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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Management & Covid, inventaire des inconvénients de la distance




Le confinement a entraîné - pour les personnels de bureau - une diffusion généralisée du télétravail qui appelle logiquement un management à distance. Si certaines entreprises s’y engagent résolument, il faut en prendre la mesure : afin d'aider à la décision, je prends ici le parti de détailler les inconvénients.


Dans quel contexte interne arrive le management à distance ?

Le contexte interne est dominé par la culture de votre entreprise. C'est-à-dire les valeurs, les croyances et les normes de comportement qui régissent le « comment on fait les choses ici » et donc comment vos équipes travaillent. La culture pré existe à l'arrivée du télétravail et de son corollaire, le management à distance. Elle affecte, en partie, la motivation de chacun des membres de l’équipe et la façon dont ils sont engagés dans leur travail. La distance aggrave ses aspects négatifs … sans toujours rehausser ses aspects positifs. Lorsque la culture n'est pas inclusive (compétition, peu de collaboration et d’entraide), les membres de l’équipe travaillent déjà de manière isolée. A distance, cette culture devient nettement toxique. Une culture inclusive, encourage la créativité et la collaboration au sein de l’équipe. Elle fait reconnaître par le manager, la valeur et les contributions uniques de chacun des membres. Cette culture fournit un environnement dans lequel les membres de l’équipe sont plus productifs si le manager reconnaît et résout les difficultés indiquées ci-dessous. Passer de l’une à l’autre n’est pas aisé, vous vous en doutez.


Complexité et distance

Pour faire face au monde VICA(1), les entreprises se complexifient. Complexité et distance ne font pas bon ménage. Cette complexité (démarrée avec les structures matricielles) amène un risque croissant de mauvais alignement des équipes. Les silos n’arrangent rien. Typiques de la majorité des entreprises, ils ne disparaissent pas. A distance, ils favorisent encore moins les échanges d'informations entre les différents départements. Déjà en présentiel, les collaborateurs devraient comprendre leur apport à la chaîne de valeur globale qu’ils devraient être capables de dessiner, ainsi que la finalité du produit qu’ils ont contribué à fabriquer. Si cette prise de conscience n’a pas été faite avant le télétravail, vous renforcez le silo alors que les gens ne sont pas au bureau ! Les équipes poursuivent des objectifs et des programmes qui ne correspondent pas les uns aux autres et ne se combinent pas pour progresser efficacement vers les objectifs de l’entreprise. La prise de décision prend trop de temps. Il existe bien évidemment des raisons légitimes de prendre du temps pour décider. Mais si tout est ralenti, il y a de fortes chances que la cause soit un manque de clarté (qui devrait décider ?) ou une mauvaise compréhension due à la distance, de la vision et de la stratégie de l’entreprise. Une prise de décision lente ralentit la dynamique nécessaire à la croissance et place l’entreprise dans une position concurrentielle désavantageuse, en particulier lorsque vous êtes face à des concurrents agressifs et des organisations plus agiles.


L’accès à l’information est moins aisé

Les nouveaux télétravailleurs sont souvent surpris par le temps et les efforts supplémentaires nécessaires pour localiser les informations auprès de leurs collègues… alors qu’en présentiel, il suffit de s’adresser à la bonne personne sur le plateau. Même obtenir des réponses à ce qui semble être des évidences peut devenir un obstacle majeur pour un travailleur basé à domicile.


La communication est moins facile

Ce qui occasionne des malentendus, des erreurs et des délais non respectés. Cela conduit non seulement à la frustration des équipes mais ça rend en plus les processus de travail pensés pour le présentiel inefficaces. Les débats (et pas les réunions de reporting) sont plus difficiles à organiser à distance. Or, permettre aux gens de ne pas être d'accord pour affiner la réflexion de l'équipe est fondamental. La distance pose ici 4 types de problèmes :


1) Les introvertis le sont plus encore. Dans des environnements virtuels, ces derniers ne se sentent pas en sécurité psychologiquement, ils peuvent donc ne pas s'exprimer quand ils le devraient. A l’inverse, pour les extravertis, définir les problèmes avec tact et de manière non menaçante, c’est s’ajuster en permanence à l’autre (langage corporel, mimiques en plus des paroles), ce qui évidemment plus compliqué à distance. En plus, il semble que les extravertis souffrent davantage d'isolement à court terme, en particulier s'ils n'ont pas la possibilité de se connecter avec d'autres dans leur environnement de travail à distance.


2) La fiabilité de l’action collective implique de concevoir des façons de raisonner collectivement reconnues. Car imposer un raisonnement non partagé, aussi intelligent ou évident soit-il, ne sert à rien. (toute ressemblance avec des politiques serait bien évidemment fortuite;) Bien des décisions absurdes, inapplicables ou incomprises proviennent d’une façon de raisonner non partagée, ce qui est un risque avéré avec la distance. Dans l'accident de la navette Challenger , Il est notable de constater qu'une partie de l'équipe qui devait donner le feu vert au lancement était à distance. Les échanges d’arguments sur la décision de lancer, se sont déroulés sans face à face (2).


