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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Autonomisation des collaborateurs : dépasser les bons sentiments


Le constat a été maintes fois évoqué : dans un univers volatile, incertain, complexe, ambigu, les demandes des clients changent vite ; les technologies et les marchés évoluent également rapidement : l'organisation taylorienne du travail pouvait se résumer dans la formule : « il y a ceux qui savent et il y a ceux qui font ». Ce n’est efficace que lorsque les problèmes à résoudre sont connus et les solution pré-formalisables. Le mantra serait plutôt aujourd'hui « celui qui fait est celui sait ». C’est au plus près de terrain que doivent se prendre les décisions. L’idée d'organisations « plates » composées d'individus autonomes est alors plébiscitée. L'option est évidemment séduisante. Toutefois, ce papier jette un regard lucide sur son application et ses limites.


A l’univers VICA répond souvent, l’invocation du principe d’autonomisation avec une imprécision originelle dans les obligations des acteurs : que signifie véritablement cette autonomisation des salariés et qu’induit-elle ? Elle définit normalement la répartition du pouvoir qu'on peut étager en trois niveaux. Ces différents niveaux dépassent généralement la simple consultation du salarié pour couvrir une variété de modalités de décisions qui va de la concertation à la co-décision voire à la décision par le salarié seul, selon les thèmes traités. Au niveau 1, le salarié définit sa propre tâche : le séquencement, la façon de faire, le rythme de travail, les outils à utiliser, etc. Le niveau 2 ajoute la dimension du contexte. Il donne latitude au salarié pour exercer une influence sur son environnement organisationnel et les modes de collaboration. Le niveau 3, enfin, implique le salarié dans la gouvernance de l’entreprise à travers le dialogue social ou la négociation sur les conditions de travail, le partage de la valeur créée, etc. Ce niveau 3 est rarement atteint : au delà du changement managérial, il suppose en effet un changement presque philosophique de position des dirigeants de l'entreprise. En contrepartie, plus on monte dans les niveaux, plus le pouvoir individuel de décider n’est accordé par l’entreprise qu'à ceux qui partagent ses valeurs et ses règles. C'est assez logique mais c'est une première limite. Plus on monte dans les niveaux, plus l'autonomisation est accompagnée du mot « responsabilisation », lequel est souvent utilisé avec la délégation. La délégation est l'acte de transférer des responsabilités pour faire quelque chose à quelqu'un d'autre (généralement, en restant responsable de la performance de cette personne). La responsabilisation va plus loin qu'une simple délégation. C’est un soutien à la prise de risque, à la croissance personnelle de l’acteur qui, ainsi, s’autonomise par rapport à son manager. Ça suppose un changement culturel à l'échelle de l'entreprise. L’autonomisation serait alors un cadre qui amplifie l'impact de chaque individu et équipe dans une entreprise, en précisant l'autorité décisionnelle (qui a le pouvoir de prendre quel type de décisions). Idéalement, les dirigeants préparent le terrain de manière proactive et fournissent ce cadre, ce qui permet aux salariés de faire des choix sans demander la permission.


L’autonomisation des salariés n'est toutefois pas la panacée universelle. Elle peut, bien entendu, motiver certains salariés et alimenter ainsi leur créativité. D’autres cependant, ne souhaitent pas l’autonomie et préfèrent qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire. Ils ne se font pas confiance pour faire les bons choix : ils estiment dans ce cas, ne pas avoir la formation, l’information ou l’outil qui le leur permettrait. D’autres encore ne veulent pas supporter l’angoisse générée par ce choix et la responsabilité d’une erreur qui leur incomberait. D’autres jugent que l'autonomisation n'est qu'un tour de passe-passe : on supprime le poste du chef dont on leur confie la charge et la responsabilité… sans leur accorder de contrepartie à la mesure de cet effort supplémentaire. Ils considèrent qu’en les jugeant au résultat, on leur impose subrepticement et sans compensation une charge de travail, une charge cognitive excessives et un stress qui peuvent nuire à la performance quotidienne.


L’autonomisation n'est pas non plus la clé de toutes les performances. Un examen, même superficiel, de quelques entreprises à forte croissance parmi les plus prospères démontre la présence d'un leader qui travaille avec un pilotage plutôt serré. Steve Jobs d'Apple, Elon Musk ont bâti des entreprise à succès sans s’appuyer sur l'autonomisation des salariés. C’est moins la structure hiérarchique formelle qui permet de caractériser une organisation comme plus ou moins «autonomisante » que le moment dans l’histoire de l’entreprise, l’état d’esprit des leaders et la manière dont ils exercent leurs fonctions (inspirants, bienveillants, coaches). Une entreprise qui démarre a besoin d'un leader fort en autorité, doté d'une vision inspirante pour embarquer ses salariés. C’est la priorité. Mais il ne s’agit pas ici de l’autorité formelle (hiérarchique) comme source de pouvoir, plutôt de sa légitimité. Il est vrai qu’il vaut mieux inspirer plutôt que contrôler : l'autonomisation a un effet direct sur l'engagement. En effet, si vous pouvez contrôler les actions des salariés, vous ne contrôlez pas leur engagement. Or, ils ne sont pas engagés et inspirés lorsqu'ils sont uniquement contrôlés. L'engagement vient avec l'autonomisation ou le partage d'influence.


