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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Covid et profil du manager : mettez à jour et passez à la V3


Deuxième papier de l’été sur Covid et management. L’étude que nous avons menée (ClavaConsulting, Livre blanc « Manager en temps de Covid : simple péripétie ou révolution culturelle ? ») permet de dire qu'il faut maintenant hausser le niveau de jeu des managers. La crise du coronavirus accélère la transformation numérique et change les façons de travailler. La manifestation la plus évidente est l'extension inattendue et importante du télétravail, donc du management à distance. Les entreprises ont un nouveau chantier à mener : il prendra des années mais il est vital de le démarrer tout de suite.


La pratique managériale est d'abord contingente d’un contexte, une culture, un système et une personnalité. Son déterminant le plus puissant reste la stratégie de l'entreprise, elle même réagissant à son environnement. En gros, 2 grandes options existent, autour desquelles les dirigeants créent leur propre stratégie que les managers mettent en oeuvre :

  • Le modèle de l’exploitation.

  • Le modèle de différentition.

Dans la réalité, les entreprises n’adoptent évidemment pas totalement une des options à l’exclusion totale de l’autre. Mais pour la démonstration, restons-en aux modèles « purs ».


Exploitation : le manager, gardien du temple « Standardisation »

L’origine du management vient en grande partie de l'organisation des usines de la fin du XIXe siècle, par des « hérauts » de l’efficacité : ingénieurs et comptables. Pour eux, le gaspillage était un anathème, alors ils l'ont attaqué avec la standardisation, spécialisation, hiérarchie, alignement, planification et contrôle, réduction des coûts, utilisation de récompenses extrinsèques (1) pour façonner le comportement humain. Tous ces principes se concentrent sur le même problème : comment maximiser l'efficacité opérationnelle et la fiabilité à grande échelle dans les entreprises. Pour faire court, c’est le modèle qui vise à l’amélioration de l’existant. Il se base sur l'attention, la précision, la répétition, l'analyse, la discipline et le contrôle des hommes. Il y a des règles en place (ou des meilleures pratiques), la situation est stable et la relation entre la cause et l'effet est claire: si vous faites X, attendez Y. Les managers partent d’une conception initiale rigoureuse de la façon de travailler et d’une planification descendante méticuleuse des contributions des collaborateurs pour arriver au résultat escompté. Cette approche réductionniste (= démonter les parties pour voir comment fonctionne le tout) fonctionne bien mais seulement jusqu'à un certain point. Car ce management vise une mise au pas de l’individu au service d’un collectif rationnellement organisé. Les mauvaises langues diront que les collaborateurs fabriquent des produits et services ; le manager fabrique du contrôle ;) Il veille en effet à la conformité par rapport aux processus et aux pratiques. C'est le domaine des procédures opérationnelles standard, des pratiques qui ont fait leurs preuves. Ici, la prise de décision, consiste à trouver la règle appropriée et à l’appliquer. Dans la bataille contre l'inefficacité, les managers sont les exécuteurs. Il leur incombe simplement de veiller au respect des règles, de minimiser les écarts, de respecter les quotas et de punir les fainéants.


Différentiation : l’expert devient le manager

La priorité, c’est ici de se différencier de ses concurrents par une offre plus qualitative et / ou plus innovante. La qualité et l’innovation introduisent 2 incongruités dans la mécanique bien huilée du Command & Control précédent. On ne planifie pas l'innovation ; on essaie d'atteindre des niveaux de qualité. Dans les deux cas, on quitte les relations claires de cause à effet. Nous savons que la qualité et l’innovation s'appuient sur la motivation et l'engagement des contributeurs. « Le système d'abord, l'humain après» aurait dit F.W. Taylor. Ici, l’humain, s’il ne prend pas tout à fait le dessus, prend une part croissante de l’attention des dirigeants. Logiquement, la DRH investit sur des ressources humaines de qualité. Avec une stratégie de différenciation, elle renonce à l'analogie de la mécanique pour plonger dans celle du marché. Le marché est plus dynamique que la hiérarchie ;) La DRH veut mettre ainsi en adéquation de manière durable besoins et ressources. Elle se donne les moyens de renforcer la relation avec le salarié, principal acteur de la qualité et de l’innovation. Les propositions qui lui sont faites en terme de rémunération, de carrière et de formation sont fortement individualisées. Les indicateurs de ce modèle sont : un taux de turnover faible, une ancienneté moyenne importante, un âge moyen par salarié élevé, une part élevée de la masse salariale dédiée à la formation, une forte attention portée à la mobilisation et la promotion. Dans ce contexte le manager sort de son rôle de gardien du temple standard : au quotidien, il fait face à des relations entre causes et effets moins prévisibles et qui nécessitent une analyse ou une expertise poussées pour prendre la décision; il existe en effet une gamme de bonnes réponses dans laquelle il doit choisir la meilleure. Dans les cas compliqués, ses collaborateurs font appel à lui pour les aider. Le manager est le meilleur d'entre eux.


