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Photo du rédacteurErwan Hernot

Leadership : arrêtez d'inviter des généraux à vos séminaires !


Avant de démarrer la lecture : j'ai un profond respect pour l'institution militaire.


Idée clé : Penser que des généraux vont vous aider à développer le leadership dans votre entreprise, c'est succomber à deux erreurs de raisonnement : prendre le contexte militaire pour un contexte civil et ancrer la notion de leadership dans le romantisme, ce qui n'est pas très pertinent pour une entreprise.

Toutes les bureaucraties partagent la même logique de fonctionnement. Pour être clair, il y a probablement peu de différences de fonctionnement entre le ministère de la défense à Balard et le siège d’une banque à la Défense. Ce n’est donc pas pour témoigner du leadership de bureau que les généraux en retraite viennent faire frémir les cadres supérieurs dans leurs séminaires. Quand je parle de contexte militaire, je parle d'hommes et de femmes évoluant en ambiance tactique sous le commandement d'officiers. C'est toujours de là que raisonnent ces généraux qui viennent vanter le leadership. Indiquez-moi quel est le point commun entre des membres des Forces Spéciales évoluant en mission au Mali et des cadres dans une tour climatisée ? Indiquez-moi quel est le point commun entre un ordre claqué à la sortie d'un Caracal (1) et la délégation négociée entre un manager et son collaborateur ? En ambiance de combat (ou alors ça a changé) l'ordre ne se discute pas, son exécution est de l'ordre du réflexe. C'est ce qui permet son efficacité et accessoirement la capacité de ramener le maximum de soldats sains et saufs. On est loin de l'esprit critique que l'on demande aujourd'hui à tous les managers ! Si le lieutenant, à la sortie du véhicule auto blindé, décide de faire une réunion de son peloton pour enrichir l'ordre donné, je ne suis pas certain de sa carrière dans l'armée française;) La vérité, c'est que ce leadership fait rêver. Et que mes cadres supérieurs s'évadent un peu en séminaire en écoutant les histoires du général du jour : un bon film d’action. C'est évidemment moins sexy d'entrer dans le fond du concept de leadership. Car le leader-ce-héros est une notion managériale attrape-tout : on attribue au dit héros beaucoup plus qu'il n'est capable de faire. La performance organisationnelle est multifactorielle ; c’est un processus complexe. Notre cerveau est paresseux et fonctionne à l’économie. Le leader-ce-héros est le produit d’un biais cognitif. C’est à dire ici un cheminement simplificateur de notre raisonnement qui consiste à juger la probabilité d’un événement (la performance de l’entreprise) sur la base de la facilité avec laquelle on peut se remémorer des épisodes de cet événement. La saillance, ce qui en ressort, c’est le leader-ce-héros. La performance devient alors en une histoire (un construit social dirait Meindl (2). Or toute bonne histoire a un héros (ou une héroïne). En conséquence, les dirigeants et les problèmes de leadership deviennent souvent les explications privilégiées de divers événements dans les organisations. Pour le dire encore plus simplement: attribuer la performance de l'entreprise à l'influence du leader est plus facile que de prendre en considération le vaste ensemble de facteurs possibles.


