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Photo du rédacteurErwan Hernot

Passer le cap du leadership


On peut être manager sans avoir la dimension d'un leader. Mais la nécessité du leadership démarre cependant dès le premier poste de management. Elle augmente quand on monte dans la hiérarchie. Repérer ces différents caps à franchir : tel est l'objet de ce papier.


Dépasser son métier

Plus le manager évolue dans sa mission managériale, plus la complexité est forte et plus la nécessité de leadership devient pressante. A la limite, un collaborateur peut adopter des raisonnements techniquement "purs", proposer des solutions sans tenir compte de l'impact sur le contexte (entreprise, clients ...) et laisser à son manager le soin de régler les considérations pratiques du monde réel. Ce manager, de son coté, supervise ses collaborateurs afin de remplir ses objectifs. Il accepte donc la responsabilité d'accomplir plus que ce qu'il peut faire seul, de travailler en étroite collaboration avec son équipe et de la guider. A ce niveau, il n'a pas forcément la dimension d'un leader. Il est encore épaulé par la structure (règles, processus, fiches de postes, organigrammes) qui le protège de la complication ambiante. D'une certaine façon, ce qui est possible est bien délimité. D'ailleurs ce manager justifie lui aussi, souvent, ses initiatives dans les termes de son métier d'origine plutôt qu'en termes d'enjeux plus complexes du business, qui peuvent lui échapper. Il est parfois frustré lorsqu'il ne reçoit pas un soutien approprié. Il s'attend à ce que l'étage hiérarchique du dessus adopte d'emblée une perspective technique, au lieu de se rendre compte que c'est justement sa mission de ré-ajuster ses propres propositions dans la perspective globale de l'entreprise. Passer le premier cap du leadership suppose d'abord de surmonter cette erreur d'appréciation et de s'attacher à comprendre les indicateurs business clés mais aussi les forces qui les animent. Cela nécessite de l'empathie vis à vis des parties prenantes de l'entreprise. C'est-à-dire comprendre les enjeux des uns et des autres.


Raisonner en système

Au dessus, le manager de managers ne gère plus d'opérationnels, il quitte - normalement - le contact direct avec la technique. Il tire plus partie des personnes que d'autres ressources : il doit renforcer ses capacités de jugement humain afin de sélectionner et de développer ses managers de 1er niveau. Il est donc moins centré sur les résultats que sur les personnes qui obtiennent ces résultats. Si, comme on l'a vu, le manager de premier niveau reste souvent prisonnier de raisonnements techniques, le manager de managers doit raisonner « en système » : le jeu est un billard à plusieurs bandes où pouvoirs et influences se mêlent pour agir sur des problèmes hors de son contrôle direct. Par exemple, si un responsable d'exploitation informatique souhaite ajouter un test à un paramétrage de serveurs, il n'aura pas besoin de planifier de nombreuses réunions inter services pour que cela se produise : l'impact sur son environnement est limité. Les changements au sein de sa sphère d'influence directe sont, par conséquent, relativement simples à mettre en œuvre. Mais si un directeur d'un département d'ingénierie souhaite passer d'une méthodologie Waterfall à Agile pour la gestion de projet, il devra passer beaucoup de temps à travailler avec des parties prenantes très différentes, car il s'agit d'un changement organisationnel beaucoup plus important. Lorsqu'il est confronté à des problèmes échappant à son contrôle direct, le manager sans dimension de leader abandonne parfois trop tôt, "vaincu" par le système : « J'ai expliqué par mail à Georges à la Gestion de Programmes, les principes et bénéfices de Scrum pour le prochain projet, mais il ne m'a jamais répondu. Il est clair que l'entreprise n'est pas prête à adopter l'Agile. » Dans ces situations, lorsqu'un acteur abandonne prématurément, il ne fait en réalité que confier le problème à son propre manager plutôt que de le résoudre lui même. On est évidemment loin du leader qui ne recherche pas de back-up hiérarchique mais qui possède plutôt un état d'esprit orienté "solutions". Il se concentre sur l'objectif plutôt que sur le problème. Il s'appuie plus sur l'organisation plus que la structure dont il a constaté les atouts mais aussi les limites. Il se coordonne (voire coopère) avec ses pairs, prend des décisions en fonction de la réalité parfois imprévisible de l'entreprise, qu'il s'agisse des contraintes financières, de la culture organisationnelle, de l'efficacité des opérations, des résultats... Un manager ne prend pas forcément conscience que dans un système complexe, il existe de nombreuses sources de pouvoir (hiérarchique, technique, réglementaire, ...) Un leader analyse la situation et comprend qu'il doit développer son influence afin de 1. reconnaître et 2. gérer les interdépendances entre acteurs clés. Il se met ainsi en situation d'exploiter l'intelligence collective des équipes. Un de ses principaux défis est de s'assurer que le côté humain des entreprises se combine au mieux avec les technologies, telles que l'intelligence artificielle, la science des données et la robotique avancée. La mise à niveau de l’organisation est difficile : le leader doit alors impulser une culture et un état d'esprit nécessaires pour travailler avec les données, partager des tâches avec l'IA et développer de nouvelles compétences. Il s’agit pour lui, de mettre à niveau les « technologies sociales », telles que l'apprentissage, la direction, la décision, le changement et la collaboration. Il permet ainsi une compréhension partagée au sein d'équipes souvent différentes (ne serait-ce que par l'angle et la perception "métier" des problèmes rencontrés, qui révèle la nature intrinsèquement fragmentée de l'entreprise). Il facilite l'harmonisation des objectifs qui autorisent un alignement des actions. Lorsqu'il est bien fait, ce travail de leader transforme les relations entre membres des différents départements. Ces derniers trouvent alors les inévitables compromis, négocient et intègrent équitablement leurs intérêts avec ceux des autres.


