Les générations Y puis Z déconcertent leurs managers d'une autre génération. Ce n'est pas une raison pour les juger dans l'absolu, c'est-à-dire hors contexte. Elles ne sont jamais que le produit de tendances de fond à l'œuvre depuis une quinzaine d'années. Plus qu'une rupture, elles représentent une accentuation et une continuité dans laquelle d'autres générations peuvent se retrouver. Elles nécessitent, de ce fait, une accélération des mutations managériales déjà entamées. Tel est l'objet de ce papier.
Pourquoi les différences générationelles préoccupent autant les managers (pour ne parler que d'eux) depuis une quinzaine d'années ? Parce que grandir aujourd'hui, c'est une expérience complètement différente de celle des années 70, 80 voire même début 2000. La vitesse du changement est vertigineuse. Par conséquent l’époque à laquelle vous êtes né (e) a une influence plus importante que la famille qui vous a élevé(e), sur vos comportements, les croyances, valeurs qui vont vous guider. Le mot génération est désormais utilisé pour désigner les générations sociales : celles nées à peu près à la même époque et qui ont grandi à peu près dans la même culture. La cause profonde de ce changement – et donc celle des différences générationelles - tient à l'accélération technologique (1). La technologie change notre façon de travailler, vivre, penser, se comporter et interagir les uns avec les autres. Elle a ajouté trois niveaux de complexité qui ont façonné les jeunes générations.
Niveau 1. La rapidité des avancées technologiques a complexifié l'environnement de travail. Des innovations émergent régulièrement, transformant les industries et les modèles d'affaires, remettant en question des dominations et redistribuant les cartes. De nombreuses entreprises ont migré vers des modèles de services numériques. L'exploitation des données massives (big data) est devenue essentielle pour comprendre les tendances du marché, anticiper les besoins des clients et prendre des décisions stratégiques basées sur une réalité traçabilisée. Dans un tel contexte, les structures organisationnelles des entreprises tentent de devenir plus flexibles et agiles pour répondre rapidement aux évolutions de leurs marchés. Les générations Y et surtout Z sont nées dans cet environnement ! Dès le démarrage de leur vie professionnelle, elles ont adopté l'apprentissage permanent, la liberté, l'autonomie, la flexibilité, les décisions prises de façon collégiale.
Niveau 2. L'afflux des données a complexifié l'accès à la connaissance. Des données à la connaissance (qui, seule, permet d'agir pertinemment), il y a toujours eu une distance ; elle est encore plus grande aujourd'hui. Contrairement aux générations précédentes (celle de leurs managers ou N+2, 3, ….), les Y et surtout les Z ont grandi dans un monde où la connectivité numérique est omniprésente, ce qui les expose à une quantité massive de données et d'informations provenant de diverses sources. Ils doivent naviguer à travers cette multitude de données sans toujours distinguer les faits des opinions, les sources fiables des "fake news", ce qui ajoute une couche de complexité à leur processus de prise de décision. Pour eux, la confiance ne s'accorde pas d'emblée : la vérité reste à prouver. Ses détenteurs, ne sont pas ceux qui possèdent le pouvoir mais ceux à qui ils reconnaissent une autorité. Les jeunes ne remettent pas en cause l’existence même de la hiérarchie, mais plutôt la forme qu’elle prend en entreprise. Ils préfèrent une autorité de compétence à un pouvoir statutaire. Dans leur esprit, il ne suffit plus d’être « chef » : l’autorité se gagne, par l’expérimentation, de préférence avec eux, plus que par l'expérience, à laquelle - par définition - ils n'ont pas contribué.
Niveau 3. Les défis et les dilemmes auxquels la société, dans laquelle ils vivent, est confrontée ; la variété des cultures, des modes de vie et des identités auxquelles ils sont exposés, complexifient leurs exigences vis à vis de l'entreprise. De fait, les jeunes générations sont plus sensibles aux enjeux de justice sociale et de diversité mais ils restent très individualistes et clament leurs besoins de liberté. Ils cherchent un travail qui fasse sens mais sont économes d'un engagement dans l'entreprise. De leur manager, ils attendent de l'écoute, de l'aide et de la confiance : ils n'hésitent pas à parler de leur santé mentale. Ils veulent des feed-back sur une base régulière et rapide mais ils refusent d'obéir de façon automatique à la décision prise par la hiérarchie s'ils ne comprennent pas la finalité qui la sous-tend. Ils privilégient la flexibilité sur le planifié mais attendent que leur manager s'engage sur un plan de développement professionnel leur permettant - vite ;) - d'évoluer. La garantie d'un bon équilibre (pour les Y) et / ou d'une bonne intégration (pour les Z) vie professionnelle/personnelle est importante. Leur manager doit développer l’autonomie tout en maintenant une forte exigence de sécurité dans les décisions prises. La semaine de quatre jours intéresse mais ils souhaitent contribuer significativement à la vision de l'entreprise et à la conduite du changement. La valeur ajoutée du manager reste essentielle dans cette recherche d’harmonisation des contraires.
