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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Qu'est-ce que l'innovation managériale ?


On en entend parler depuis une dizaine d’années. Qu'est-ce que l'innovation managériale ? Si on entend innovation au sens large (c'est-à-dire management ET organisation), on en distingue plusieurs types :

  • les outils de management pour favoriser la collaboration : par exemple, le management visuel, le co-lab (lieu de travail), le world café. Il en existe des dizaines.

  • les méthodes qui touchent à l’organisation des processus du travail, tel le lean (start-up, manufacturing) ou le design thinking. De son coté, le mouvement Agile a engendré des méthodes telles que kanban, scrum.

  • des modèles d'organisation comme l’holacratie, la sociocratie. l’adhocratie qui remettent en cause l'organisation taylorienne en supprimant le rôle de manager même si la fonction est éclatée entre plusieurs acteurs.

  • Enfin, des objectifs, que se fixent certaines entreprises : renforcer la confiance (entre salariés, entre salariés et direction, entre client et entreprise), développer la responsabilisation des acteurs (pour qu'ils décident plus vite et mieux), renforcer le plaisir et le bien-être au travail, optimiser la collaboration, cultiver l'agilité, doper la créativité.

Pourquoi ces innovations débarquent-elles depuis 10 ans ?

L'irruption des innovations technologiques depuis le début du XXIe siècle a suscité, par effet de bord, d'autres innovations, comme celle de la chaîne logistique avec l’intégration de la sous-traitance et la gestion des délocalisations ; l’innovation de produits/services : les capteurs dans les pneus de Michelin permettent de vendre des forfaits d’usage, par exemple ; l’innovation stratégique avec l’économie de plateforme, les marchés bi-face et enfin l’innovation dans la façon de travailler. Les technologies façonnent l’emploi : elles changent le temps, l’attention et l’énergie dédiées aux tâches à effectuer. La coordination devient simple et rapide : donner une information, faire une demande, informer d’un état d’avancement, poser une question peut se faire par des applications de messageries instantanées ou via des réseaux sociaux privés. L’augmentation de la fréquence des interactions favorise le collaboratif et l’innovation : construire de nouvelles relations de travail (organiser des événements, participer à ceux qui sont proposés). Des applications d’évaluation et de mesure permettent de réaliser très facilement des questionnaires. L’auto apprentissage devient un premier niveau formatif de plus en plus assuré par des tutoriels. Des vidéos de type Tedx démultiplient l’impact des messages. Dans un monde VICA, l'information s’appréhende à plusieurs niveaux de complexité. Arrivent alors les applications décisionnelles qui permettent déjà des traitements d’informations en quantité et l’analyse de corrélations propices à la compréhension et à la prise de décision. Elles multiplieront les perspectives (simulations, scénarios), élargiront les perceptions en raisonnant au niveau du travail dans son ensemble et non tâche par tâche. Ce bouleversement de contexte provoque une réflexion définitive : « on ne peut plus manager comme avant : le collaborateur est technologiquement augmenté ; il lui faut un manager amélioré ».


Comment faire en sorte que le management des entreprises reste en phase avec les technologies, telles que l'intelligence artificielle, la science des données et la robotique avancée ?

Les efforts à fournir vont du simple au complexe. À l'extrémité la plus simple, se trouve le recrutement des talents capables d’exploiter les technologies (simple, mais pas facile). Plus difficile ensuite : trouver des managers capables d'appréhender les potentiels des technologies et dotés d’une capacité de leadership qui permette de les exploiter. Enfin, plus complexe : mettre à niveau le reste de l’entreprise : les compétences, la culture et l'état d'esprit nécessaires pour travailler avec les données et partager les tâches avec l'IA. Nos technologies sociales, telles que l'apprentissage, la direction, la décision, le changement et la collaboration, sont-elles à niveau ? Alors que les ordinateurs prennent en charge bon nombre de nos tâches cognitives, l’avantage concurrentiel se situe dans ce domaine social et relationnel. Aujourd'hui, ce n'est plus le produit mais le client qui est rare. Avec la data, on connaît tout de son comportement. Le satisfaire exige en effet une coopération interne des salariés : concepteurs des produits et ceux des process, opérateurs d’exploitation, services de maintenance, services d’après-vente. Au niveau d’un site productif, la performance repose moins sur la qualité et le coût des diverses ressources que sur l’intelligence de leur combinaison, autrement dit l’efficacité de l’organisation et du tissu relationnel. En gros, nous pouvons externaliser une partie de notre réflexion, mais pas tellement notre collaboration. Le défi à relever est conséquent : devenir meilleur dans ce qui nous rend distinctement humain - le social, le collaboratif, le créatif voire le visionnaire.


Est-ce un effet de mode ou est-ce vraiment utile ?

