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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Recruter un dirigeant : la greffe va-t-elle prendre ?


Recruter un dirigeant consiste à tenter une greffe sur le « collectif », entreprise.
La greffe prendra-t-elle ?

Recruter quelqu'un et l'intégrer dans un écosystème existant (qu'il s'agisse d'une équipe ou à une échelle plus large, d'une entreprise) n'est pas anodin. Ça l'est encore moins quand on parle de dirigeants. La métaphore de la greffe est alors pertinente. En médecine, une greffe ou une transplantation est une opération chirurgicale délicate dont on est jamais sûr du succès à long terme. En revanche, on saisit immédiatement les conséquences de l'échec de l'opération. C'est exactement la même chose avec l'arrivée de l'extérieur, d'un dirigeant ou d'un manager de grande équipe dans une entreprise. C'est un changement, dont les conséquences, pour les équipes, sont considérables. Ce papier en décrit la spécificité, les difficultés et les parades possibles. La greffe va-t-elle prendre ?


Dans une entreprise, les acteurs prennent des dizaines de décisions chaque jour. La nécessité de déterminer un cadre ,dans lequel chacun intervient, s’est vite imposée dans la vision taylorienne de séparation entre la conception du travail et son exécution. C'est la création du poste de travail, essentiel à la rationalité de la décision administrative. Le poste de travail, est associé à un titre (par exemple : analyste de données senior) et est pourvu par une seule personne. Chaque poste suppose une description : une liste des responsabilités, des compétences et des qualifications nécessaires. Chacun sait précisément ce qu'il a à faire et trouve exactement une position sur l'organigramme. Cette logique facilite grandement le recrutement. Quand vous prenez un poste de chef de chantier, vous êtes chef de chantier ! Puis l'entreprise s'est peu à peu affranchie des prérequis tayloriens (même si elle en conserve une grande part) : le rôle (1) a alors enrichi le poste et a ainsi complexifié le recrutement. Le rôle se réfère aux fonctions et aux responsabilités générales qu'un individu assume au sein de l'entreprise. Il englobe un ensemble plus large de responsabilités que le poste lui-même. Un individu peut avoir plusieurs rôles au sein de l'entreprise en plus de son poste principal. Le rôle dépend beaucoup de la personnalité et du savoir-être de l'individu qui occupe le poste ainsi que de la situation dans laquelle il se trouve. Par exemple, un chef de chantier peut également avoir un rôle de mentor pour les nouveaux employés, parce qu'il a un goût pour la transmission et que l'entreprise est en croissance. Enfin le poste et le rôle sont pensés dans un domaine qui regroupe des activités spécifiques, telles que les ressources humaines, les ventes, la comptabilité, la production, etc.


On change de logique de recrutement quand on a affaire à un cadre dirigeant. Contrairement aux autres salariés, le cadre dirigeant n'est pas uniquement apprécié en fonction d'une logique d'adéquation entre les exigences d'un poste, du ou des rôles et les compétences qu'il détient. Et ce d'autant plus que poste et rôle ne peuvent être pensés dans un seul domaine d'activité. Les recruteurs raisonnent d'emblée au niveau de l'écosystème qu'est l'entreprise. Ils y "projettent" le candidat. Il est apprécié dans une logique d'extension : personne, en effet, ne donne de directives au dirigeant. On le recrute justement pour en donner aux autres ! C'est un peu la femme ou l'homme qui fera la fonction. Au delà du savoir-faire, les recruteurs scrutent le savoir-être du dirigeant, c'est à dire ses capacités relationnelles et surtout son style de leadership. C’est un tout autre registre de compétences, d’aptitudes, de qualités personnelles qui sont maintenant valorisées. Un leadership efficace combine ces compétences avec l'authenticité (la personnalité, le caractère et l'attitude du leader). Sans une telle combinaison, les pratiques ressembleront à un exercice "à vide" pour le dirigeant et apparaîtront vite comme inauthentiques ou peu convaincantes aux yeux des employés. Le candidat saura-t-il donner l’exemple et transmettre ce savoir-être pour obtenir un engagement plus fort de chacun dans l’entreprise ? Dans ces recrutements, les marges d'incertitude (et donc les risques d'inadéquation candidat/fonction/entreprise) sont importantes.


