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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

L'entreprise perd son âme (1) quand le salarié perd confiance


L'âme de l'entreprise, c'est la confiance des employés

Au départ, quand l'entreprise est encore une start-up, l'équipe gère les dossiers communs de manière informelle, sur la base de la confiance et de la coopération. Moins les acteurs sont nombreux et plus ils sont proches, plus la probabilité qu’ils nouent une relation de confiance est forte. La confiance constitue cette donnée élémentaire de la vie en société. Elle participe à la réduction de la complexité sociale et des risques inhérents à celle-ci : je simplifie les situations en faisant confiance à l'autre sans entrer dans les détails de ce qu'il fait. Si, au démarrage de l'aventure entrepreneuriale, les enjeux sont vertigineux, tous les acteurs se serrent les coudes, la solidarité est forte et l'entraide évidente. La coordination est - presque - naturelle. Les décisions des dirigeants sont comprises car elles sont prises au niveau du terrain, parfois avec tous les membres de l'équipe. L'âme de l'entreprise existe : tous l'ont rencontrée ! La période difficile mais intense fabrique le souvenir d'un âge d'or, mythifié par tous les acteurs présents à cette étape de la vie de l'entreprise. Comment l'entreprise perd-elle cette âme ? Et comment pourrait-elle la retrouver ? Tel est l'objet de ce papier !