3) La distance tend à dépouiller la communication de son aspect relationnel pour n’en conserver que l’utilitaire. La communication à distance ne renforce pas les liens dans l’équipe. Elle laisse moins de place aux sentiments, préoccupations, opinions et idées des autres. Cette communication utilitaire signifie encore moins de soutien des décisions du groupe surtout si on n’était pas totalement d'accord au départ. Vous avez alors du souci à vous faire quant à l'exécution.


4) L’une des conséquences les plus courantes d’une communication inadaptée, à laquelle est confrontée une équipe à distance est l’isolement. Une personne a une question et la dépose dans la boucle WhatsApp de l’équipe. Un membre de l'équipe qui connaît la réponse ne répond pas en temps opportun ou, pire, ne prend pas le temps de répondre du tout. Dans un bureau, cette panne de communication est beaucoup plus évidente. Si une personne a oralement posé une question et n'a pas obtenu de réponse, elle relance, en fait une blague, bref trouve des ressources afin d’obtenir sa réponse. Conséquence directe : l’apprentissage informel est plus faible qu'en présentiel. Si la concentration est plus facile parce qu'on est plus tranquille, il y a moins d'entraide informelle comme donner et recevoir des commentaires d'autres membres de l'équipe afin d'effectuer la tâche. Aider les autres à résoudre des problèmes et à atteindre leurs propres objectifs ? Bien sûr mais vous n’êtes plus forcément au courant ! Le télétravail ne favorise pas a priori l’innovation. Développer les idées d'un collègue ou d'un membre de l'équipe ? Les « rebonds » sur les idées des autres, à l’impromptu, n’existent plus tant les conversations sont dédiées à un objet (celui de l’appel).


Changement de loyauté

Sur une plus longue période, l'isolement peut aboutir à ce que chaque collaborateur se sente moins « appartenir » à son entreprise. Si le manager ne « compense » pas, certains collaborateurs estimeront qu’à distance, il est déconnecté de leurs besoins et, par conséquent, ne les soutient ni ne les aide. Ces salariés peuvent alors être tentés par des comportements « mercenaires » ou passifs au sein de l’entreprise, pour laquelle ils n’ont plus aucune attache particulière. Cet éventuel désengagement vis à vis de l’entreprise doit être distingué d’un désengagement vis-à-vis du travail. Les télétravailleurs à 100%, revenus depuis longtemps du mythe de l’emploi à vie, adopteront sans doute une approche professionnelle et rationnelle de l’engagement en entreprise. Ils changeront plus facilement d’entreprise quand ils estimeront avoir de meilleures opportunités ailleurs. Leur loyauté prendra des formes adaptées, reflétant la force augmentée de leur réseau hors de l’entreprise et l’effacement relatif de la personnalité de cette dernière. A distance, le travail n’est en effet plus confiné à des horaires et à des lieux spécifiques, avec un effacement probable des notions de « lieu de travail » et d’horaires de travail, au profit d’une prestation qualifiée : le projet. L’entreprise devient un carrefour d’échanges, qui fédère des collaborateurs nomades autour d’un même projet. La loyauté, le sentiment d’appartenance, ira donc d’abord à un collectif de travail, souvent temporaire, sur le mode du projet, plus qu’à une institution. Là encore, maintenir l’entreprise en cohérence demandera un management de meilleure qualité. Les télétravailleurs à 100% peuvent encore souffrir d’un manque de motivation qui conduit à une certaine apathie, quand ils disent « à quoi bon ? » et arrêtent de se battre pour leurs idées : à distance, il y a moins d’entraînement du groupe. C’est évidemment l'exact opposé des besoins d’une entreprise à l’ère numérique !


L’équipe ne se renforce pas à distance, elle peut même se déliter

La recherche (3) a révélé qu'un manque de lien entre les collaborateurs à distance se traduit par une moindre volonté de donner aux collègues, le bénéfice du doute dans les situations difficiles. C’est pourtant ce lien qui construit la confiance, condition de l’adaptation aux autres (même quand elle coûte psychologiquement). Par exemple, en présentiel, vous savez que votre collègue connaît une journée difficile, vous recevrez un e-mail plutôt sec de sa part : vous estimez que c’est le produit de son stress. Cependant, si vous recevez cet e-mail d'un collègue à distance, sans aucune compréhension de son contexte, vous êtes plus susceptible de vous offenser, ou au moins d’estimer qu’il s’agit là d’un piètre professionnalisme. D’une façon plus générale, la cohérence et l’alignement des collaborateurs à potentiel n’est pas évidente d'autant plus que la tendance de fond à leur autonomie, qu'il s'agisse d'autonomie procédurale (comment faire le travail) ou d'autonomie d'initiative (innover, se saisir d’un sujet) se confirme plus que jamais.


Le télétravail à100% du temps, est possible si l’ensemble du système que constitue l’entreprise est reconfiguré : culture (ça commence par le CODIR), organisation du travail, structures (process, règles voire organigrammes) et bien entendu management. Sans cette réflexion globale, l’échec est probable.




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