L'affirmation, paradoxale, peut surprendre… sauf ceux qui ont été ou qui sont manager de proximité. Les managers de proximité sont majoritairement conscients des enjeux que représente le monde hybride dans lequel ils sont en train d’avancer avec plus ou moins de succès, selon leur niveau de maturité managériale et leur capacité de résilience. Il reste qu’ils ont souvent des difficultés à allouer suffisamment de temps au management proprement dit de leurs équipes et à leur propre développement managérial, alors même que la montée en compétences, le partage de bonnes pratiques, les échanges entre pairs, leur permettraient d’être plus à l’aise et moins seuls dans leur cheminement (certains esprits malicieux diront que c’est également le cas des PDG ;) Ce papier tente de comprendre pourquoi et dessine une esquisse de solution probablement ambitieuse mais moins désespérante que de coller pour la Nième fois la matrice d’Eisenhower (1) devant les yeux de l’infortuné manager !
La journée idéale d'un manager de proximité. Il la démarre en planifiant une partie de ses activités; Pour le reste il sait que l'imprévu lui consommera du temps. Il passe en revue les objectifs à court terme de l'équipe et les projets en cours, afin de déterminer les priorités pour la journée et allouer ainsi les ressources. Il les articule aux objectifs long terme, qui justifient les arbitrages et les éclairages sur le « pourquoi » (stratégie de l’entreprise, afin que les efforts s’inscrivent dans une logique à partir de laquelle les collaborateurs « fabriquent » du sens). Il consulte son calendrier pour les réunions et les entretiens prévus. Il réunit son équipe pour un court briefing matinal. Il partage les informations importantes, les mises à jour sur les projets en cours et les objectifs à atteindre. Il encourage la participation des membres de l'équipe et répond à leurs questions ou préoccupations. Il passe ensuite du temps à quelques courts entretiens individuels avec les membres de son équipe. Il évalue les performances passées. Il discute de leurs progrès, les écoute, détecte les signaux faibles (pour anticiper les problèmes), fournit des conseils et des feedbacks afin de les soutenir dans leur développement professionnel. Il reconnaît les réalisations individuelles et collectives, veille à un environnement de travail positif, ré-installe des repères si certaines limites sont franchies. Tout au long de la journée, il ne s’occupe que des problèmes spécifiques à son niveau, tels que certains obstacles qui entravent le travail de l'équipe. Il se coordonne avec d'autres pour collaborer : il participe à des réunions interdépartementales, partage des informations importantes, collabore sur des projets transversaux. En fin de journée, il réfléchit aux succès et aux défis de la journée. Il met à jour sa liste de tâches pour le lendemain, évalue les progrès réalisés par rapport aux objectifs à court terme et réfléchit à des améliorations possibles pour renforcer l'efficacité de l'équipe. Il échange avec son propre manager sur tous ces sujets.
La réalité diffère sensiblement de ce scénario idéal. Le manager de proximité se retrouve à jongler avec plusieurs rôles et tâches, se concentrant davantage sur les aspects opérationnels (plus évidents) que sur ses fonctions de management. Il est absorbé par le travail administratif, assiste à des réunions dont la pertinence reste douteuse ou remplit des formulaires de reporting qui trahissent plutôt un manque de confiance des niveaux hiérarchiques supérieurs. Si on entre dans les causes du temps insuffisant dédié au management :
« Faire ce qu’on sait faire » : de nombreux managers sont promus à leurs postes en raison de leurs compétences techniques dans un domaine spécifique. Ils n’ont pas forcément bénéficié d’une formation en management. Sans les conseils et les ressources nécessaires, ces managers peuvent douter d’eux mêmes et/ou avoir du mal à répartir efficacement leur temps et leurs efforts, ce qui entraîne dans les 2 cas, une négligence de leurs responsabilités de management. S’ils ont été formés, ils n’ont pas mesuré l’importance de la bascule que suppose la mission managériale.. parce que l’exemple de leur propre manager n’a pas été probant à cet égard. Certains managers de proximité ont une compréhension limitée de ce que leur rôle implique. Ils croient que leur travail principal consiste à superviser les opérations quotidiennes et à prendre des décisions, plutôt que de déléguer et de développer activement les membres de leur équipe. La faible délégation vient de la peur de la perte de contrôle. Ils peuvent croire qu'ils sont les personnes les plus capables d'assumer certaines responsabilités, ce qui conduit à un micro management et à une réticence à responsabiliser les autres. Cette peur leur coûte du temps. Enfin, pour eux, le management, c’est une activité « soft » par rapport aux tâches opérationnelles tangibles. Cette perception sape son importance et conduit les managers à donner la priorité à d'autres activités qu'ils perçoivent comme plus critiques pour des résultats immédiats.
« Ce n’est pas tant qu’on n'a pas de temps, c’est qu’on ne sait pas à quoi le dédier parce qu’on ne sait pas toujours articuler les différentes demandes qui nous sont faites ». On entre ici dans les difficultés d’appréhension des demandes : dans quelle logique s’inscrivent-elles ? Comprendre la logique permet de baser sa priorisation (son raisonnement) sur des fondations claires et partagées par toute la ligne hiérarchique. La complexité de la structure de l’entreprise dégénère souvent en conflits d’attentes divergentes des différentes parties prenantes du manager de proximité : collaborateurs, manager du manager de proximité, voire PDG. Ces priorités concurrentes affectent alors l’investissement en temps des managers de proximité. Par exemple 1, le PDG met l'accent sur la réalisation des objectifs financiers, tandis que les collaborateurs souhaitent davantage de formation et de développement personnel. Le manager de proximité se retrouve alors à jongler entre différentes priorités, ce qui peut entraîner une confusion et une perte de temps. Par exemple 2, les collaborateurs demandent plus de temps et d'attention individuelle, tandis que le manager du manager de proximité exige des rapports et des réunions plus fréquentes. Par exemple 3, le manager du manager de proximité vise à maximiser l'efficacité opérationnelle, tandis que les collaborateurs recherchent un environnement de travail plus souple.
