L'affirmation selon laquelle pour réussir dans une entreprise, il ne suffit pas de bien faire son travail mais qu'il faut également avoir un sens politique, met en lumière la complexité des dynamiques internes d'une organisation. Dans toute entreprise, faire son travail de manière efficace est la condition sine qua non pour être reconnu et progresser. Cela signifie maîtriser son domaine, respecter les délais, atteindre les objectifs fixés, et produire un travail de qualité. Ces compétences techniques sont ce qui permet à un acteur d'amorcer positivement sa carrière. Cependant, seules, elles ne suffisent pas pour avancer significativement dans la hiérarchie ou pour exercer une influence notable. Si on voulait s'en convaincre, il suffirait de comparer, par ex., la journée type d’un collaborateur et celle d’un chef de projet. La différence réside dans la manière dont le temps est utilisé. Pour les membres de l’équipe de projet, la majeure partie du temps est consacrée aux tâches techniques. Pour un chef de projet, en revanche, la grande majorité du temps est dédiée aux réunions et aux communications. Ce schéma se répète dans tous les types de projets et dans toutes les entreprises. Par extension, de nombreux managers comprennent que la dynamique politique des entreprises fait partie de leur travail. Mais ils hésitent à jouer le jeu. Ils n’aiment pas les conflits et la concurrence. Ils considèrent les compromis politiques comme une perte de temps dont l'élaboration aura été motivée par l’ego. Pour eux, la "politique" (Voir un précédent papier ICI) consiste avant tout à contraindre ou à manipuler les autres. Ils dénoncent un monde où « qui vous connaissez » est plus important que « ce que vous savez » : or, de facto, les gagnants sont mieux connectés aux différents réseaux d'influence qui parcourent l'entreprise. Ce n'est donc pas parce que leurs propositions/solutions sont plus solides ! Si on avait l'esprit taquin, on pourrait toutefois interpeller ces managers réticents à la politique avec la question suivante : "Êtes-vous conscient des rôles politiques que vous jouez déjà ?" En tant que manager, ils n'ont pas d’autre choix que de traiter en permanence avec le reste de l'entreprise. Sans compter les rôles organisationnels qu'ils jouent en tant que manager de leur équipe. On pourra même leur affirmer que, s'ils n'impliquent pas l'organisation, c'est qu'ils n'exercent pas d'influence efficacement et donc qu'ils limitent leur efficacité en tant que manager. Les conséquences de ne pas remplir ces rôles sont bien concrètes : entre l'équipe du manager et les autres entités, les problèmes ne sont pas résolus. Voire pire : les autres parties prenantes comprennent mal les enjeux auxquels il fait face et les objectifs qui lui ont été assignés ; les conflits sont systématiquement résolus à son désavantage. Son équipe (et les autres) fonctionnent sur la base d'informations incomplètes ou inexactes. Cette équipe n'a pas les ressources dont elle a besoin. Ses membres pensent que leur manager ne les défend pas. Etc.
Convaincu(e) ? Il faut alors commencer par comprendre le fonctionnement d'une entreprise … en faisant des deuils : 1) Si le manager considère l'organisation de son entreprise comme une hiérarchie rationnelle dans laquelle l’information monte la chaîne de commandement et les directives descendent. 2) S'il estime que l’influence devrait venir du poste ou du titre, renforcée par les expériences et l’expertise. 3) S'il croit que les différends organisationnels devraient être réglés par une recherche rationnelle de la « meilleure » solution, laquelle - bien entendu - sera évidente pour tous les acteurs intelligents et sensés et qui partagent le désir de travailler ensemble. 4) S'il pense que le conflit est systématiquement un échec managérial ou une faute originelle dans la conception de la structure même de l'entreprise. Malheureusement, les entreprises sont beaucoup plus complexes que ces opinions ne le supposent parce qu’elles sont composées d’humains et parce que le management consiste en grande partie à négocier des compromis. De fait, il vaut mieux reconnaître ces différents éléments de la réalité afin de traiter l'entreprise telle qu'elle est et non telle qu'elle devrait être.