Le dosage d'autonomisation ne correspond pas toujours aux attentes des salariés. Par effet de contraste, l’autonomisation crée des attentes irréalistes et laisse la plupart des acteurs insatisfaits. Elle accorde trop ou trop peu d’autonomie et de responsabilités décisionnelles. Trop peu d’autonomie et les dirigeants se contentent de l’atténuation, voire la disparition, de certains marqueurs hiérarchiques distinctifs des chefs, tels que les places de parking réservées, les cantines séparées ou les bureaux à une ou plusieurs fenêtres ;). Ils envoient certes des messages indicateurs d’une volonté de réduction de la distance hiérarchique et d’un esprit plus collaboratif mais le symbolique sera rapidement insuffisant. De plus, l’indéfinition du terme nourrit les inquiétudes des salariés d’autant qu’elle appelle à les « responsabiliser ». Trop d’autonomie et responsabiliser signifie alors mettre en situation d’être jugé et évalué de manière constante par des rapports chiffrés sur les résultats de leur activité. De toutes les façons, la hiérarchie reste présente. A tout le moins parce que des modalités de coordination seront toujours nécessaires.


L’autonomisation, si elle est calée sur les mauvais niveaux de décision (qui décide de quoi), ralentit cette prise de décision et accomplit exactement le contraire de ce dont on a besoin pour réussir dans le monde à grande vitesse d'aujourd'hui. Or, chaque acteur manage à un niveau sous le sien. Il encombre ainsi l’espace décisionnel qui devrait être celui de son subordonné. A cet égard, les acteurs majeurs de l’autonomisation, les dirigeants ne sont pas toujours en mesure de concrétiser la démarche parce qu'ils ont été formés dans un style de gestion très contrôlant et qu'ils ont réussi de cette façon. Proclamer qu’ils doivent lâcher prise est naïf et peu sérieux tant l’apprentissage commence ici par désapprendre, c’est à dire inhiber les pratiques/réflexes précédents. Avoir le bon coach peut aider à accélérer cet apprentissage.


L’autonomisation suppose un écosystème où les structures, les processus et les normes organisationnelles soutiennent la prise de décision des acteurs de terrain. Ce n’est pas le cas dans la pratique des entreprises aujourd'hui : les processus sont omniprésents et contraignants. Les salariés en tirent les conclusions : l’autonomisation ne peut pas fonctionner. C'est alors une injonction contradictoire et un cercle vicieux. Parce qu'ils n'ont pas fait partie jusqu’à présent d’une organisation autonomisante, la plupart des salariés n'ont pas vu la démarche fonctionner. Ils n’y croient pas quand elle est annoncée.


Enfin, l’autonomisation doit dépasser les bons sentiments. La proclamer sans réellement la structurer crée le mythe selon lequel toutes les opinions des salariés se valent sur tous les sujets. Le résultat est que ces derniers se sentent privés de leurs droits lorsqu'ils sont exclus d'une décision, ils exigent une transparence croissante qui peut être préjudiciable à l'avenir de l'entreprise et ils concentrent trop d'énergie sur des sujets en dehors de leurs responsabilités et de leur expertise. On obère ici la capacité pas forcément également attribuée à tous de décider à un niveau stratégique. Aux dirigeants, ce niveau, aux managers et aux salariés, le niveau tactique. On élimine ainsi l’insatisfaction potentielle de salariés due à une attente irréaliste selon laquelle tout le monde devrait être impliqué dans chaque décision. L’autonomisation ne transforme pas comme par magie tous les salariés en décideurs pertinents, pas plus qu'elle n'égalise soudainement les différences de compétences et d'expérience. Si l’autonomisation est mise en œuvre indépendamment de la capacité des acteurs concernés à comprendre le modèle économique dans lequel ils baignent, le risque existe qu’ils ne choisissent pas forcément les actions qui produiront des résultats. En revanche, ils sont parfaitement capable d'établir leurs attentes en matière d'autonomisation. Ce pourrait être la clé : comprendre les attentes des salariés et s’en servir de base pour discuter avant de démarrer toute démarche vers l’autonomie.

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