Il y a d'abord la possibilité d'une double méprise. Ainsi, lorsqu'il arrive dans l’entreprise, le cadre dirigeant recruté, a déjà beaucoup échangé avec les acteurs clé du processus de recrutement enclenché, qu'il s'agisse du cabinet de conseil (à ce niveau de poste, il est indispensable au vu de la qualité de la recherche requise) ou des interlocuteurs internes (Comité de nomination émanant du Conseil d'administration et du Comité de direction par exemple). Il reste toutefois des interrogations majeures. Les chiffres que l'ancien candidat a pu consulter, ne disent pas tout d'un écosystème aussi complexe que l'entreprise (la division, le département). La phase de recrutement précédant l'arrivée du nouveau dirigeant nourrit inévitablement ses propres hypothèses de ce qu'il va trouver, lesquelles peuvent s'avérer illusoires. En effet, s’il n’y a pas de préparation réaliste, autrement dit d’informations claires et mises en contexte sur la fonction, cette dernière est imaginée, construite en faux, avec le danger que l’individu se heurte à un « choc de réalité » trop brutal. Le cabinet de conseil en recrutement joue un rôle crucial dans la gestion des attentes de toutes les parties prenantes. Il aide à clarifier les besoins des acteurs internes, les attentes du poste et les critères de succès. Cela réduit les risques de malentendus entre l'entreprise et le candidat, en s'assurant que les 2 parties ont une vision réaliste de la mission à venir. Sans ce tiers de confiance, le risque est grand que les acteurs internes à l'entreprise essaient de "vendre" un poste qu'un candidat ambitieux serait trop heureux d'acheter... au détriment des 2 parties.


Deuxième incertitude : comment le cadre dirigeant va-t-il gérer sa fragilité durant cette période ? S'il peut se tromper sur la situation qu'il va trouver, le dirigeant peut aussi se tromper sur lui/elle-même et ses capacités. Ses idées ne sont rien d'autre qu'une spéculation, souvent habile, jusqu'à ce qu'elles soient traduites en expériences concrètes, dans un contexte donné. Au démarrage dans sa nouvelle mission, le dirigeant ne sait pas trop qui il est, pourquoi il est là et comment habiter la fonction. Il faut lui permettre de construire sa nouvelle identité en réorganisant ses acquis et ses expériences dans son nouveau contexte. Sa réussite précédente n'est pas une garantie de réussite future. Celle-ci constitue un alignement de plusieurs éléments : contexte ("la femme ou l'homme de la situation") / culture de l'entreprise / structure / personnalité et compétences du dirigeant / compétences des équipes. Certes, dans sa progression et jusqu'à présent, il a réussi à s'adapter à chaque nouveau rôle en étudiant son environnement et en appliquant son répertoire de compétences qu'il a enrichi au fur et à mesure. Jusqu'où saura-t-il être "plastique" et étendre encore sa capacité d'apprentissage ? C'est une période de fragilité cachée souvent résumée par le dicton anglo-saxon "fake it until you make it" (2). Les programmes de formation au leadership ne sont pas, dans ce cas précis, d'un grand secours. Ils décrivent un ensemble de « meilleures pratiques » qui sont efficaces dans de nombreuses situations. Toutefois, tenter de les appliquer comme une simple formule fait évidemment plus de mal que de bien. La valeur ajoutée du cadre dirigeant se situe plus dans une double interrogation qu'il doit être capable d'adresser :

  1. La situation qu'il trouve. Le diagnostic qu'il pose sur la situation puis ensuite dans les conclusions qu'il en tire et dans sa capacité à engager les actions nécessaires : par ex. besoin de mettre en œuvre une nouvelle stratégie commerciale ou un changement culturel ; gérer une transition organisationnelle telle qu'une fusion ou une réduction des effectifs.