L'entreprise n'est pas un espace homogène où seul le travail de qualité compte. Elle est donc constituée de plusieurs groupes, départements ou équipes, qui ont chacun des intérêts contradictoires, voire inconciliables, des objectifs et des niveaux de pouvoir différents. Comprendre ces dynamiques est crucial pour naviguer. Dans un environnement professionnel, l'excellence technique peut démarquer l'acteur mais son succès durable et sa progression au sein de l'entreprise sont souvent déterminés par la manière dont il navigue dans le réseau social et politique de l'organisation. Par ex. : dans une grande entreprise, un employé du département Marketing peut produire un excellent travail mais s'il ne comprend pas que le département des Ventes a plus d'influence sur la direction générale, il pourrait voir ses propositions rejetées. S'il a le sens politique, il cherchera à collaborer étroitement avec ce département, en intégrant leurs besoins et perspectives dans ses propositions, augmentant ainsi les chances que ses idées soient acceptées … même s'il n'est pas nécessairement le plus compétent sur le plan technique. Cela ne signifie pas que cette compétence est secondaire, mais qu'elle doit être complétée par une bonne compréhension des relations et des stratégies politiques internes. Il s'agit de savoir qui détient le pouvoir formel et informel, qui influence les décisions et comment ces dynamiques peuvent affecter les projets et les acteurs.
Le sens politique implique la capacité d'influence et la création d'un réseau de contacts au sein de l'entreprise. Cela signifie savoir à qui parler pour faire avancer ses projets, comment défendre ses idées et construire des alliances. Cette capacité consiste à créer et entretenir des relations positives avec les collègues, les supérieurs et d'autres parties prenantes. Par ex. : un cadre intermédiaire qui aspire à une promotion, ne se contentera pas de bien faire son travail. Il cherchera également à développer des relations avec des personnes décisionnaires, pour s'assurer qu'il est visible et reconnu au-delà de sa seule performance technique. Il pourrait participer à des projets transversaux ou à des comités stratégiques pour démontrer sa valeur dans un contexte plus large.
Le sens politique implique aussi une certaine flexibilité et la capacité à faire des compromis. Une personne avec un sens politique sait qu'il n'est pas toujours possible d'obtenir tout ce qu'on veut, mais qu'il est souvent préférable de faire des concessions, tout en maintenant ses intérêts et ceux de son équipe, pour atteindre un objectif plus large ou pour maintenir de bonnes relations professionnelles. Par ex. : supposons qu'un manager souhaite implanter une nouvelle méthode de travail. S'il fait face à une résistance de la part d'autres départements, il pourrait choisir de modifier sa proposition initiale pour inclure certaines de leurs suggestions, montrant ainsi qu'il est ouvert au dialogue. Cette capacité à s'adapter et à négocier lui permettra non seulement de faire avancer son projet, mais aussi de renforcer ses relations professionnelles.
Dans une entreprise, les conflits d'intérêts sont inévitables. Pour commencer, il faut donc partir du principe que s'y trouver plongé n'est pas un échec ! Un bon sens politique permet de naviguer ces conflits de manière à minimiser les impacts négatifs et à prendre des décisions qui tiennent compte des différentes parties prenantes. Par ex. : si 2 départements sont en désaccord sur l'allocation de ressources, un manager doté d'un sens politique saura trouver une solution qui soit acceptable pour les deux parties. Il pourrait proposer un partage des ressources ou une solution alternative qui respecte les priorités des deux départements, évitant ainsi un blocage qui nuisible à l'ensemble de l'entreprise.
Enfin et c'est peut être le point le plus délicat pour notre manager réticent, il gère son image et sa réputation. Les plus jeunes, habitués à être évalués et évaluer eux-mêmes sur les réseaux sociaux depuis leur plus tendre enfance, n'ont aucun problème avec cet aspect du jeu managérial, consistant à savoir se positionner, se rendre visible de manière positive. Cela signifie aussi subtilement savoir communiquer ses réussites. C'est clairement ici une question de génération.
De la lecture à l'action ?
La formation "Développer son sens politique en entreprise" est visible ICI.
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