Imaginons que, dans ma start-up, le succès arrive. Avec la croissance du chiffre d'affaires, l'entreprise se développe et recrute. Il y a tant de nouvelles têtes qu'on ne connaît pas et qui, à l'aulne de nos expériences d'"anciens combattants" n'ont rien prouvé ! Les fondateurs sont maintenant plus distants : ils traitent de sujets de plus en plus variés avec des niveaux d'abstraction de plus en plus élevés. Parce que la spontanéité sans coordination devient problématique, au-delà de quelques personnes, l'entreprise tente d'organiser les actions; Ce qui complique sa structure : elle dessine des organigrammes qui établissent une hiérarchie hier encore moins prégnante car la contribution de chacun était plus visible et évidente. L'organigramme fixe les acteurs. La hiérarchie ordonne mais rend plus difficile une communication claire entre le niveau du haut, et le niveau d'en bas, compliquant la participation à l'élaboration de la stratégie, voire tout simplement à sa compréhension. Si les dirigeants n'ont pas établi de relations avec leurs employés initialement, ils ne seront plus en mesure de diagnostiquer si la communication est bonne ou pas car dans de nombreuses situations, les employés n'admettront pas qu'ils ne comprennent pas. De plus, dans l'acceptation de la hiérarchie se loge l'hypothèse que les problèmes peuvent être décomposés en éléments eux-mêmes composés de sous problèmes et de sous éléments et ainsi de suite. Dans ce cadre, la responsabilité pour accomplir une tâche compliquée, revient au niveau le plus élevé qui intègre, et contrôle les solutions et les actions du niveau inférieur, partant du principe que les problèmes étaient plus simples à ce niveau. Cette perception est évidemment fausse, étant entendu que la complexité (en plus de la complication) est générée par les interdépendances entre les niveaux. Plus le degré d’interdépendance est grand et plus le dirigeant doit reconnaître la valeur de la relation avec les autres acteurs, ce que la hiérarchie prend assez peu en compte. La hiérarchie et les territoires qu'elle dessine, permet plutôt de dégager des responsabilités individuelles autour de facteurs identifiés de performance, mettant les acteurs en situation d'être jugés et évalués de manière constante… sauf qu'ils n'ont plus la liberté d'agir comme ils les souhaiteraient. Chaque niveau n'est en effet pas reconnu légitime de régler le problème du niveau du dessus, même s'il le repère, l'anticipe et pourrait le supprimer. L’attitude de la personne de statut supérieur devrait alors faire en sorte que le subordonné se sente psychologiquement en sécurité d'aider le niveau du dessus. C'est ainsi que le supérieur peut espérer obtenir les informations et l’aide dont il a besoin. Or, de part ce raidissement des hiérarchiques (ou leur ignorance de la culture de la start-up initiale), de nombreuses décisions prises avant sur le terrain, font maintenant l'objet d'un recours auprès des autorités supérieures. La confiance initiale n'y survit pas. Pourtant cette confiance interpersonnelle est une ressource sociale qui facilite la coopération en permettant une meilleure coordination des interactions. La mécanique est la suivante : la confiance se construit de mon côté parce que je (employé ou manager) me suis rendu vulnérable en admettant mon ignorance et/ ou ma faiblesse et que l’autre personne n’a pas profité de moi pas plus qu'elle ne m’a ignoré. La confiance se construit du côté de mon interlocuteur parce que j’ai montré de l’intérêt et prêté attention à ce qu’on m’a dit. L'âme de l'entreprise se trouve dans cette conversation qui construit une relation de confiance et donc un processus interactif dans lequel chaque partie investit et obtient quelque chose de valeur en retour. Cette âme est fragile dans cette entreprise en mutation : les individus, peu sûrs de ce qu’ils sont eux-mêmes dans cet environnement changeant, ne savent plus ce qu’ils peuvent « attendre » des nouveaux arrivés : est-ce que les anciennes règles informelles et très souvent tacites sont toujours valables ? D'ailleurs, comment vais-je réagir dans ce nouvel environnement ? Certains acteurs ne savent même plus ce qu’ils peuvent attendre d’eux-mêmes : comment sont-ils sensés se comporter maintenant ? L'entreprise formalise des procédures. processus, règles. Lesquelles visent à sécuriser des bonnes pratiques en obligeant les acteurs à s'y conformer. Les relations informelles et la confiance mutuelle qui existaient précédemment sont remplacées par des relations plus hiérarchiques et formelles. L’exigence du contrôle par des rapports écrits et surtout chiffrés sur les résultats de leur activité, éloigne encore les acteurs de leurs supérieurs hiérarchiques, ce qui contribue à ce que leur relation avec eux ne puisse pas être vécue comme directe et confiante. Pour les nouvelles populations, qui n'ont pas connu les façons de faire du démarrage start-up, la procédure prime sur le fond. Ce qui mène à une bureaucratisation excessive. Ses principes, par ex. la stricte division du travail construite sur ces règles, rendent les processus décisionnels opaques et frustrants pour les 1ers employés. La performance n'est plus « chacun fait du mieux qu'il peut ». Elle est définie par une. quantité d'indicateurs et des procédures de contrôle. La communication n'est plus fluide et directe mais matérialisée par des comités de pilotage, reportings, visas hiérarchiques, organisations matricielles et réunions de coordination. Ce système n'est pas mauvais en soi mais il change la relation à l'entreprise : il vise à faire coopérer de manière contractuelle. Les entreprises ont privilégié cette dimension gestionnaire avec la triade processus, progiciels de gestion intégrés, indicateurs, en omettant l’individu et sa liberté (et donc sa responsabilité (2). Tout prend deux fois plus de temps et les résultats sont peu probants. "On ne fait plus ; on passe son temps à dire ce qu'on a fait et ce qu'on va faire". Cela génère un sentiment de perte de contrôle et de dépossession dans les équipes et les managers de 1er niveau. La nostalgie n'est plus très loin. Pour noircir encore le tableau, ajoutons qu'il y a des évidences - externes - à l'entreprise - auxquelles il faut se rendre : une nouvelle vague de complexité liée aux exigences de transformation numérique, de conformité et de responsabilité sociale et environnementale (RSE), sensées répondre aux exigences de l'environnement VUCA. Au final, lorsque la méfiance s'installe, la coopération spontanée entre les employés diminue. Au lieu de travailler ensemble pour atteindre des objectifs communs, les individus peuvent adopter une attitude plus opportuniste, cherchant à protéger leurs intérêts personnels.


