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Mesurer la valeur plutôt que l’activité ?

  • Photo du rédacteur: Erwan Hernot
    Erwan Hernot
  • 30 sept.
  • 5 min de lecture
Product Operating Model : Mesurer la valeur plutôt que l'activité
Changer de perspective et mesurer la valeur avec le Product Operating Model

Pendant des décennies, le management a mesuré la performance au travers de l’activité : nombre d’heures travaillées, livrables produits, taux d’occupation, respect du planning. Mais dans une économie centrée sur le client et l’innovation rapide, ces indicateurs deviennent insuffisants, voire même trompeurs. Ce constat a abouti à l'idée de Product Operating Mode (POM). L’approche est simple : déplacer la focale du “combien” vers le “pourquoi”. On ne mesure plus l’activité produite, mais la valeur créée pour le client, l’utilisateur ou l’organisation. Le POM est une manière de concevoir l’organisation où l’unité de base n’est plus le projet (temporaire), ni la fonction (silo), mais le produit (stable). Chaque produit a une vision claire, une équipe dédiée, un Product Manager responsable de la valeur et un Product Owner responsable du backlog. Les managers hiérarchiques deviennent des people managers, chargés du développement professionnel et du bien-être des collaborateurs.


Origine intellectuelle

Cette bascule est nourrie par plusieurs sources. Peter Drucker [1] avait déjà souligné que l’efficacité, c’est de mener les chantiers pertinents et pas de mener beaucoup de chantiers. Le Lean Management [2] insiste sur l’élimination des gaspillages et la concentration sur la valeur pour le client. Le mouvement Agile et le Scrum Guide [3] mettent au centre la valeur livrée à l’utilisateur à chaque itération. Plus récemment, Marco Iansiti & Karim Lakhani et [4] Thomas Davenport [5] ont montré que les entreprises les plus performantes ne mesurent plus seulement la productivité interne mais la valeur client générée par les produits digitaux. De là est né ce concept de Product Operating Model (POM), adopté par des organisations comme ING, Spotify, AXA, Microsoft ou Allianz.


De quoi s'agit-il ?

Mesurer la valeur et non l’activité implique de :

  • Structurer l’organisation autour de produits (au sens large : applications, parcours client, services internes).

  • Confier à des équipes pluridisciplinaires la responsabilité de bout en bout d’un produit.

  • Aligner les métriques non sur la quantité de travail fourni mais sur la valeur produite (ex. satisfaction client, adoption, revenus, rapidité d’amélioration).

En clair : passer de « Combien de réunions ? Combien de lignes de code ? » (par ex.) à « Combien de clients satisfaits ? Combien de problèmes résolus ? Quelle valeur ajoutée délivrée ? ».


Clés de mise en œuvre de la mesure de la valeur

La mise en oeuvre suppose de :

  1. Cartographier les produits : identifier ce qui, dans l’organisation, peut être traité comme un produit stable (application mobile, parcours crédit, service RH).

  2. Créer des équipes autonomes et également stables, dédiées à ces produits, plutôt que des équipes projet temporaires. Si elle est responsable de bout en bout, une équipe produit n’est pas censée “dissoudre” son énergie après un projet. Elle est responsable du produit dans la durée (construction, évolution, maintenance). Comme le produit s’améliore en continu, cela suppose que l’équipe garde en mémoire ses choix, ses erreurs, ses apprentissages. Si elle change tout le temps, on perd ce capital. De plus, une équipe stable peut s’auto-organiser, améliorer ses pratiques et gagner en vitesse ; ce qui est impossible si on la reconstruit tous les 3 mois.

  3. Définir la valeur attendue pour chaque produit : indicateurs clients (Net Promoter Score, adoption), business (revenus, coûts évités) et opérationnels (délai, qualité).

  4. Donner un mandat clair au Product Manager [6] : responsable de la valeur produite, pas seulement du backlog.

  5. Former les managers à piloter la valeur (resituer le sens de l'effort demandé, porter les bonnes métriques, avoir l'autonomie de prioriser à son niveau) plutôt que l’activité (tâches, présence, reporting). Former les collaborateurs à s'ouvrir à la logique du client dans une perspective pluridisciplinaire. Dans cet environnement, l'approche est nécessairement transversale : on travaille avec d’autres métiers sans pouvoir se retrancher derrière sa fonction.


