Si l'alignement (c'est à dire une exécution cohérente de la stratégie) est la thématique logiquement évoquée après ladite stratégie, il reste assez théorique : les risques de désalignement dans l'entreprise sont, eux, bien réels. En analyser les causes et les conséquences ; tel est l'objet de ce papier. Chacun pourra y retrouver un désalignement qui lui sera familier ;)
Reprenons quelques définitions à partir du schéma ci-dessus. L'alignement horizontal (flèches rouges) coordonne les grands composants de l'entreprise de la mission aux systèmes de management (1). La stratégie répond à la question « comment ? » C'est l'agencement des actions et des ressources. La capacité opérationnelle regroupe la structure et les équipements. La première détaille les rôles, responsabilités et relations entre les fonctions, les processus décisionnels et mécanismes de collaboration. Les équipements répertorient principalement les systèmes d’informations et de production. Les ressources symbolisent ici les flux financiers et le capital humain. Enfin le système de management englobe les incitations qui fixent les rémunérations et la reconnaissance des efforts en suivant les objectifs et en évaluant les performances. Dans le même ensemble, se trouve la gestion des ressources humaines. Elle maintient / développe la capacité des acteurs : recrutements, management, perfectionnement des compétences. Lorsque les membres d'une entreprise sont alignés, il existe une compréhension claire, commune et partagée de la mission, de la vision et des objectifs généraux. Les employés, à tous les niveaux, connectent leur contribution aux objectifs généraux de l'entreprise : le sens de leur travail en est facilité. L'alignement encourage la collaboration et la coopération entre les différentes équipes et départements. Quand tout le monde travaille vers des objectifs communs, il y a une plus grande volonté de partager des informations, des ressources et de l'expertise, ce qui améliore le travail d'équipe et la synergie. Lorsqu'il y a alignement, les processus de prise de décision peuvent être rationalisés, permettant des réponses plus rapides aux changements du marché, aux tendances émergentes et aux besoins des clients. Les entreprises alignées sont plus agiles et adaptables aux changements de l'environnement externe. La responsabilité d'un bon alignement échoit d'abord à la direction générale, responsable de la définition de la vision, de la mission et des objectifs stratégiques. Elle communique ces éléments clés en s'assurant que les différentes parties de l'entreprise 1) les comprennent et 2) travaillent dans la même direction. Les managers de niveau intermédiaire, tels que les directeurs de département traduisent la vision et les objectifs stratégiques en plans d'action concrets pour leurs équipes. Ils veillent à ce que les activités et les ressources de leur département ou de leur équipe soient alignées sur ces objectifs. Toutefois, plusieurs problèmes viennent percuter cette théorie :
Au niveau de la stratégie, il y a 2 risques majeurs de désalignement. Le pire, c'est qu'ils peuvent se cumuler.;) Tout d'abord, l'entreprise change de direction stratégique et se contente ensuite d'un alignement incomplet. Par ex. la conquête de nouveaux marchés, l'adoption de nouvelles technologies ou une fusion / acquisition. Il est alors nécessaire de consolider certains services, harmoniser les processus, restructurer les équipes, créer de nouveaux départements, de nouvelles équipes ou redéfinir des rôles existants. Mais les dirigeants ne songent pas toujours à ré-interroger tout le système "entreprise". Deuxième risque : la stratégie n'est pas claire, et/ou n'a fait l'objet d'aucun accord entre les parties prenantes. Les objectifs et les priorités qui la justifient ne sont pas plus clairs et/ou cohérents. A la clé : une confusion et un manque de direction pour les acteurs. Il n'y a pas non plus de critères pour les prises de décisions ; lesquelles, apparaissent arbitraires. Elles ne sont pas considérées comme légitimes ; il y a alors de fortes chances que chaque individu se retranche alors derrière la logique de son métier et ou de son silo. Ainsi, une fonction mettra en œuvre des changements qui rendront son travail plus efficace ou plus facile tout en le rendant plus difficile pour le reste de l'entreprise, ce qui renforce la perception de désorganisation globale.