Comment dépasser les approches sans âme, uniquement centrées sur un simple calcul rationnel des acteurs ? La façon dont est souvent structurée l’entreprise – en multiples départements « taylorisés » – a eu sa raison d'être en termes d'efficacité organisationnelle mais elle ne fonctionne plus très bien quand les "silos" sont trop nombreux. Les gens se renvoient la balle sans cesse, exploitant les béances d'un système malmené par la complexité. La réponse la plus évidente, c'est de simplifier les processus autant que possible pour éviter cette bureaucratie envahissante. Les "check-lists" et autres processus formels de coordination ne suffisent pas car ils ne peuvent pas faire face à des situations imprévues qu'il s'agisse du cockpit d'un avion de ligne, du bloc opératoire ou de l'open space d'une équipe chargée de gérer les sinistres dans une compagnie d'assurances. Mais simplifier sans toucher à la logique d'ensemble, c'est … compliqué. Il faut prendre la mesure du système et agir à ce niveau : bouger la structure lorsque la stratégie change, ajuster les processus et les politiques d'incitation de comportements différents. Ainsi, si on simplifie la structure et les processus, on ne supprime pas la complexité (qui reste inévitable au vu de l'époque). On l'exporte dans les relations entre les acteurs, qui pourront la réguler. Dit autrement : on ne fait plus de structures matricielles à 4 niveaux que personne ne comprend. On fait une structure claire dès la 1ère lecture et on charge les gens sur le terrain de régler les problèmes. Révolutionnaire, n'est-il pas ? " Il faut alors investir dans la productivité relationnelle : la compréhension partagée des objectifs, le bon usage des arbitrages, la relation manager-managé, la coopération et donc la confiance », estime Yves Morieux. (3) Encourager une communication ouverte et transparente à tous les niveaux de l'entreprise maintient cette confiance. Dans ces conditions, la capacité des membres d'équipes à dévoiler leurs vulnérabilités, permet de construire les premières relations qui à leur tour, autorisent à apprendre ensemble. À mesure qu’ils développent des niveaux de confiance plus élevés grâce à cet apprentissage conjoint, ils deviennent plus ouverts dans leur communication, ce qui leur permet de faire face aux inévitables surprises qui surviennent dans des situations interdépendantes complexes. Il faut encore être curieux d'autres façons de faire. Par comparaison avec une structure "classique", l’un des avantages de l’holacratie (4) réside dans le fait que sa gouvernance auto organisée prend en charge cette complexité. Dans cette structure, il n’est pas fait référence aux personnes dans un organigramme mais plutôt à des rôles qui ont été définis et distribués à ceux qui souhaitent et peuvent les remplir. Celui qui remplit le rôle doit avoir l’autorité pour prendre des décisions (et les exécuter) sur ses activités. Des limites d’autorité sont aussi définies, qui permettront aux autres rôles de faire leur travail efficacement. L’adoption de cette méthode de gouvernance clarifie la délimitation des responsabilités des uns et des autres. En réorganisant en quelques courants (streams) l’entreprise et en dotant chacun d’un client clair, la structure devient plus simple et performante. Le principe pertinent n'est plus de contrôler par des structures et des procédures mais consiste à mettre en place un contexte qui encourage les bons comportements. Un contexte tel que le comportement le plus utile pour chacun coïncide avec celui dont l'entreprise a besoin ici et maintenant, alors même qu'aucune structure ou description de poste ne pourrait décréter à l'avance le comportement requis puisqu'il dépend des circonstances. Corollaire immédiat : cette organisation reconfigurable a besoin d'une équipe de direction solide, capable de prendre des décisions prioritaires fréquentes, d'allouer des ressources, de communiquer efficacement et de résoudre les conflits en temps opportun. En restant sur une estimation grossière, il me semble que moins de la moitié des populations peuplant les CoDirs en ont la capacité. Sans aller jusqu'à cette solution holacratique peut être trop radicale pour beaucoup de dirigeants, l'important est de réexaminer la validité de certaines de leurs croyances. Il s'agit de trouver, pour une entreprise donnée, le bon degré de structuration, procédures, décentralisation décisionnelle. Ici, les dirigeants sollicitent régulièrement les commentaires des employés et les impliquent dans le processus décisionnel lorsque cela est possible. Ce qui renforce le sentiment d'appartenance et d'importance des équipes locales au sein de l'entreprise. Elles ont plus de contrôle sur les questions qui les concernent. Mais il ne suffit pas de découper une organisation en milliers d'entités opérationnelles ! Cette décentralisation débarrassée des strates d'organisation (certains jobs de consolidation des grands groupes) et des processus superflus s'appuie sur des valeurs partagées qui cimente l'ensemble et pour en faire un tout cohérent. C'est à dire une âme ;)


(1) Alain Etchegoyen est l'auteur de cette formule. Les entreprises ont-elles une âme ? 1990

(2) C'est une des idées portées par François Dupuy dans tous ses ouvrages.

(3) Yves Morieux and Peter Tollman, Smart Simplicity, Six Simple Rules: How to Manage Complexity without Getting Complicated, 2014

(4) Holacratie.C'est une forme de management constitutionnel, fondée sur la mise en œuvre formalisée de modes de prise de décision et de répartition des responsabilités communs à tous dans une constitution. Opérationnellement, elle permet de disséminer les mécanismes de prise de décision au travers d'une organisation avec une autorité distribuée et des équipes autoorganisées, se distinguant des modèles pyramidaux à approche descendante plus classique.Wikipedia. Ce n'est pas la panacée, mais c'est intéressant pour réfléchir en miroir à sa propre entreprise.


Photo : freepik


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