Utilité

On respecte mieux l'alignement stratégique : l’énergie est investie sur ce qui crée réellement de la valeur. La transparence est indispensable : chacun doit comprendre pourquoi une activité est priorisée (impact client/business). On sécurise l'engagement : les équipes trouvent plus de sens quand elles voient l’impact de leur travail (voir le point 2 dans le paragraphe précédent). Dans le même ordre d'idées, la performance est plus durable : mesurer la valeur évite les dérives du « toujours plus vite, toujours plus de livrables » qui usent les collaborateurs.


L'idée en pratique

Prenons un exemple dans une banque :

  • Avant : l’équipe IT est évaluée sur le nombre de projets livrés dans l’année.

  • Après : l’équipe produit « Crédit Immobilier » est évaluée sur le taux de transformation des demandes de prêt et la satisfaction client sur le parcours digital.

Ou un exemple dans une entreprise cosmétique :

  • Avant : le marketing est jugé sur le nombre de campagnes lancées.

  • Après : l’équipe produit « Expérience e-commerce » est jugée sur l’augmentation du taux de conversion et la fidélisation des clients en ligne.


Quelques exemples d'indicateurs de faisabilité

  • Nombre de produits identifiés avec des métriques de valeur claires.

  • % d’équipes stables dédiées à un produit (vs projets temporaires).

  • Taux de corrélation entre les priorités de l’équipe et les objectifs stratégiques (Objectives Key Results, OKR).

  • Progression du NPS ou d’indicateurs d’usage concrets.


Limites et faiblesses

Comme toujours avec les idées managériales, le diable est dans les détails. Il peut être difficile de définir la valeur : par exemple, pour un service support interne (RH, juridique), comment la quantifier ? Le risque de myopie est réel quand il n'est pas un réflexe : se concentrer sur la valeur court terme (NPS, adoption) et négliger le long terme (innovation, exploration). Le coût organisationnel est conséquent : maintenir des équipes stables sur chaque produit suppose des effectifs importants et une gouvernance solide. Les conflits de priorités sont probables : quand plusieurs produits se disputent les mêmes ressources, le risque de compétition interne augmente. Enfin le choc culturel pour les managers est conséquent : il s'agit de passer de « je contrôle les tâches » à « j’aligne sur la valeur » ; ce qui nécessite un vrai repositionnement du rôle.


Conclusion

Mesurer la valeur plutôt que l’activité n’est pas une simple évolution des indicateurs : c’est un changement de paradigme. Cela conduit à repenser les équipes, la gouvernance, les rôles managériaux. Le Product Operating Model est la forme organisationnelle la plus aboutie de ce changement. Il aligne vision stratégique, autonomie des équipes et mesure de la valeur produite.

Mais il demande une vigilance constante :

  • Ne pas tomber dans le piège de la valeur court terme.

  • Accompagner les managers dans leur nouveau rôle.

  • Donner aux équipes les moyens réels d’être responsables de bout en bout.

En définitive, l’enjeu n’est pas de mesurer plus mais de mesurer mieux : ce qui compte vraiment pour le client, et donc pour la pérennité de l’entreprise.


Photo freepik


[1] Peter F. Drucker, The Effective Executive: The Definitive Guide to Getting the Right Things Done, Harper & Row, 1967. Ouvrage fondateur sur la différence entre « efficacité » (faire les bonnes choses) et « efficience » (faire les choses correctement).


[2] Lean Management : méthode issue du système de production Toyota (années 1950–1980), visant à éliminer les gaspillages et à concentrer les efforts sur les activités créatrices de valeur pour le client.


[3] Agile et Scrum :

  • Agile : approche née du Manifeste Agile (2001), fondée sur l’adaptabilité, la collaboration et la livraison incrémentale de valeur.

  • Scrum Guide : document de référence (première version 2010, mis à jour régulièrement par Ken Schwaber et Jeff Sutherland) décrivant le cadre Scrum, ses rôles, événements et artefacts.


[4] Marco Iansiti & Karim R. Lakhani, Competing in the Age of AI: Strategy and Leadership When Algorithms and Networks Run the World, Harvard Business Review Press, 2020.


[5] Thomas H. Davenport & Nitin Mittal, All In on AI: How Smart Companies Win Big with Artificial Intelligence, Harvard Business Review Press, 2023.


[6] Product Manager, Product Owner, People Manager :

  • Product Manager (PM) : responsable de la vision produit et de la valeur créée (le “pourquoi” et le “quoi”).

  • Product Owner (PO) : responsable du backlog et de l’exécution opérationnelle (le “comment” et le “quand”).

  • People Manager : responsable du développement professionnel, de la motivation et du bien-être des collaborateurs. Leur articulation dans un Product Operating Model : le PM oriente vers la valeur, le PO pilote le travail au quotidien, le People Manager soutient les personnes et leur carrière.

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