Exploration : le manager devient un architecte social

La crise de la Covid a été trop déroutante pour attendre une réponse basée sur des bonnes pratiques connues et/ou une expertise avérée d’un secteur particulier. L'environnement post Covid est un système complexe qui est largement imperméable à cette approche réductionniste : il faut - humblement - l'explorer. La crise de la Covid 19 balaie l’alternative efficacité/différentiation et installe une nouvelle stratégie : celle de l’agilité. Elle sera efficacement relayée par un manager, architecte social (2), c’est à dire capable de faire émerger, parmi les équipiers, des leaders de projets et de favoriser collaborations et créativité. L’époque embarque les entreprises vers une suite de crises (sanitaires, écologiques) et une reconfiguration possible de leurs chaînes de valeur sans oublier la transformation numérique qui a prouvé toute sa pertinence dans les semaines passées. Une fois cette crise passée, les managers devront se préparer aux prochaines. On rajoute ainsi encore des inconnues dans l’équation : La cause et l'effet ne peuvent être déduits que rétrospectivement, et il n'y a pas de bonnes réponses d’emblée même si l’expertise peut aider. On change de rationalité. Celle qui consiste à prendre en comptes toutes les dimensions et tous les éléments grâce à la méthode analytique et déductive n’est plus assez pertinente. Un grand nombre de sujets lui échappe parce que l’indétermination y est trop grande ou que l’esprit humain ne peut tout considérer. Le manager doit renoncer à croire qu’il pourra vaincre une réalité par nature complexe et imprévisible et doit conduire ses actions en l’acceptant. Il va passer au « test & learn » en appliquant des méthodes de raisonnement simplifiées afin d’obtenir une solution satisfaisante même si imparfaite. De ces essais / erreurs, des schémas instructifs peuvent émerger. Ce qui suppose de continuer à explorer : le succès se nourrit de sérendipité, de prise de risques, de nouveautés, de rencontres impromptues, de discipline plus lâche, d’un contrôle moins lourd et surtout de responsabilisation des équipiers pour adopter ce mode opératoire (3). Dans ce contexte, le management n’est pas une chaîne comme au temps de Taylor. Le management ressemble plus à un entrelacs de réseaux. Où placez-vous le manager? Vous le mettez partout (4). Dans le réseau, l'autorité pour prendre des décisions et des initiatives doit être distribuée afin que la responsabilité puisse être transférée à celui qui est le mieux à même de traiter le problème en question. Dans l’étude de ClavaConsulting, une direction particulièrement avisée a donné à ses managers la directive « Faites comme vous pouvez » ! L’analogie avec le web (les réseaux) n’est pas innocente. Sur le web, le Command & Control doit céder la place à la collaboration. Les technologies numériques sont à la hauteur du défi : le confinement l’a, à bien des égards, prouvé. Les « technologies sociales » le sont-elles ? Pour l’apprentissage, la responsabilisation, la décision, le changement et la collaboration souple et facile (configuration et reconfiguration des équipes en fonction des projets), la communication, les marges de progrès restent importantes. Comme le numérique aide aussi nos concurrents à renforcer leur efficacité ; l’avantage concurrentiel se situe dans la capacité à faire travailler mieux les équipes. Pour le dire vite, nous pouvons externaliser aux machines une partie du stockage, analyse de l’information voire certaines décisions mais pas beaucoup de notre collaboration et de nos capacités d’innovation.


L’engagement est clé

En 2020, on a besoin de collaborateurs avec un bon niveau « métier », mais avant tout capables d'initiative, agiles, créatifs, passionnés c’est à dire engagés. On peut en effet se passer de l'engagement des collaborateurs dans un système totalement maîtrisé; le désengagement d’une majorité de collaborateurs reste encore supportable tant que le système domine l’individu, ce qui est le cas dans la grande majorité des entreprises aujourd’hui. Ça n’est plus vrai dans l’époque des crises / transitions (5). Voilà les managers avec le problème de l'engagement des équipes sur les bras, comme jamais. Et c'est un problème à plusieurs dimensions : organisationnel bien sûr mais également d'objectifs de fond (ou pour parler comme la loi PACTE de « raison d'être »), de psychologie :


La dimension organisationnelle

  • Le contrôle. Nous savons que les systèmes de contrôle fonctionnent correctement uniquement avec des tâches répétitives qui ne nécessitent pas beaucoup de réflexion. Mais ils ne fonctionnent pas quand il s’agit d’être créatif ! Ça tombe bien, ces tâches répétitives vont être progressivement prise en charge par l'intelligence artificielle (RPA, robotic process automation). Aujourd'hui, les capacités humaines les plus précieuses sont précisément celles qui sont le moins gérables. Les outils de gestion peuvent obliger les gens à être obéissants et diligents, ils ne peuvent pas les rendre créatifs et engagés. Les entreprises qui ont testé le « self management », sont passées d'un contrôle externe tel qu'il existe dans le management classique à une « self discipline ». Chacun a intégré, en les comprenant, les tenants et les aboutissants du business, de ses exigences et de ses contraintes. J’y reviendrai dans un prochain papier.

