentre son attention ; comment leur travail contribuera à la réalisation des objectifs ; comment ils adopteront les comportements qui s'articuleront avec ceux des autres membres de l'équipe, l’importance et l'impact de cet effort individuel sur le résultat global. A chaque étage et à chaque échange, il y a un transfert de pouvoir qui développe l'autorité du manager, laquelle encourage la collaboration et la créativité au sein de son équipe soudée par une compréhension partagée. Dans cette phase, les bons managers écoutent beaucoup, valorisent les contributions, établissent la confiance (en ne niant pas les difficultés ou parfois les absurdités qu'il faut corriger au niveau local), dépassent les contradictions et trouvent la synthèse. Les plus efficaces possèdent des compétences de communication, une capacité de médiation afin de trouver des terrains d'entente entre les différents acteurs. Bien guidée, l'équipe est alors capable de réagir, de s'ajuster voire de s'auto-organiser pour évoluer. C'est à dire qu'on remet le manager au cœur de l’action, avec son équipe, « un lieu que la plupart des managers ont déserté depuis longtemps pour se replier dans des réunions », déplore Yves Morieux (3). Au plus proche de l'action, le manager consolide ainsi son autorité et sa légitimité. Cercle vertueux : elles lui permettent de jouer sur l'inspiration, l'engagement et le développement des membres de l'équipe à la fois décideurs et exécutants. Il aura alors trouvé le bon dosage entre pouvoir et autorité.
(1) La théorie des traits est l’une des premières théories du leadership, suggérant que certains traits ou qualités inhérents distinguent les leaders efficaces des non-leaders. L’hypothèse fondamentale de la théorie des traits est qu’il existe des traits de personnalité spécifiques associés au succès en matière de leadership.
(2) J'exploite ici l'idée de Christian Morel dans son tryptique Les décisions absurdes, 2014
(3) Yves Morieux Six Simple Rules: How to Manage Complexity Without Getting Complicated, 2014
Photo : freepik
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