Diversité Equité Inclusion (DEI) : du politiquement correct au levier de performance
- Erwan Hernot

- il y a 5 jours
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Depuis dix ans, la Diversité, l’Équité et l’Inclusion (DEI) constituent le paragraphe obligé dans les discours d’entreprise. Pourtant, sur le terrain, nombre de managers – en particulier les managers de proximité – ne savent plus très bien ce qu’on attend d’eux. Certains voient la DEI comme un slogan imposé d’en haut, flou dans ses objectifs et souvent déconnecté des réalités opérationnelles. D’autres craignent de dire le mauvais mot, de prendre la mauvaise décision, ou de se retrouver embarqués malgré eux dans un débat politique qui les dépasse. Dans de nombreuses équipes, la DEI est ainsi devenue synonyme de “communication obligatoire”, de campagnes très visibles mais peu impactantes, d’actions symboliques, de photos retouchées sur un intranet, de formations genericisées qui ne changent pas grand-chose au quotidien. Le paradoxe est là : la DEI est omniprésente, mais sa légitimité s’est affaiblie. Pour beaucoup de salariés, elle ne produit pas de valeur mesurable. Pour certains managers, elle est devenue un sujet sensible, voire périlleux, qu’il vaut mieux contourner que traiter frontalement.
Le résultat est un phénomène de lassitude, parfois même de rejet – une réaction de méfiance ou de fatigue à l’égard d’initiatives perçues comme idéologiques plutôt que professionnelles. Pourtant, en parallèle de ces résistances, une autre réalité s’impose. Les travaux d’Amy Edmondson (1) sur la sécurité psychologique, les études de McKinsey, Deloitte, BCG ou Catalyst (2), les analyses du monde académique et les retours d’expérience de nombreuses entreprises montrent tous, de manière convergente, que la diversité n’est pas seulement un sujet moral : c’est un facteur de performance. Les équipes diverses innovent davantage, détectent plus vite les erreurs, comprennent mieux leurs clients, réduisent le turnover et prennent de meilleures décisions. Ce constat force une révision complète de l’approche. La DEI ne gagne en crédibilité que lorsqu’elle cesse d’être un slogan pour devenir un véritable levier opérationnel : moins de programmes symboliques, plus d’intégration dans le travail réel.
Pourquoi la DEI s’est-elle enfermée dans le politiquement correct ?
Pour comprendre, il faut revenir aux débuts. Les premières politiques DEI ont reposé sur un angle moral : “il faut être inclusif parce que c’est bien”. L’intention était louable. Mais elle s’est traduite par des actions difficilement mesurables : chartes, labels, conférences, sensibilisations. Ces actions ont eu deux limites. D’abord, elles ont créé une dissociation entre le discours et la pratique. Ensuite, elles ont positionné la DEI du côté de la “communication” plutôt que du côté de la performance. Dans un contexte politique de plus en plus polarisé (notamment aux États-Unis mais aussi en Europe), les acteurs de terrain se sont trouvés en porte-à-faux : entre un discours officiel très affirmé et une pratique réelle peu transformée. L’erreur initiale n’a pas été la DEI en tannt que telle, mais son cadrage. En séparant "inclusion" et "performance", on a produit une initiative perçue comme extérieure au cœur du travail. L'approche évoquée ici, corrige précisément cela. Elle ne demande pas aux équipes d’être plus morales, mais plus efficaces. Elle cherche à répondre à une question simple : comment l’entreprise accomplit-elle mieux sa mission grâce à l’inclusion ?
Pourquoi la DEI peut-elle augmenter la performance ?
Les travaux académiques sont solides. McKinsey démontre que les entreprises avec une diversité élevée dans les équipes dirigeantes ont significativement plus de chances de surperformer financièrement. BCG montre que la diversité augmente l’innovation. Amy Edmondson révèle que la sécurité psychologique – condition nécessaire pour que toutes les voix puissent s’exprimer – améliore la qualité du travail collaboratif. Ces études ne disent pas : “soyez divers pour être vertueux”.Elles disent : “vous serez plus performants parce que vous intégrerez davantage d’informations”. La diversité fonctionne comme un système immunitaire cognitif :elle réduit les angles morts, favorise la confrontation productive, multiplie les perspectives et diminue les risques de décisions uniformes. Encore faut-il l’incarner. C’est précisément ici que les quatre formes de diversité suivantes éclairent concrètement le sujet.