Petit retour arrière : au début du XXe siècle, Frederick Taylor a conçu un modèle d’organisation qui a dépossédé (on peut s’en désoler) les ouvriers de leur autonomie dans leur métier pour les mettre au service d’une organisation contrôlée par les fameux ingénieurs des méthodes : définition minutieuse des opérations et des tâches, organisation strictement planifiée, l’opérateur comme automate, en somme. Ce modèle a transformé les rapports sociaux, fondant un partage des gains de productivité entre salariés, actionnaires, Etat et clients, qui a rendu possible la production et la consommation de masse. D’autres innovations de gestion ont réussi à s’implanter durablement : la comptabilité des coûts et l’analyse de la variance, le laboratoire de R & D, le management de projet, la structure par divisions, le développement du leadership sont des exemples. D’une certaine façon, les fonctions de l’entreprise sont toutes issues d’une innovation managériale et sont régulièrement transformées par des innovations managériales. Par ailleurs, les innovations technologiques ne vont pas disparaître. La nécessité de la mise à niveau des technologies sociales déjà évoquée non plus… Les innovations managériales ne participent pas d'un effet de mode.


Les innovations managériales vont-elles se répandre dans toutes les entreprises ?

La réponse est ici, plus nuancée.

  • Tout d’abord Il ne suffit pas qu’une innovation existe pour s’implanter. Beaucoup d’innovations managériales viennent d’un secteur particulier : développement informatique pour l’Agile Manifesto, design pour le Design thinking, industrie pour le Lean. Le passage à d'autres disciplines n'est pas forcément automatique ni pertinent. Il faut que l’innovation traverse un processus de traduction, c’est-à-dire une explicitation dans la rationalité des différents acteurs concernés et une prise en compte de leur problématique. Par exemple il n'a pas suffi de copier les pratiques de Toyota dans les années 1990 pour obtenir les mêmes résultats que l’industriel japonais. L’analyse comparative n’était pas en mesure de reproduire ces performances parce que les dirigeants des entreprises « copieuses » ne comprenaient pas les ressorts profonds de la culture de Toyota. En effet, on peut répliquer des processus et promouvoir des comportements mais sont-ils en cohérence avec les croyances et les valeurs fondant la culture de l’entreprise ? C’est le degré d’alignement entre ces différents niveaux d’adoption, du superficiel (les comportements observables, les symboles) au plus profond (les croyances et les visions du monde) qui détermine la manière dont l’innovation managériale sera accueillie et intégrée. Or, les dirigeants sélectionnés par les grandes entreprises en place sont en général conservateurs et dotés des talents requis pour le Command&Control...

  • La seule question qui importe au dirigeant est : quel est l’impact de ces innovations managériales sur la performance opérationnelle et financière ? La réponse n'est pas claire : déjà, ce qui peut représenter un changement majeur pour une entreprise peut ne pas l’être pour une autre ; ensuite on en est au début d’un nouveau champ de recherche managérial. Les innovations managériales restent un pari sur l’avenir. La plupart d’entre elles paraissent « moralement » bonnes : donner plus de responsabilité à l’individu c’est, par exemple, mieux le considérer. Mais l’idée n’apparaîtra économiquement pertinente qu'après un temps d’apprentissage et ne sera pas convaincante lors des premières expériences : hésitation de la personne, baisse de sa performance. Dès lors, une organisation efficace pourrait décourager l'expérimentation de cette idée de responsabilisation se privant ainsi, au nom de l'efficacité (certes court terme), de l'innovation ! Sauf pour certains visionnaires, à l'origine de transformations radicales (holacratie, etc.), on peut donc prédire une adoption très progressive de certaines nouvelles pratiques managériales.

  • Enfin, s’il estime que le management Command&Control n’a pas démérité au regard de la performance opérationnelle et financière, le dirigeant pourra même le prolonger avec l’intelligence artificielle. Les nouvelles technologies renforceraient alors le contrôle individuel, l’obéissance à l’autorité et aux procédures, et l’interchangeabilité des personnes. Les entreprises s’équiperaient de systèmes permettant de mesurer l’efficience des salariés en temps réel, d’enregistrer leurs comportements au travail, de leur imposer des procédures.

Et la Covid dans tout ça ?

Enfonçons une porte ouverte : une entreprise est un système. Quand on bouge un élément, il faut faire évoluer tout le reste. La capacité d'effectuer les bons changements au bon moment et à la bonne vitesse s'appelle -justement ;) - l’agilité. Une entreprise agile met à niveau ses technologies sociales, dont le management, pour exploiter les progrès rapides de la technologie, contrer l'émergence de nouveaux concurrents et faire face aux changements soudains des conditions générales du marché. Evident ? Pas tant que ça quand on sait que les dirigeants des entreprises françaises (1) expliquaient qu'il ne modifiaient pas les pratiques managériales parce qu'ils n'avaient… pas le temps, que mettre l'organisation sous tension n'était pas la priorité, qu'ils pensaient que les managers intermédiaires n'étaient pas capables de porter ces innovations. En attendant, la Covid 19 a radicalement transformé le paysage et les innovations technologiques se sont encore plus installées : attention à l'effet ciseaux…


Les suites logiques de ce papier :


Webinaire. Durée 1h00 « Petit bestiaire des innovations managériales ».

Formation distancielle entre 1 et 2 journées « Sur quoi faut-il travailler pour adopter les innovations managériales ? » (programme sur demande).


(1) Harvard Business Review France 5 juin 2019. Article de Nicolas Arnaud, Thibaut Bardon.

Photo : Bruno Scramgnon

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