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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Evaluation : le bon manager, c'est comme le bon chasseur ;)


A la question de fond « qu’est-ce qu’un bon manager ? », les spécialistes du management pourraient avoir envie de répondre, à l’instar des protagonistes du fameux sketch des Inconnus : « C’est comme le bon chasseur ». Une façon d’échapper à la réponse tant cette dernière - l’évaluation - est peu évidente. L’objet de ce papier est d’éclairer ce débat.


La première question à se poser est de définir l’objet de l’évaluation : mesure-t-on le résultat, cible de la performance du manager ? Par ex. le manager d’un commercial installe une ambiance d’équipe, un accompagnement qui permet à ce dernier de vendre beaucoup de produits à forte marge. C’est une contribution indirecte au résultat de l’entreprise. Mais à quel résultat a contribué ce manager performant ? Financier ? Humain (ce qui est vague) ? Organisationnel (qui renforce l’existence même de l’entreprise) ? Image (qui facilitera le résultat financier) etc. C’est souvent tout ça à la fois avec un dosage quasi impossible à déterminer. La notion même de résultat managérial apparaît hasardeuse.

La deuxième question concerne l'évaluation de la performance managériale. Si on veut éviter une évaluation trop subjective de cette dernière, on la rattache à une mesure. Or, le fait de mesurer suppose l’existence d’une norme. Existe-t-il, dans l'absolu, des normes de comportements managériaux ? Certains spécialistes estiment qu’il n'y a pas de norme basée sur des gestes professionnels reconnus (1). C’est une démonstration par l’absurde (on imagine la situation qui n’existe pas pour démontrer qu’elle ne peut pas exister. Dans cette optique, la notion d'indicateurs n'a de sens que dans une approche taylorienne du travail, « lorsqu’un prescripteur [celui qui décrit et édicte le geste professionnel : le bureau des méthodes dans l’univers taylorien] a établi d’une manière quantifiable et mesurable, le contrat de l’activité en détaillant les gestes à produire. » Mais une partie de l’activité qui rend possible le résultat n’est pas formalisée dans la prescription qui serait produite par le bureau des méthodes : pour que le manager puisse agir, il est obligé de créer un certain nombre d’autres actions qui ne rentrent pas dans le contrat d’activité parce qu’elles n’ont pas été formalisées et quantifiées. Autrement dit : l'acte de manager s’élabore au fur et à mesure de l'action dans laquelle il existe. Cette part de création est forte parce que manager demeure un art et la pratique d’un art varie en fonction de l’identité de « l’artiste », d’une prise de risque, d’une démarche d’essai-erreur et de beaucoup de régulation sans visibilité. En ce sens, la demande institutionnelle de mesurer la performance managériale à l’aide d’indicateurs quantifiables peut paraître impossible à mettre en œuvre.

C’est d'ailleurs tout aussi problématique à l'échelle - plus large - des ressources humaines. La sanction de cet état de fait est connue : si un acteur a très peu de latitude pour ne pas appliquer la politique financière ou commerciale, il en a beaucoup pour ne pas suivre la politique RH, en particulier au niveau de la première ligne de management, là où se fabrique l’essentiel de la valeur ajoutée de l’entreprise et la satisfaction des clients et des collaborateurs. Pourtant la première condition de l’efficacité RH est que cette politique RH (principes, objectifs, stratégie, méthodes et outils) soit réellement déployée sur l’ensemble des lignes managériales. Ainsi les entreprises ont bien essayé de s'en sortir avec les chartes managériales qui regroupent généralement des grands principes et qui peuvent tout juste servir de guide dans les situations du quotidien. Ça donne un peu de cohérence... dans la mesure où chaque manager est capable de 1. les comprendre et 2. les contextualiser selon les situations. Mais, contrairement à la politique financière, cela nécessite la compréhension concrète et l’adhésion réelle du plus grand nombre et ne s’obtient que par une co-construction permanente basée sur l’écoute, le dialogue et le feed-back. Autant de conditions pas toujours remplies...


Que reste-t-il alors à l’auteur de ces lignes pour ne pas rester broucouille (comme on dit dans le Bouchaunois) face à la question de l’évaluation managériale ?


Si on ne peut pas « normer » au sens taylorien du mot, on peut s’inspirer des travaux des sciences humaines qui s’accumulent depuis plus d’un siècle. On ne peut pas mesurer mais paradoxalement, on sait que certaines pratiques, certains comportements managériaux sont très importants dans la contribution au résultat. D’une certaine façon, il existe, si ce n’est des normes, au moins des facteurs constants favorisant la performance de l’entreprise. Dans celles qui font face à la concurrence, l'excellence et les niveaux de qualité sont clés. La créativité et l'innovation sont essentielles pour progresser. L’engagement des salariés et un « contrat psychologique (2)» positif avec l’employeur sont fondamentaux pour améliorer les performances. Par exemple, des collaborateurs satisfaits sont plus susceptibles de coopérer les uns avec les autres et d'aller au-delà des exigences de travail stipulées afin de promouvoir l'efficacité organisationnelle. Les pratiques de rémunération ou de GRH, ou des aspects plus immatériels comme le style managérial, sont ici des facteurs qui influencent le plus la satisfaction et l'engagement. Bien sûr, certaines entreprises sont rentables même si elles n'utilisent que peu ou pas de telles pratiques. Elles se situent le plus souvent dans des secteurs de production, fortement processés où l’emploi nécessite peu d'apport du salarié ou dans des opérations de services en concurrence sur le prix plutôt que sur la qualité.