Ces 3 niveaux de complexité modifient les moteurs de la fidélité à l'entreprise : la motivation (court terme), l'implication (moyen terme) survivent. L'engagement (motivation et implication qui durent dans le temps) est touché. Le rapport au travail est relativisé. La valorisation sociale passe de moins en moins par un bon travail dans une entreprise connue : autant de cartes en moins dans le jeu du manager. Compte tenu des changements permanents, autour d'eux, les Y et Z estiment qu'il faut saisir son bonheur maintenant. Celui-ci se pose en point de départ et non plus en point d'arrivée, où il était perçu comme une récompense par les générations précédentes. Par conséquent, la génération Z négocie dès son arrivée dans l'entreprise pour le préserver ou l'augmenter. La fidélité est transformée ; il ne s'agit plus d'une loyauté passive à l'organisation, mais d'une adhésion active sur une temporalité plus courte. Ainsi, la jeune génération recherche des motivations immédiatement données par le travail lui-même, afin de se sentir bien dans son poste et ne pas s'ennuyer. Ces motivations permettent d’améliorer sa performance au travail, sa satisfaction ainsi que la diminution du stress. Comment le manager peut-il mettre en valeur le sens du travail, proposer un choix des activités à mener, reconnaître les compétences mises en oeuvre et donner le sentiment de progresser ? Le choix et les compétences sont liées aux tâches (organisées en activités) qu'il faut mener. Le sens et le sentiment de progresser sont liés aux buts de ces activités. La possibilité de choix nourrit le sentiment de liberté des jeunes recrues, en leur permettant d’utiliser leur propre jugement et de choisir les tâches et/ou projets qui ont du sens à leurs yeux. L'acquisition et la mise en oeuvre de compétences donnent un sentiment d’accomplissement par la satisfaction du travail réalisé et l’avancement vers le but qu’ils se sont fixés. Ces deux formes de récompense se complètent mutuellement et sont facteurs de motivation pour les jeunes salariés. Plus qu'avec toute autre génération, le manager dépasse l'expertise métier, oriente sa réflexion sur les processus de travail et passe beaucoup plus de temps à manager ses jeunes recrues. Il remplit ainsi 3 rôles :
En tant que coach, le manager guide et soutient ses jeunes salariés dans leur développement professionnel ET personnel. Il ouvre des opportunités de se frotter à d'autres logiques métier et de se rendre compte qu'ils peuvent s'appuyer sur d'autres compétences que celles qu'ils exercent au quotidien : par ex., mener de front son métier et une mission apprenante. Ces occasions d'apprentissage permettent au manager d'accélérer sa découverte de ce qui nourrit et stimule ses jeunes collaborateurs, qu'il aura pris soin de préparer, guider, débriefer. Cela implique un manager qui fournit un modèle d'analyse capable de reformuler un problème, de faciliter sa compréhension et d'orienter le développement de solutions. Il aide encore son jeune salarié à traiter émotionnellement un problème et à identifier ses points forts et faibles pour le gérer. Mais il est aussi celui qui remet en question le point de vue, les interprétations ou les comportements de ce jeune salarié. Il offre des conseils ou des orientations pour aider à la prise de décision en encourage l'autonomie et la prise d'initiative. Pour y parvenir, le manager établit des objectifs clairs enchâssés dans la mission et alignés sur la vision de l'entreprise qu'il est capable d'illustrer et de contextualiser.
En tant que mentor, le manager partage son expérience, ses connaissances et ses perspectives avec ses jeunes salariés. Il les aide à naviguer dans l'organisation, à comprendre la culture d'entreprise, et à développer une perspective à long terme pour leur carrière (et tenter ainsi de les stabiliser). L'échange implique des discussions approfondies sur les objectifs professionnels, les défis rencontrés et les opportunités de croissance. Le manager agit comme un guide et un modèle, les encourageant à apprendre et à grandir dans leur rôle. C'est par ce partage qu'il peut arrimer leurs valeurs personnelles à celles de l'entreprise… dans la mesure où celles-ci sont considérées par les générations Y et Z, comme authentiques. Ils sont habitués à remettre en question les discours institutionnels. S'ils perçoivent un écart entre ce qui est promis et ce qui est réellement vécu dans l'organisation, c'est leur engagement déjà fragilisé par leur vision court terme, qui est dégradé. Mais si le lien est créé, le jeune salarié déploie beaucoup d'efforts et éprouve un sentiment de responsabilité dans la réussite de l’entreprise. Il est impliqué.
En tant qu'arbitre, le manager établit et fait respecter les règles, les normes et les limites au sein de l'équipe ou du département. Cela inclut l'application des politiques de l'entreprise, la résolution de conflits, la gestion des performances et la correction des comportements inappropriés. Le manager veille à ce que tous les membres de l'équipe respectent les règles établies et contribuent de manière positive à l'environnement de travail. Il est ici la voix du collectif face à de fortes individualités et passe du temps à argumenter, faire réfléchir aux contraintes inévitables qu'il faut intégrer.
Beaucoup de managers se diront à la lecture de ces lignes, qu'ils ne peuvent offrir
plusieurs missions, qu'il y a des routines ennuyeuses qu'ils ne peuvent éliminer, qu'ils n'ont pas le temps de … baby-sitter (c'est à dire de manager;), "qu'il faut se plier en 4 et que ce n'est jamais assez". Ils ne sont pas seuls ; ils doivent ici réfléchir, en tant qu'acteurs de l'expérience employé(e). Elle suppose la mise en place d'une stratégie partagée par la totalité de l'encadrement, tous niveaux confondus et orchestrée par les ressources humaines de l'entretien de recrutement à l'entretien de sortie. L'époque a changé. Même si le rapport de force, aujourd'hui plus favorable aux salariés s'inversait, les jeunes générations ne changeraient qu'à la marge. Face au jeune collaborateur diplômé et connecté, il faut un manager mis à jour et augmenté.
Erwan Hernot, ehernot@clavaconsulting.com
(1) C'est l'analyse de Jean M. Twenge, dans Generations, 2023.
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