top of page
  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Dans le monde VICA, simplifier c’est changer de complexité !


Avec des équipes dispersées et travaillant en asynchrone, nous avons atteint les limites de la complexité organisationnelle. L’époque, numérique et pandémique nous oblige à revoir les mécaniques de base de nos entreprises : on avait l'habitude de mettre les gens, statiques, dans des boites ; il va falloir raisonner en dynamique et les placer, mobiles, dans des projets.


Une entreprise qui veut au minimum survivre, répond aux questions « qui fait quoi et quand ? » grâce à un ensemble des dispositifs qui répartissent, coordonnent et contrôlent ses activités. Nommons cet ensemble : « structure ». On peut schématiquement le diviser en deux dimensions : largeur et hauteur. La largeur, la différenciation horizontale, c’est le degré de spécialisation des activités : les divisions géographiques, par produits, par types de clientèle, etc. La hauteur, la différenciation verticale, se compose de tout ce qui définit la manière de travailler : hiérarchie, normes, procédures, processus. La configuration habituelle d’une entreprise, c’est alors hauteur x largeur. Plus chaque facteur possède de niveaux, plus grande est la complexité organisationnelle.


Inutile d’ajouter qu’on n’a pas attendu la Covid pour dessiner des structures matricielles à 3 niveaux ;) C’est impressionnant mais ça ne dompte pas la réalité parce que la confusion entre organisation et structure donne une illusion de contrôle. Or, « la structure n'est pas l'organisation » (1). Ce mantra de François Dupuy pourrait aussi se traduire par « l’organigramme n’est pas le pouvoir » ; il décrit simplement le rattachement. La structure c'est ce qui est visible, écrit, formalisé. L’organisation c'est avant tout ce que font les acteurs c'est-à-dire leur stratégie, les relations entre eux. Il est beaucoup plus difficile par définition, de changer la stratégie réelle des acteurs que de se livrer à une redéfinition des structures (fonctions, processus…) Dit autrement : la réalité de l’entreprise est complexe, tenter de l'encadrer avec une complexification toujours plus forte des structures peut interroger. Pourtant la croissance de l'entreprise semble générer presque automatiquement, cette complexification. Par exemple, une entreprise se développe très fortement : elle a plus de produits, de marchés ou de clients (différentiation horizontale). Lesquels devront être contrôlés et gérés par des managers (2) et des processus (différentiation verticale). Dans ce cas, l’étendue du contrôle (span of control), définie comme le nombre de subordonnés qu'un manager peut gérer, dépendra de la complexité des tâches, de sa capacité cognitive, du style de leadership des dirigeants et des types de de prises de décision La complexité n’est pas mauvaise en soi. Elle le devient lorsque, au lieu de viser l'efficacité globale du système, elle cherche à contrôler par une inflation de règles, ce que font les acteurs, non pas seulement au niveau du résultat mais encore au niveau du « comment ». Cette inflation pose alors un problème de compréhension : l'entreprise n'est pas lisible par ses propres membres ! On va vite se rendre compte que télétravail et équipes hybrides aggravent les conséquences négatives de la complexité. Par exemple, vous lancez un projet. Vous n'avez aucune idée de la totalité des impacts qu'il peut avoir dans l'entreprise parce que trop de départements, équipes transverses, processus métiers ou mélanges des 3 sont potentiellement concernés ! Vous ne pouvez plus traverser l’open space pour obtenir des renseignements ou vous ne rencontrez plus de façon impromptue quelqu’un qui pourrait vous aider. Le risque de temps de perdu sur le projet est considérable. Deuxième exemple, dans une grande entreprise de biens de consommation, le service client et le service logistique poursuivent des initiatives pour améliorer leurs performances respectives. Le problème, c'est que personne ne considère toutes les initiatives ensemble comme un unique objectif.