1. La neurodiversité : quand la différence cognitive devient un atout technique
Dans une équipe IT, l’arrivée d’un collaborateur TSA (3) n’est pas d’abord une question de représentativité : c’est une question de performance. Sa capacité à détecter des anomalies que le reste de l’équipe ne voit pas est un avantage direct. Un analyste très logique, très focalisé, peut identifier des patterns invisibles pour des collaborateurs davantage orientés vers l’interrelation ou la communication. Le gain est souvent spectaculaire : détection précoce de failles, meilleure fiabilité, réduction d’erreurs coûteuses. Mais la neurodiversité exige un environnement adapté : règles sociales explicites, faible niveau de bruit, interactions prévisibles. Le manager doit apprendre à clarifier les consignes et réduire le non-dit. L’équipe doit accepter des modes de communication différents. Toutes les organisations ne peuvent pas offrir ces conditions. C’est pourquoi la neurodiversité reste un levier puissant, mais exigeant.
2. La diversité sociologique : un moteur de compréhension client
Une équipe commerciale composée exclusivement de diplômés de grandes écoles risque de se couper d’une partie de sa clientèle. Une équipe mixant différents parcours – classique, technique, autodidacte – couvre mieux la diversité réelle des marchés.
Un commercial issu d’un milieu populaire identifiera des irritants clients que son collègue ne percevra jamais. L’inverse est vrai pour les négociations contractuelles complexes.
La performance vient de cette complémentarité. Mais elle demande un effort collectif : neutraliser les biais de légitimité liés au diplôme, harmoniser le vocabulaire, prévenir les attitudes condescendantes. Sans structure managériale solide, la diversité sociologique peut devenir une zone de tension ou de malaise.
3. La diversité nationale : un accélérateur de vitesse opérationnelle
Les équipes multiculturelles, quand elles fonctionnent bien, obtiennent des résultats supérieurs. Une équipe franco-indienne dans le développement logiciel peut transformer le décalage horaire en avantage compétitif, accélérant les cycles de production.
Les ingénieurs indiens apportent souvent un pragmatisme remarquable ; les ingénieurs européens complètent par leur rigueur réglementaire.
Cependant, cette coopération nécessite une discipline collective : documentation précise, explicitation des attentes, structuration des échanges. Les différences culturelles – rapport à l’autorité, au temps, au conflit – peuvent compliquer la collaboration.C’est pourquoi certaines entreprises échouent : elles cherchent la diversité sans fournir les règles d’usage qui la rendent productive.
4. La diversité métier : la clé de l’innovation et de la réduction des erreurs
Les entreprises fonctionnent souvent par silos. Pourtant, la création de valeur naît précisément aux frontières : entre ingénierie et marketing, finance et production, logistique et conception. Une équipe pluridisciplinaire, si elle est bien orchestrée, réduit les erreurs d’anticipation, améliore la cohérence produit et accélère les mises sur le marché. Mais la diversité métier ne va pas de soi. Les tensions sont fréquentes : un ingénieur privilégie la qualité technique, un marketeur la désirabilité, un financier la marge, un logisticien la faisabilité.
Le manager devient alors médiateur : il arbitre, structure, clarifie les priorités. Sans cette orchestration, la diversité métier se transforme en bataille de territoires.
Comment passer de la DEI symbolique à la DEI utile ?
La DEI 2.0 abandonne les approches morales et communicationnelles au profit d’une intégration dans les processus. Elle agit sur :– le recrutement (panels mixtes, critères objectifs),– les évaluations (grilles structurées, biais neutralisés),– les décisions produit (tests sur populations représentatives),– les réunions (tours de parole, sécurité psychologique),– la dynamique quotidienne de travail.
Ce n’est plus la DEI comme programme, mais la DEI comme manière de travailler.
La clé n’est pas la sensibilisation mais la structuration. La clé n’est pas la morale mais l’efficacité. La clé n’est pas la communication mais l’apprentissage collectif.
La DEI n’est pas un supplément d’âme. C’est un outil de travail.
Les équipes homogènes rassurent ; elles communiquent plus vite, se comprennent sans effort, avancent sans friction. Mais elles sont plus exposées aux angles morts, aux erreurs répétitives, aux biais dans la prise de décision.
La diversité n’est pas confortable. Elle demande plus de travail, plus de règles, plus de maturité. Elle oblige à expliciter ce qui, autrement, resterait tacite.
Mais elle offre un retour sur investissement réel pour les DRH et les managers :plus de performance, plus d’innovation, plus de résilience, plus de compréhension client et moins de turnover. La DEI 2.0 n’est pas une obligation morale.C’est une méthode professionnelle.
1. Edmondson, A., The Fearless Organization, 2019.
2. McKinsey & Company, Diversity Wins. How Inclusion Matters, 2020.
BCG, How Diverse Leadership Teams Boost Innovation, 2018.
Catalyst, “Why Diversity and Inclusion Matter” (2019).
Deloitte University Press, The Diversity and Inclusion Revolution, 2017.
3. TSA : trouble du spectre autistique, ici haut potentiel analytique.







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