Manager équilibriste ? Le cas du secteur cosmétique
- Erwan Hernot
- 4 juil. 2023
- 3 min de lecture
Le secteur cosmétique unit science et créativité, émotion et rigueur, image et performance. Y manager une équipe ne relève donc pas simplement de l’organisation du travail. C’est un exercice subtil d’équilibriste et de leader éclairé, où l’on pilote la complexité. C'est ce qu'explique ce papier.

Manager dans un secteur à haute intensité émotionnelle et symbolique
Dans la cosmétique, les produits touchent au corps, à la peau et d'une certaine façon, à l’identité. Ils incarnent des promesses d’estime de soi, de bien-être, d’appartenance sociale. Le marketing s’y fait sensoriel, la R&D omniprésente, la vente souvent incarnée. Cette densité symbolique influence fortement les dynamiques humaines. Ce sont globalement des métiers de passion : les collaborateurs y sont souvent très investis. Par rapport à d'autres secteurs d'activité, ceux-ci sont plus sensibles aux valeurs portées par leur entreprise. Le manager de premier niveau, au contact des opérationnels dans ce secteur, doit donc être "multi-canal", c'est à dire capable de mobiliser à la fois l’intellect, l’intuition et la sensibilité. Il ne s’agit pas seulement de fixer des objectifs. Il faut donner du sens, incarner une vision, fédérer au-delà des chiffres.
Leadership inspirant vs diva tyrannique : deux modèles aux antipodes
La mode, secteur cousin, a parfois cultivé l’image du « génie incompris », du créateur despotique. Cette figure de diva tyrannique, charismatique mais capricieuse, peut fasciner… et détruire des parcours professionnels voire endommager des vies. Autorité verticale, imprévisibilité, exigences émotionnelles démesurées : ce modèle repose sur le culte de l’ego plus que sur la réussite collective. À l’inverse, dans la cosmétique moderne, c’est un leadership inspirant qui fait la différence. Ici inspirer, c’est :
Incarner une vision claire, par exemple tournée vers le client et la planète,
Créer de la sécurité psychologique dans les équipes : la parole est libre pour porter la contradiction dans les échanges ; l'essai est encouragé parce que l'erreur est utilisée comme levier d'apprentissage supplémentaire,
Être exigeant sans être oppressant. Le manager affiche des ambitions claires mais atteignables. Il maintient ses objectifs tout en élargissant les possibilités d'aide et/ou de collaboration entre les les équipiers.
Reconnaître les efforts autant que les résultats. Cohérent avec le point précédent, le manager prépare ainsi l'avenir en "fixant" les bonnes pratiques, au delà du résultat atteint.
Loin de l’arrogance, ce leadership repose sur l’écoute, la clarté, la cohérence et l’humilité stratégique.
Le pilotage agile : une nécessité, pas une option
Dans un secteur où les cycles de développement s’accélèrent, où les tendances naissent sur TikTok avant d’arriver dans les linéaires, le pilotage agile est devenu incontournable :
Une capacité à prioriser vite, quitte à faire évoluer la roadmap en cours de route. Ce qui suppose des circuits de décision courts, qu'il s'agisse de délégations assez larges voire de subsidiarité.
Un usage raisonné d’indicateurs simples (ex. : délais de lancement, feedback client, impact carbone), qui favorise la formulation de questions claires et donc de réponses plus simples (ce qui ne signifie pas "faciles") à apporter.
Des rituels courts et fréquents : stand-up meetings, démos produits, sprint revues. Tout ce qui permet d'imprimer un rythme rapide au travail mais aussi de rapprocher les acteurs et de renforcer la dynamique de groupe.
Une posture humble : tester, ajuster, apprendre ensemble. Quand l'humilité est un sport collectif, l'apprentissage est plus rapide !
Ce management « par micro-boucles » permet de mieux impliquer les équipes et de connecter le travail quotidien aux résultats business concrets.
Coopération inter-métiers : la clé de la réussite
Une formule cosmétique qui fonctionne, c’est d'ailleurs toujours le fruit d’un jeu d’équipe. Or, ce n'est pas une évidence. Les métiers y sont très différenciés :
les créatifs (DA, packaging, communication) rêvent et racontent,
les scientifiques (formulateurs, réglementaires, production) garantissent la faisabilité,
les marketeurs alignent offre et demande,
les commerciaux connectent aux réalités terrain.
Le manager doit créer des ponts entre ces mondes. Cela demande :
une intelligence de traduction. Le manager vulgarise sans déformer, il traduit sans trop interpréter.
une écoute active des besoins métier. Il ne "prend pas le pouvoir" sur les conversations conduites avec ses interlocuteurs et laisse s'exprimer y compris les hésitations, les silences qu'il ne comble pas.
une capacité à arbitrer avec discernement, sans frustrer ni biaiser. Il explique les règles d'arbitrage au démarrage de son projet et les rappelle avant chaque arbitrage. Il veille ainsi à ne jamais paraître arbitraire dans les décisions prises.
un sens du temps collectif, pour que chacun agisse dans le bon tempo. Il repère, dès la planification, les temps critiques et importants. Il les renforce de moments qui alimentent la dynamique du collectif.
Le secteur cosmétique n'est bien évidemment pas la seule activité nécessitant autant de diversité dans les approches, les compétences et les profils. Mais confronté depuis toujours avec ces exigences, le manager y est particulièrement habile à conjuguer les contraires.
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