Accepter l'incertitude

Plus haut encore, le dirigeant (directeur de département, de business unit) porte des responsabilités opérationnelles mais aussi organisationnelles. Sa performance tient ici, majoritairement à sa dimension de leader : il convertit en effet la vision de l'organisation en une stratégie opérationnelle. Il sait qu'il ne peut maîtriser la complexité de la réalité ; il travaille avec une marge d'incertitude importante et ré-ajuste sans arrêt son raisonnement : la pensée divergente lui permet d'ouvrir le champ des possibles sans aucun tabou. La pensée convergente par un effort d'abstraction et de synthèse, l'incite ensuite à choisir la meilleure option, compte tenu de son contexte. Les deux visent à obtenir des solutions satisfaisantes même si elles demeurent imparfaites. Etendre seulement des mécaniques de contrôle parce que son terrain de jeu a augmenté prouve au contraire qu'il n'a pas passé ce cap du leadership et qu'il reste cantonné dans une pensée linéaire (à un problème correspond une solution). Comprendre que la perception des acteurs est la réalité à partir de laquelle le dirigeant doit travailler : voici une autre preuve de son leadership. Il façonne ses messages en intégrant la position de ses différents interlocuteurs. Il a compris que son comportement est un message en lui-même. Des choses simples comme le langage corporel, la tenue vestimentaire et le ton sont des facteurs clés dans la façon dont les acteurs le perçoivent. Il sait qu'en tant que leader, le fait d'être optimiste et enthousiaste, conduit ses équipes à adopter le même état d'esprit. Que cela lui plaise ou non, en tant que leader, son attitude déteint sur ses équipes de manière significative. Il ne s'agit évidemment pas d'être inconscient dans les moments difficiles mais de garder une attitude positive face à l'avenir en projetant les équipes dans la vision. Prenons l'exemple d'un changement. La plupart des managers se concentre majoritairement sur le déploiement initial de leur projet et ne réfléchissent pas assez à la manière de soutenir ses effets sur le long terme. La première phase d'un nouveau projet, c'est un travail gratifiant qui demande un effort intense, mais visible. Mais la phase de concrétisation qui vient après, ne se passe jamais comme prévu. Par exemple, les nouvelles procédures sont ignorées ou les collaborateurs, les pairs commencent à dénigrer les nouveaux outils technologiques. Ou pire encore : ils commencent à perdre confiance dans le projet lui même. C'est une période difficile pour les managers. Ils réagissent souvent en imputant le revers à nouveau à l'entreprise elle-même : « De toute évidence, l'entreprise n'est pas prête pour le changement. » Les leaders voient cette phase pour ce qu'elle est : un moment incertain du processus de transformation qu'ils ont démarré. Ils ne savent pas si le succès est au bout du chemin mais ils persistent et poursuivent leur objectif. Finalement, ce qui fait la force du leader c'est qu'il croit en sa propre capacité…de leadership. La boucle est bouclée !


Photo : Miguel A. Padrinan

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