La structure organisationnelle n'est pas alignée sur la stratégie. Les processus, les outils et les systèmes d'information ne sont pas remis à jour, Par exemple, l'adoption d'une nouvelle plate-forme numérique nécessite des changements dans les compétences des employés, les flux de travail ou la structure hiérarchique. Sans ces changements, la perte de productivité, les erreurs fréquentes et les retards dans la livraison des produits ou services adviennent. Plus généralement, on multiplie les problèmes de communication, de coordination et de responsabilité. Les acteurs sont parfois dans le flou pour savoir à qui rendre des comptes. Il y a une difficulté fréquente à mobiliser des ressources. Les flux de travail deviennent confus, le diagnostic des compétences nécessaires est plus difficile à faire. Partager l'information n'est pas spontané ; il devient même rare dans cette situation. On constate un manque de collaboration entre les silos. La capacité d'innovation s'affaiblit. Les meilleures pratiques ne circulent pas. Les compétences requises pour atteindre les objectifs stratégiques ne sont pas développées. Enfin, un management non aligné signifie des approches individuelles contradictoires de la part de chaque manager.
Pourtant, quand le PDG demande à la fin d'une réunion, « Sommes-nous alignés ? » tout le monde hoche la tête. Mais le plus souvent, les actions que les acteurs entreprennent ensuite ne correspondent pas à la direction sur laquelle ils se sont mis d'accord. Les dirigeants s'entendent sur une orientation et un ensemble de priorités. Ils peuvent réciter la vision, la stratégie organisationnelle et les indicateurs clés à volonté. Mais mesurent-ils le degré de compréhension quand on descend la chaîne hiérarchique dans leur département ? Demandez aux managers à 2 ou 3 niveaux en dessous du Codir comment leur département contribue aux objectifs de performance de l'entreprise : la plupart des acteurs interrogés sont incapables d'une réponse claire. Si, dès le départ, les cadres intermédiaires ne sont pas sur la même longueur d'onde les uns avec les autres et avec les cadres supérieurs, comment peut-on s'attendre à ce qu'ils agissent de manière cohérente face aux changements rapides et aux défis qui se présentent ? Par exemple si les métriques utilisés dans les mécanismes d'incitation, ne supportent pas les objectifs remis à jour, on aura affaire à une déperdition des efforts. Avec probablement de mauvais résultats, des standards qualité plutôt bas, une frustration et un gros turnover dans les équipes. Face à l'évidence de cette liste d'inconvénients, la question qu'on peut évidemment se poser, c'est : pourquoi est-ce que certaines entreprises « autorisent-elles » le désalignement ?
Avant tout parce que le ré-alignement est un processus complexe et délicat. Ré-aligner, quelle que soit la situation dans laquelle se trouve l'entreprise, se passe d'abord dans la tête des acteurs : sont-ils convaincus - ou pas - de la pertinence des arguments avancés pour ce ré-alignement ? Si ce n'est pas le cas, ces individus groupés en collectif (c'est-à-dire l'organisation de l'entreprise) résisteront naturellement à tout changement. La première étape du ré-alignement consiste à obtenir la reconnaissance et l'adhésion de l'équipe de direction, leader d'opinion par définition. Ce qui suppose, une co construction de la stratégie avec ses membres. Après, c'est une prise de relais par la chaîne hiérarchique et les processus existants ou à créer : déclinaison d'objectifs avec des techniques telles que OKR et KPI. Cela nécessite un certain temps pour rassembler les bonnes mesures et les rendre faciles à comprendre, mettre en oeuvre. On retrouve l'effort de co-construction à partir d'un objectif stratégique, donné, à chaque étape niveau de la chaîne hiérarchique. Cela nécessite également de passer plus de temps avec les managers pour s'assurer qu'ils comprennent parfaitement leurs nouveaux rôles et qu'ils s'en acquittent. Or, ici aussi, plusieurs problèmes viennent entraver cette impeccable logique. Tous ont pour cause source le fait que le direction générale considère que l'élaboration de la stratégie est sa chasse gardée et que pour le reste, il suffit de la décliner auprès des publics clés :