L’évaluation reste toutefois possible. C’est à la mise en place d’un triptyque qu’il faut penser :

  • Evaluation des résultats métier. Les différents indicateurs (ils concernent les ventes, la production, les clients, etc.) sont utiles pour juger de l'amélioration d'une équipe par rapport aux performances métier. C’est l’évaluation de la contribution indirecte évoquée précédemment. Mais ils ne suffisent pas. Ce n’est donc pas en cherchant uniquement à identifier des indicateurs théoriques et généraux qui ramènent les comportements particuliers à une norme générale qu’on va pouvoir valider les pratiques managériales.

  • Evaluation des pratiques managériales utilisées. On ajoute alors le deuxième étage de la fusée. Deux familles de pratiques sont particulièrement significatives :

    1. l'acquisition et le développement des compétences des collaborateurs (dont sélection, intégration, formation et recours aux évaluations) ;

    2. la conception du travail par les managers (y compris la flexibilité et l’adaptation, la responsabilisation, la variété des missions et le recours à des équipes stables).

Ces groupes de pratiques sont alliées à des capacités émotionnelles :

1) Conscience de soi – La capacité des managers à reconnaître leurs propres humeurs

2) Autorégulation - Leur capacité à séparer leur état d’esprit personnel, de la performance au travail

3) Motivation - Le niveau d’intérêt pour le travail qui va au-delà du salaire

4) Empathie - Leur capacité à "se connecter" réellement avec les salariés et les clients

5) Compétences sociales - Leur capacité à faire corps avec leur équipe et leur aptitude à entretenir des relations transverses, ainsi que la capacité à communiquer clairement leurs idées et des concepts

Pour capturer ces éléments, on regroupe ici des indicateurs RH et des évaluations comme le 180 ou le 360°.

  • Enfin auto-évaluation de leur pratique par les managers Troisième étage de la fusée « Evaluation du management », l’auto-évaluation, lors d’un entretien avec son hiérarchique permet au manager, d’éclaircir la relation management / résultat. J’emprunte ici des notions évoquées par Snowden (3) pour évoluer dans la complexité. Dans les activités complexes (c’est le cas du management) , il semble donc illusoire de chercher à mesurer des résultats uniquement « de l’extérieur » par rapport à une norme. La prise de recul consiste à mettre le manager dans une démarche d’analyse de pratiques, à l’entrainer à révéler la cohérence (ou l’incohérence) de la situation qu’il  doit gérer. L’aider à mettre de l’intelligibilité sur la situation qu’il vit pour comprendre ce qui se passe ou ce qui s’est passé et ainsi mieux (se) piloter. Par un curieux retour des choses, un bon manager est capable de produire du sens sur ses erreurs ; c'est ainsi qu'il donne une indication valide de sa compétence. Sans cette mise à distance, le manager, navigant à vue en situation complexe, est incapable de savoir si sa démarche a été cohérente (difficile dans cette approche d'utiliser un adjectif comme « bon » ou « mauvais »). On peut avoir une perception négative d’une pratique de management alors qu’à l’analyse, il apparaît que le manager a fait du mieux possible dans un contexte interdisant toute réussite. Inversement on peut avoir l’impression d’un manager a réussi parce que son équipe produit beaucoup, mais qu’à l’analyse on mesure que l’équipe réussit « malgré » le manager.

Evaluer un manager c’est combiner ces trois dimensions. L'exercice peut sembler difficile ; il ne l'est pas tant que ça... si on a le budget.


(1) Denis Bismuth "Comment évaluer la performance managériale ?" HBR France 2016

(2) Le contrat psychologique. L'engagement repose sur un contrat entre employeurs et employés. Ce contrat est composé d’obligations transactionnelles et relationnelles, qui, lorsqu’elles sont rompues, ne génèrent pas les mêmes effets. Les obligations transactionnelles relèvent d’une logique rationnelle / juridique et portent sur des éléments économiques et légaux qui ne changent pas dans le temps (par exemple, acceptation de travailler sur les projets auxquels le collaborateur est assigné). Elles supposent un niveau limité d’implication dans le travail. Les obligations relationnelles répondent à des exigences de confiance et de loyauté des deux parties. Elles possèdent une dimension affective importante pour l’individu. Elles forment un système de croyances, de valeurs, de perceptions de l’environnement, élaboré durant la socialisation dans l’enfance, les précédentes expériences de travail, la culture organisationnelle, les interactions quotidiennes. Ces obligations relationnelles sont tacites et purement interprétatives donc étrangères à l’organisation et totalement ignorées des managers. Il suffit qu’elles changent pour que les termes du contrat soient modifiés.

(3) Snowden et Boone, A Leader's Framework for Decision Making, HBR 2007


Photo : Tima Miroshnichenko

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