Nous faisons face à un paradoxe. Le facteur principal qui peut faire du travail à distance, un succès, c'est la confiance. Or, ce sont les points de contact réguliers et fréquents entre les acteurs, qui renforcent cette confiance. Il est donc plus difficile de la créer ... au moment où nous en avons le plus besoin ! Que se passe-t-il si la confiance est faible ? C'est l'objet de ce papier.
Avant même le télétravail, différentes cultures organisationnelles engendrent différents niveaux de confiance. Certaines entreprises ont une culture de confiance élevée dans laquelle les salariés à tous les niveaux sont censés s'appuyer sur leurs connaissances et leur jugement pour prendre de nombreuses décisions. Le télétravail les handicape moins. D'autres possèdent des cultures de faible confiance dans lesquelles le manager prend les décisions ; une infime partie seulement est déléguée aux salariés. Du reste lorsqu'il délègue, il a tendance à remettre en question ou à annuler les décisions desdits salariés. En effet, le managé fait parfois différemment que ne l’aurait fait le manager. Mais comme ce dernier côtoie maintenant beaucoup moins le premier, il ne peut pas apprécier le contexte dans lequel ce salarié a pris sa décision. De loin, il aura tendance à considérer simplement une conformité par rapport à sa propre pratique. Bien sûr, idéalement, il faudrait qu'il lâche prise et respecte scrupuleusement les décisions prises par son collaborateur dans l’espace qu’il lui a lui-même confié. En enfreignant cette loi, même par petites touches, il adresse à l’égard de son collaborateur un signal délétère de défiance a priori. Les effets sont désastreux : la motivation du collaborateur est affectée : ce n'est pas 15 minutes de visioconférence qui réussiront à le convaincre d'interpréter différemment la décision de son manager. Sa prise d’initiative est définitivement éteinte : comme il ne côtoie pas son manager, il apprend moins vite les priorités de ce dernier. Sa réactivité est ralentie, le processus de décision est considérablement compliqué car le managé ne veut plus directement passer à l’acte. Sachant que le manager peut revenir à tout instant sur ses choix, il préfère attendre une validation.
À ce stade du papier, beaucoup d'entre vous attendent la célèbre théorie de Douglas McGregor (1) sur les deux styles de leadership : la théorie X et la théorie Y. La théorie X est basée sur l'hypothèse que les collaborateurs ont une aversion originelle pour le travail et chercheront toujours à y échapper. Partant de cette observation, le manager doit donc resserrer son contrôle pour que ses collaborateurs fassent du bon travail. La théorie Y est basée sur l'hypothèse que le travail et la prise de responsabilité sont ce que recherchent naturellement les humains parce que ça favorise leur développement. Pour la plupart des gens, la théorie Y est - opérationnellement mais aussi moralement - l'approche la plus souhaitable. Elle conviendrait mieux à la génération actuelle de collaborateurs. Mais le style de leadership qu'elle suppose est basé sur la confiance : faire confiance aux gens pour qu'ils fassent ce bon travail et fassent preuve d'un bon jugement. Mais comme souvent en management, la théorie se contente de classer deux options… sans apporter réellement de solution, qui serait ici la réponse à la question : comment augmenter la confiance entre des acteurs qui se voient de moins en moins ?
Déléguer suppose, en effet, un certain niveau de confiance dans les capacités du délégataire (celui qui reçoit la délégation) mais aussi se faire confiance en tant que délégateur. Le manager doit percevoir le délégataire comme capable et motivé. Dans le même temps, il prend en compte le fait que les décisions du délégataire à qui il a fait confiance, puissent avoir des conséquences négatives pour l'entreprise. Ce premier risque en entraîne un second : le risque, "politique" celui-là, que la direction ou d'autres parties prenantes ne soient pas d'accord avec les décisions de ce salarié. Ce qui met le délégateur qui a donné sa confiance dans une position intenable entre d'une part le collaborateur à qui il est difficile de la retirer et d'autre part sa propre hiérarchie à qui il va falloir expliquer qu'il a fait confiance. Le manager doit identifier les différents leviers de la confiance et agir/décider à partir de cette connaissance :
1) Être en confiance
Un manager en confiance avec lui-même commence par développer les compétences, la connaissance de ses propres modes de fonctionnement, de ses limites. C'est par ex., travailler sur ses déceptions dans les relations professionnelles anciennes, pour éviter de ramener dans les relations nouvelles des éléments d'anciens contextes, qui pourraient générer de l’inquiétude ou de la colère. Un manager identifie ainsi sa peur ou son désir de contrôle avant d'envisager le changement en prenant conscience des conséquences négatives du précédent comportement et en travaillant à développer une alternative.