  2. Lui même dans cette situation. Chaque fois qu'un de ses anciens modèles de comportement ne fonctionne pas dans son nouvel environnement, le dirigeant saura-t-il détecter une contradiction entre ses préconisations et les croyances portées par la culture de sa nouvelle entreprise ? Il devra alors décider dans quelle mesure il suit ses propres idées et valeurs ou la culture organisationnelle existante. Quelque soit sa décision, il devra être en mesure d'allier des contraires : garder les compétences qui ont permis de faire fonctionner les choses dans le passé et en injecter de nouvelles pour porter la vision qu'il défend. Le nouveau dirigeant ne devra pas provoquer des dysfonctionnements par exemple par des pertes d'informations, de synergie ou de capital immatériel. Il devra préserver les équilibres internes, du moins avant qu'il soit possible de les transformer ou de les faire évoluer en connaissance de cause. S’il reste dans une "pureté" de raisonnement ; il ne s’adapte pas à la culture. Il court alors le risque de ne rallier aucun autre acteur important à sa vision et perdre son pouvoir, sa crédibilité et ses ressources. D'un autre côté, s'il s'efforce uniquement de s'intégrer et d'ignorer ses propres opinions sur ce qui est le mieux pour l'entreprise, il abdique son leadership et ne fait pas bénéficier l'entreprise de la valeur ajoutée pour laquelle on est venu le chercher.

C’est l’un des défis les plus ambigus et les plus risqués auxquels est confronté un dirigeant. D'autant plus que cette confrontation se déroule dans une course contre la montre. Ce dirigeant venant de l'extérieur doit s'adapter assez vite à ce système organisationnel qu'il doit ensuite contrôler. Il doit être rapidement efficace sur le plan cognitif (perception et analyse des situations), relationnel (interaction avec le personnel pour confronter/conforter cette analyse) et technique (maîtrise des outils qui concrétisent l'exécution).


Une complexité inconnue, des enjeux vertigineux et un temps qui est compté : voilà ce qui attend le nouveau dirigeant. Lequel a besoin d'aide à prendre et comprendre ses responsabilités afin de lui permettre de contribuer vite de manière efficace et visible. De nombreux dirigeants ont tenté de s'adapter par eux-mêmes à ces nouvelles situations, souvent avec un succès limité, voire un échec à la clé. Dans certaines situations, un leader peut éventuellement développer de nouveaux comportements appropriés grâce à une combinaison d’auto-observation et des séquences d’essais / erreurs. Cependant, cela peut prendre des années que ni le dirigeant ni l'entreprise ne disposent au moment de l'intégration de celui-ci. Un soutien de l'entreprise qui l'accueille, généralement matérialisé par un plan d'intégration est un premier progrès. Il n'est toutefois pas suffisant au regard des enjeux évoqués. L'accompagnement (coaching) du nouveau dirigeant dans le démarrage de sa mission est complémentaire et pertinent. D'abord parce qu'il est aux prises avec un objectif qu’il n’arrive pas, seul, à identifier. Ensuite parce qu'il fait face à des difficultés nouvelles auxquelles, seul, il ne peut apporter de réponses. Dans sa relation avec le dirigeant, le coach propose, à ce dernier, un espace de questionnement qui lui permettra justement d'élaborer ses propres réponses en élargissant son champ de perception, en envisageant les situations sous d’autres aspects, afin de déconstruire et reconstruire différentes façons d’appréhender la réalité. Le coaching encourage ici la réflexion stratégique et la prise de recul, permettant au dirigeant de prendre des décisions plus éclairées et de développer une vision, à long terme, crédible pour l'entreprise.


La greffe va-t-elle prendre ? Le lecteur aura compris que ce papier pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses ;) Ça tombe bien c'est le comportement que devra adopter le dirigeant dans un 1er temps. Le respect du passé, l’humilité, le sens de l’écoute constituent des atouts incontestables pour un dirigeant nouvellement nommé : ne pas arriver avec trop d’idées, admettre sa fragilité et donc la possibilité d'une aide, faire le point, s’adapter pour être en mesure, à son tour d'adapter le collectif "entreprise". Ce sont là les bonnes cartes à jouer pour que la greffe prenne.


(1) Sur le poste et le rôle, voir l'article Tenir un poste ou jouer un rôle ?

(2) « Fake it until you make it » littéralement : « Simulez le jusqu'à que vous soyez capable de le faire. ». Dicton américain, plus que douteux, en terme d'efficacité et de pertinence mais très utilisé, notamment dans les années fastes des start-ups. A cet égard, l'exemple de Theranos est édifiant.

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