Pas de vision d'ensemble

Sans vision d’ensemble, chaque acteur marche sur les pieds de ses petits camarades, chaque effort en amoindrissant un autre. La coordination - et plus encore la coopération - se produisent encore moins à distance, avec des acteurs qui ne savent pas qu'ils ne savent pas (3). L'inflation des structures fragmente les entreprises autant - plus ? - qu’elle ne les organise. Elle dessine des domaines qui génèrent des spécialistes à mesure que la complexité augmente et qui réduit la façon de penser : le cadre de référence des acteurs, leurs objectifs, leurs perspectives les empêchent souvent de voir le tout ; ils se cantonnent aux parties et singulièrement à la leur. Par exemple, au lieu de voir un processus de bout en bout (Commander —> Encaissement), ils voient de multiples parties divisées en départements ou en fonctions (par exemple, traitement des commandes, approvisionnement, exécution des commandes, comptes à facturer, etc.). Cette inclinaison crée un autre problème : une mauvaise écoute. Une vision partielle devient rapidement une vision partiale basée sur les modèles mentaux, hypothèses et croyances de chaque représentant d’un « fragment » (département, service par ex.). Les acteurs raisonnent assez vite en territoire : « c’est mon département, mon processus etc. » Et un territoire, ça se défend contre des points de vue contraires aux leurs. Cette posture de défense les amène à écouter tactiquement, pas « relationnellement ». Otto Scharmer, du MIT résume bien l’alternance de monologues plutôt que dialogues dans certaines réunions : « Nous n'écoutons pas, nous rechargeons » (« We do not listen ; we reload »). S’ils ne savent pas écouter, les acteurs d'entreprises fragmentées, d’une façon générale, communiquent mal. Ce n’est pas un dialogue mais plutôt un débat, où faire pression pour son ordre du jour, valider ses certitudes et faire primer ses intérêts demeure la priorité. La production de raisonnements non partagés prolifère et rend les décisions plus difficiles à appliquer. Les priorités de la fonction A sont alors mal alignées avec celles des fonctions B, C et D. La preuve ? Quand un acteur essaie de résoudre un problème inter-silo, il rencontre souvent un soutien mesuré, voire une franche résistance de la part d'autres fonctions. Ici encore, l'absence physique va aggraver le phénomène. A la clé : stress supplémentaire, confusion au travail, perte de capacité et de productivité, travail insatisfaisant / frustrant, luttes de pouvoir, résistance et conflits.


Dépasser la fragmentation

Quel recours puisqu'on ne peut pas supprimer cette complexité organisationnelle qui accompagne la croissance ? Une structure ne devrait pas être conçue pour durer, elle devrait être conçue pour s’adapter dans la durée. On pourrait alors tenter une logique de vases communicants : on baisse la dose de complexité de la structure pour augmenter la dose de complexité individuelle à la charge du manager, dans la mesure où il est capable de la gérer. On passe d'une structure coordonnant des petits territoires à un flux conjuguant des compétences. Avec des équipes hybrides, on n’a plus vraiment le choix. Dépasser la fragmentation constatée précédemment n’est toutefois pas une mince affaire. Pour y parvenir, les entreprises ont davantage besoin de cohérence pour faciliter la communication, simplifier le contrôle et garantir l'équité. Pour certains, c’est un impossible retour en arrière : permettre l'improvisation plutôt que des procédures et des règles, des accords un peu flous plutôt que de contrats ! Nous nous rêvons en effet en acteurs rationnels tendus vers la réalisation d'objectifs clairs selon une stratégie définie. Dans la vraie vie, les objectifs poursuivis apparaissent souvent vagues, peu cohérents, instables voire déterminés au cours de l'action et souvent par les résultats de celle-ci. Pour un manager à distance sans son équipe autour de lui, il sera plus difficile d'interpréter les événements, de reconstituer ce qui a été réellement fait, d’identifier les effets des actions de son équipe. Au delà, les problèmes, les solutions, les actions seront faiblement connectés de même que les objectifs, les informations utilisées et les décisions prises ou les actions menées par les différents départements de l'organisation. Dans ce cas, mieux vaut se replier sur ses fondamentaux : sa spécialité. On est sûr de savoir si le résultat doit être qualifié de succès ou d'échec. L'un des principaux défis des dirigeants et de leurs managers consiste à réduire cette fragmentation organisationnelle et dépasser le leadership de statut provenant d’une lecture simple de la structure (procédures, fonctions, hiérarchie pyramidale) pour aller vers un leadership fait de contingence : c'est la situation qui fixe la marche à suivre. Et c'est donc celui qui est dans la situation qui décide, d’autant que le manager n’est que rarement à coté si d’aventure, l’équipier souhaitait « passer une tête dans son bureau. » Pour cela, le manager utilise l’intelligence des équipiers c’est-à-dire leur capacité à trouver des solutions cohérentes avec le contexte dans lequel ils se trouvent. Le fait que la hiérarchie doive s’effacer à certains moments n’implique pas qu’elle doive disparaître ni que les leaders ne servent à rien. Bien au contraire : c’est à eux qu’incombe la responsabilité de la définition de la mission et de son explication afin que leurs salariés sachent dans quel sens décider. Ce leadership s'appuie toujours par la bonne définition du qui-fait-quoi puisque cette définition dépend de la situation ; « l’autorité devient elle-même un processus » (4).