Il accepte sa propre vulnérabilité. Le manager ne maitrise plus la situation, les comportements du collaborateur. Il doit accepter que faire confiance n’engage pas nécessairement la personne à qui il accorde sa confiance. En revanche, donner sa confiance l’engage. Le manager apprend ici à formuler son message afin de dire à une personne qu'il se fie à elle : ce processus renforce les motivations du salarié à répondre aux attentes du manager , ce qui permet de développer une confiance partagée.
Il apprend à développer une attitude de compréhension des erreurs, plutôt que de sanction ou de reprise en main du projet.
2) Inspirer confiance
Pour inspirer confiance il faut traiter deux questions : celle de la prévisibilité et celle du contrôle.
La prévisibilité. Un chef prévisible, a donné les règles de fonctionnement qui sont simples, claires et donc faciles à comprendre. Il élimine alors le risque d'arbitraire et diminue le danger à agir, pour son équipe. D'humeur égale, il reste un repère rassurant (ceci n'exclut nullement de la fermeté) pour les salariés.
Le contrôle. S'il est - à un moment ou un autre - inévitable, tout dépend de la façon de l'envisager. Si le salarié connaît les critères d'appréciation, les outils de mesure voire la rigueur professionnelle de son manager ; il sait déjà qu'il n'y aura pas d'arbitraire. Si le manager adopte bienveillance (parce qu'il est lui-même en confiance), il génère de la confiance chez le salarié. La clé de ce contrôle fiable c'est que il ne doit pas émaner d'un pouvoir mais plutôt d'une autorité. Le pouvoir est statutaire, l'autorité est légitime, reconnue. C'est une référence à laquelle l'équipe se conforme parce qu'elle recherche le respect et l'approbation du manager. Devenir référent suppose évidemment plusieurs qualités. Au-delà du charisme, les collaborateurs savent que le manager se soucie de la situation dans son ensemble et a, à coeur leurs intérêts. Difficile toutefois de définir plus précisément, ces qualités : elles dépendent de l'adéquation entre le manager et son équipe.
3) Faire confiance
C'est une question de méthode, au-delà de la notion d'état d'esprit explorée dans les points précédents. Ainsi, faire confiance à ses collaborateurs présente un risque pour l'ego du manager : il doit parfois admettre que les salariés peuvent prendre des décisions différentes des siennes avec - peut-être - à la clé, plus de succès ! Certains managers, même inconsciemment, estiment qu'ils sont les seuls assez intelligents ou assez expérimentés pour prendre les bonnes décisions. Évidemment, le message implicite transmis aux équipes est négatif. Le manager a tout intérêt à décadrer le problème : plutôt qu'être déçu parce que le salarié n'a pas répondu à ses attentes, il vaut mieux placer l'enjeu dans l'apprentissage que suppose le fait de donner sa confiance. Par exemple : le manager se fixe comme objectif d'apprentissage l'identification des limites de sa capacité à lâcher prise : quelle est la vulnérabilité qu'il accepte (dans l’absence de contrôle) sans trop stresser ? Il doit encore apprendre à clarifier le «contrat » avec le délégataire, à donner du temps, à expliquer clairement les enjeux de l’action, à imaginer qu’il y a de multiples manières de faire quelque chose et non un best-way (sa propre exigence de perfection). La peur peut initier, de la part du manager, un raisonnement purement défensif qui supprime l'apprentissage dans le processus : 1) Déléguer 2) Apprendre (du résultat de la délégation) 3) Adapter . Lequel devient facilement à distance (1) Déléguer, 2) Echouer 3) Ne plus déléguer. Pourtant, c'est cette capacité d'apprentissage qui permet d'élargir la délégation. Malgré tout cela, certains managers ne délègueront pas assez. Ils se chargeront trop eux-mêmes et priveront ainsi les membres de leur équipe d'opportunités de développement importantes. Ils enclencheront alors un cercle vicieux, difficile à briser. La confiance à distance, est un combat perpétuel.
(1) Douglas McGregor : The Human Side Of Enterprise, 1960
Comments