« La complexité mange les journées. » Le manque de temps s’explique aussi par des problèmes de structure, eux mêmes produits de contraintes internes ou externes à l’entreprise. Les entreprises fonctionnent encore souvent en silo. Il y a peu de partages et beaucoup d’interruptions de communication. Il en résulte un gaspillage de temps et d’énergie. Les individus jonglent entre les divers projets à suivre, aux logiques parfois contradictoires (voir supra). Les entreprises doivent se conformer à un ensemble croissant de réglementations, de lois et de normes sectorielles. Cela ajoute des exigences supplémentaires en termes de documentation, de suivis et de rapports, ce qui rend les opérations plus complexes. Dans un environnement commercial compétitif, les entreprises cherchent constamment à innover, à se différencier et à répondre aux demandes changeantes des clients. Cela entraîne l'introduction de nouvelles structures, de nouvelles unités commerciales et de nouveaux processus, augmentant ainsi la complexité organisationnelle. Les entreprises sont de plus en plus interconnectées grâce à des partenariats, des alliances et des réseaux d'approvisionnement divers. Cela crée des relations interdépendantes entre les acteurs du marché, ce qui nécessite une coordination et une gestion également plus complexes. Les managers ne savent plus comment s’articule ce qu’ils font. Comprendre et naviguer dans cet environnement prend du temps !
La conséquence la plus évidente de ces différents constats ? Un sentiment de tension permanente et une certaine impuissance à maîtriser ses journées de manager de proximité. Que faire alors, si on refuse de céder à la simplicité trompeuse considérant que les managers ne savent pas prioriser ?
« les former et ensuite les accompagner ». La formation est une évidence dans les grands groupes et la plupart des ETI. Très souvent, il ne se passe toutefois rien après. Or il faut accompagner les managers de proximité et leur parler de management fréquemment (qu’il s’agisse d’un coach ou du supérieur hiérarchique). Contrairement aux autres populations des couches hiérarchiques supérieures, le manager de proximité est tenté à chaque instant de micro arbitrer pour des activités autres que le management. L’un des principaux leviers est l’exemplarité. Les managers de proximité regardent les managers du dessus. Les échanges avec ces derniers permettent de métaboliser les principes managériaux en les mettant en perspective dans la pratique. Les entreprises doivent reconnaître et valoriser le management plutôt que de le considérer comme un accessoire aux métiers. C’est le 1er pas pour créer une culture qui apprécie l'impact d'un leadership efficace sur le succès global. Clarifier les rôles et les responsabilités : définir et communiquer clairement le rôle des managers de proximité par rapport au reste de la ligne managériale peut aider à atténuer la confusion entre les tâches et les responsabilités.
Qu'est-ce que l'IA pourrait changer dans cette situation ?
L’IA pourrait régler en partie ce problème. En tout cas, son irruption supprime les excuses invoquées jusqu’à présent par certains managers de proximité. L’IA va prendre en charge des activités managériales sans grande valeur ajoutée humaine : elle automatise les interactions de routine, certaines tâches de coordination, de recherche d’informations, de collecte puis d’analyse de gros volumes de données avec de multiples possibilités d'agrégation (thématiques, affinités, opportunistes…), de planification et de reporting ; ce qui permet d'allouer plus de temps à la prise de décision stratégique et à la gestion d'équipe. De plus, l'IA facilite l'amélioration de la communication et de la collaboration au sein des équipes. Les assistants virtuels, les chatbots et les plates-formes de collaboration améliorent les canaux de communication (si l’assistance humaine n’est jamais loin : l’IA agit en tant qu’outil de soutien plutôt qu’en remplacement de l'implication des managers). Cependant, si l'IA peut améliorer l'efficacité du management, elle ne peut pas remplacer l'élément humain. Les managers doivent toujours assurer le leadership, le mentorat et l'interaction personnelle avec leurs équipes. Ce qui pourrait favoriser un plus fort engagement des participants. Mais une IA ainsi conçue, implique de décloisonner l'accès à l’information, accepter l'idée de transparence, (voire de contestation) afin de permettre des arbitrages de temps en toute autonomie et en toute connaissance de causes, de la part des managers de proximité. Or, bien des systèmes d'information sont encore construits pour apporter cette information à quelques uns, dans la logique protectrice de la hiérarchie. L'asymétrie informationnelle reste bien souvent la pierre angulaire des systèmes d'information. Elle favorise un management descendant, dans lequel le manager de proximité reste un exécutant. Sur le terrain, il n'a qu’une vision parcellaire de l'équation. Les gens du siège ont une vision globale du problème. Si l'on veut aller vers plus de responsabilité managériale (notamment dans le pilotage opérationnel) et donc plus de temps consacré à cette mission, il faut donner un accès égal à tous à la totalité de l'information. C'est un travail qui reste à mener.
La matrice d’Eisenhower (1) également connue sous le nom de matrice d'urgence/importance, est un outil de gestion du temps et des priorités développé par l'ancien président américain Dwight D. Eisenhower. Cette matrice est utilisée pour aider à la prise de décision et à la gestion des tâches en classant les activités en fonction de leur urgence et de leur importance.
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