Grand angle

Dans ce cadre, le « bon » leader est celui qui a le moins besoin de commander car il a su, au préalable, responsabiliser son équipe et organiser un système qui favorise la coopération plutôt que la simple coordination grâce à une mise à niveau des technologies sociales, telles que l'apprentissage, la direction, la décision, le changement et la collaboration. Il met en position de management, des acteurs, qui attaquent un problème avec un grand angle plutôt que de se concentrer de manière obsessionnelle sur un sujet étroit. Ce sont des acteurs qui ont progressé au travers d’expériences diverses. Ce grand angle produit souvent des idées qui ne peuvent être attribuées à une seule expertise ni à un seul domaine. Le manager est capable d'emprunter la connaissance d'un problème pour résoudre un autre et éviter des replis cognitifs dans sa zone de confort. Il n’a pas seulement appris à agir, il a appris à penser. Plutôt que faire appliquer des règles et des processus toujours plus nombreux, ce manager dépasse les logiques métier et tente de comprendre les objectifs et les stratégies des acteurs (collaborateurs et pairs), puis de travailler sur les possibilités de les infléchir, non pas pour qu’ils convergent totalement vers son objectif mais pour qu’ils s’y ajustent. Il aura été formé aux notions psychologiques et sociologiques élémentaires, qui gouvernent les raisonnements, les interactions, les décisions et l’action dans les entreprises. La complexité est moins intimidante quand on en comprend les causes. L'accent est mis sur un comportement fluide et adaptatif et sur des structures ad-hoc : les acteurs, dans cette organisation, forment des réseaux et des liens en fonction des projets. Fin des territoires à défendre. C’est plus simple et plus rapide que de graver toujours plus dans le marbre des structures rapidement périmées. C'est pertinent de le faire maintenant car nous avons déjà, d'une certaine façon, perdu le repère spatiale des frontières entre départements ! Une telle organisation pourrait libérer les énergies et stimuler un engagement à agir : ce n’est pas tant l’existence des problème qui pousse à agir (sinon on l’aurait su depuis longtemps;) que le sentiment d’être capable d'enclencher une dynamique.


Les suites logiques de ce papier sont :



« Mécanique de la décision » webinaire, 1h00

« Les différents processus de décision pour le manager et son équipe », formation distancielle, 0,5 jour

« Comment est-ce que je décide aujourd'hui : débrief et conseils », accompagnement individualisé, 0,5 jour.


(1) François Dupuy, On ne change pas les entreprises par décret, 2020

(2) dans la conception managériale classique. Je ne parle pas ici d'équipes auto organisées.

(3) pour paraphraser la logique de classement des risques popularisée par le secrétaire d’Etat américain Donald Rumsfeld en 2002.

(4) revue Management & Avenir, n° 36, 2010 Le leadership Follettien : un modèle pour demain ?

bottom of page