  • Les différents processus de décision : j'ai eu l'occasion de détailler ici (lien) la multiplicité des processus de décision. Le principal avantage de cette richesse et qu'elle permet aux managers de descendre certaines décisions au plus près du terrain. Elle permet encore d’intégrer les avis divergents et d'avoir ainsi la capacité de traiter les dissensus. Ceci facilitera la créativité de tous pour trouver des solutions aux problèmes qu'on avait même pas encore imaginés.

  • Les différents modes de collaboration : la distance ne permet plus des collaborations informelles existant sur les plateaux ou dans les couloirs. Le manager devra donc s'inspirer des techniques de projet agiles pour connecter les différentes compétences de son équipe et probablement encore plus du transverse. Ce qui suppose qu'il en maîtrise lui-même les principes… Ces techniques lui permettront encore de piloter à distance les progrès des uns et des autres vers les objectifs.

  • La mesure de la performance. Difficile de promouvoir les collaborations sans une mesure plus globale de la performance. En d'autres termes les dosages entre les contributions individuelles et collectives vont devoir s'inverser en faveur des équipes dans les assignations d’objectifs.

La raison d'être

Le manager de la période de crises / transitions aura besoin de s'appuyer sur l'engagement de ses collaborateurs. Et tout ne dépend pas de sa simple capacité managériale. L'engagement suppose de la part de l'individu, un investissement dans quelque chose de plus grand que lui-même. Le combat des soignants contre la COVID-19 l’a démontré, s'il en était encore besoin. Au personnel médical, il faut encore ajouter tous ceux qui ont fait preuve de créativité comme ces usines changeant leurs procédés de fabrication pour faire du gel hydro-alcoolique ou des masques en quelques jours. Gageons que leurs collaborateurs et les managers, sont rentrés épuisés chez eux durant cette période mais probablement fiers de contribuer à sauver des vies. L'engagement ne peut donc pas se développer en servant simplement l’actionnaire…


La psychologie

L'étude de ClavaConsulting a montré l'importance de la résilience (=capacité à rebondir après un drame qui vous a atteint et par extension, capacité à rebondir après un changement brutal) qui a aidé à faire face aux changements brutaux du confinement. La résilience s'appuie directement sur l'engagement. Pour se maintenir au-delà de la période de quarantaine, ce dernier suppose une confiance des acteurs dans les dirigeants et le système. On n’y est pas toujours pour dire le moins ;) Il suppose enfin une régression de la crainte (de mal faire et au final de faire) si le manager promeut le « test & learn » auprès de son équipe. Le manager va accompagner chaque équipier pour l'aider à prendre lui-même des décisions. La rapidité et la pertinences des réactions de l’entreprise est à ce prix.


Les dirigeants sont-ils en mesure de changer de système et de mentalité ? Bien que la plupart d’entre eux témoigneraient volontiers de la valeur de l'initiative, de la créativité et de la passion, ils le sont avant tout formés à gérer. Ils ont longtemps été payés pour superviser, contrôler et administrer. La même question se pose pour les managers : seront-ils capables de changer et d’aller vers le profil d’architecte social capable de promouvoir la créativité et des coalitions ad-hoc et faire ainsi face aux imprévus qui ne manqueront pas d’arriver ?


(1) Récompenses extrinsèques : quand une action est réalisée pour obtenir une récompense ou éviter une punition, elle est motivée par une contrainte extérieure. L’individu réagit plus qu’il n’agit et fournit l’énergie minimum et suffisante pour remplir sa tâche. L’objectif est d’obtenir une reconnaissance de la part du commanditaire (félicitations du chef de service), une gratification (prime, augmentation de salaire) ou d’échapper à une sanction pour travail non accompli (recadrage, blâme, licenciement). Ce type de motivation permet d’assurer un bon fonctionnement minimal de l'entreprise.

(2) Le qualificatif est de Gary Hamel « What Matters Now » 2012

(3) On voit ici la limite du télétravail : la souplesse d’une équipe suppose en effet des acteurs qui se côtoient physiquement régulièrement.

(4) Henry Mintzberg, « Managers, Not MBA » 2004

(5) La formule est, je crois, de Philippe Lentschener


Photo : Lex Photography

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