Le temps de maturation dans la tête des leaders à tous les niveaux hiérarchiques, est, dans la vraie vie, un exercice intermittent. Au lieu d'un effort continu qui consolide l'équipe de direction sur ces nouveaux éléments, le raisonnement est le suivant : puisqu'ils sont membres de l'équipe de direction, ils sont forcément convaincus de la pertinence des choix qui y sont opérés. La conclusion qui en est tirée, c'est que l'effort dédié à la connaissance, la compréhension et l'adhésion, est minimum (ou pire, traité comme une réflexion après coup dans l'e-mail post-séminaire de direction par ex.) Il faut évidemment, raisonner à l'inverse : c'est l'effort d'implication en amont, des acteurs qui détermine leur capacité à s'aligner aux objectifs qui seront annoncés. Autre erreur d'appréciation : le processus a également tendance à se concentrer uniquement sur l'alignement des dirigeants et non sur leur incitation à agir. Dans certains cas, les participants se contentent de reformuler les conclusions du séminaire de direction sans s'engager. Ils repartent avec des points de vue différents sur ce qui a été discuté en séminaire. Leurs messages ultérieurs à leurs équipes sembleront incohérents et déroutants. Or, souvent, la DG, pressée par le temps prend des raccourcis. Il est plus facile de transmettre un dossier de type communication interne à vos adjoints directs que de s'engager dans un échange avec eux pour obtenir un consensus ou au mois un consentement, sur les priorités clés.
On retrouve une difficulté proche avec ces managers intermédiaires qui traduisent mal les objectifs stratégiques : leurs plans d'actions ne sont pas pertinents. Cette incohérence vient d'une mauvaise compréhension. Elle s'explique facilement : quand vous avez reçu en tout et pour tout comme base de raisonnement, que ce dossier concocté par la communication interne (qui elle-même comprend mal, les subtilités business), l'élaboration de votre propre plan d'action n'a rien d'une évidence. A l'opposé, d'autres managers ont parfaitement saisi la portée des objectifs et les conséquences de l'alignement demandé. Ils ont également mesuré le soutien purement de façade de leur propre hiérarchie aux objectifs annoncés. Ils optent alors pour l'inaction parce que prendre les mesures ad-hoc pourrait leur causer des ennuis et qu'il est plus sûr de ne rien faire !
Si la descente des objectifs, (qui, suppose l'alignement), est considérée comme une évidence, la remontée des réactions du terrain, qui permettrait des adaptations et le partage entre collègues (alignement horizontal) n'est pas prévue qu'il s'agisse de temps passé ou de processus qui pourraient les faciliter. La taille et la complexité des grandes entreprises n'arrangent rien, qui entravent le flux d'informations et l'accès des individus aux différents niveaux de leadership. Sans communication ascendante (alignement vertical), l'équipe dirigeante passe à côté des informations émanant des cadres intermédiaires qui ont une vision de première ligne. Ces derniers restreignent, alors leur effort à rechercher le meilleur résultat pour leur propre équipe au détriment du périmètre commun.
Pour finir, revenons à notre PDG et à sa question de fin de réunion stratégique. Plutôt que d'estimer que tout le monde est aligné avec une question passe-partout, il aurait tout intérêt à faire un tour de table pour valider l'implication de chacun et sa compréhension des objectifs. Ce travail d'interprétation et de reformulation peut sembler laborieux. Il s'avère qu'il est vital pour conserver l'élan transmis en séminaire de direction. Il permet encore au PDG de démarrer des collaborations entre les différents silos avec la question : « avec qui avez-vous besoin de travailler pour réaliser l'alignement que vous m'avez exposé ? » Cette question se complétera dans les mois suivants avec des questions de suivi : l'alignement est un perpétuel recommencement.
(1) Plusieurs modèles existent, qui interprètent avec des symboles différents les composant de l’entreprise : 5 stars de J. Galbraith, 7S de MacKinsey, Jonathan Trevor et Barry Varcoe dans la Harvard Business Review…
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