La fameuse différence entre leader et manager


Très à la mode dans le prêt à penser qui meuble le fil LinkedIn, vient ensuite la déclinaison de la différence entre manager et leader. Sur un tableau, conceptuellement, peut-être que c'est pertinent mais dans la vraie vie ? Je vous donne un exemple : voici un PDG d’une entreprise d’électronique de défense qui négocie (vraiment, pas celui qui signe symboliquement) un gros contrat avec ses équipes de vente. Est-il manager commercial ou leader ? Second exemple : le leader-ce-héros a une vision qui dessine des perspectives riches pour son entreprise. Il évolue dans la stratosphère stratégique, le gars. Alors pourquoi certains PDG, qui visitent certaines agences d’un réseau, disons, de boutiques, sont capables de s'arrêter à un problème terre à terre de signalétique et d'en parler avec le responsable de la boutique ? Sont-ils managers ou leaders dans ce cas là ? Je ne nie pas le rôle du leader. Je pense juste qu'il est totalement connecté à celui de manager. Ainsi, l’erreur de beaucoup de managers débutants est de penser qu'une fois qu'ils sont nommés, ils vont pouvoir prendre les décisions et donner des ordres. Ils comprennent graduellement (pour les plus intelligents) que l'autorité formelle est une ressource de pouvoir très limitée. En fait, devenir manager, c'est prendre conscience qu’on devient plus dépendant des autres pour que les choses soient faites, c'est-à-dire accepter le pouvoir que ces autres ont sur vous (l’incertitude que vous avez de savoir s'ils feront - ou pas - la chose demandée, est leur pouvoir). C'est là - déjà, en tant que manager débutant - que le leadership s’éprouve réellement et qu’il devient important. Pour Belbin (3), qui a beaucoup contribué par ses travaux sur les équipes: “le leadership n'est pas une partie du poste mais une qualité qui enrichit le poste”. La différence est importante : le leadership est plus une question d’adéquation à un contexte ; Il n'est pas une assignation à un poste. En fait, être un manager efficace suppose nécessairement d'exercer le rôle de leader.


Le leader-ce-héros n’est pas terrible dans le changement


Achevons avec enthousiasme le leader-ce-héros ! La notion est encore une illusion basée sur une erreur de raisonnement dans le changement. Habituée à “déifier” une ou quelques personnes en leaders, les équipes dirigeantes se paralysent conceptuellement elles mêmes quand il faut changer. Le travail leur apparaît alors vertigineux, dantesque : le leader est capable de brillantes analyses sur ce qui ne va pas dans l’organisation, pointant du doigt tout ce qui devrait être changé avec lucidité. En même temps il souligne pour s’en désoler que ce n'est pas mûr, que les équipes ne sont pas prêtes. Ce qu’il n’arrive pas formuler, car c’est d’une simplicité confondante, c’est qu’il ne voit pas bien comment à 100 cadres dirigeants, ils vont faire changer 30000 personnes. De leur coté, les équipes en question ne voient pas pourquoi elles bougeraient alors que ceux qui les dirigent témoignent d'un tel immobilisme. Le problème est évidemment d'abord un problème de définition du leadership à la tête de l’entreprise ! Reprenons. Le leader-ce-héros dirige dans les temps difficiles de changements. Car, les collaborateurs le suivent, sûrs de sa vision. Or, dans les organisations, l'humain, cœur de cible du leader, est un cauchemar ! Il ne se plie jamais facilement ni à l'ensemble des règles, procédures qui sont sensés le rendre prévisible, ni à la volonté du leader aussi puissant soit-il. Ce leader, aidé de son service de communication, s’ingénie à entretenir l'illusion de sa puissance, de sa capacité à guider par son charisme. Le truc, c’est que le charisme n’efface pas la rationalité des équipes face aux choix qu’ils perçoivent dans le changement. Il ne suffit donc pas de leur expliquer ce qui devrait être pour qu'il le fassent, ni de faire appel à leur raison pour qu'ils deviennent raisonnables au sens où l’entend le leader. Il recourt alors à L'incantation c’est à dire aux programmes de conduite du changement avec plein de Power Point, dans une sorte d’esprit magique totalement … désespéré. "Contrairement à une idée communément admise, le raisonnable n’est pas universel mais éminemment contextuel" (4), sujet donc à une interprétation partisane de la part de chaque individu. En d'autres termes quand le leader conçoit un discours qu'il pense de bon sens ; Ce n'est pas forcément ce sens que percevra ceux qui le reçoivent. En fait, le changement se fait à petits pas, en changeant les contextes des différents individus (articles à venir). Mais ça dépasse largement la notion simple du leader-ce-héros (et des superbes solutions plug & play des grands cabinets de conseil ;) Ces individus, par une suite d'évolutions spontanées ou de petites décisions mises bout-à-bout changent sans presque s'en apercevoir. Le rôle du leader est alors moins de précéder les changement grâce à sa vision que de le suivre et s'il peut -d’accompagner (exemplarité) - en tout cas de ne pas le gêner. Carrément moins romantique. En d’autres termes : le leader ne doit pas tenter de mettre sous contrôle l'ensemble du processus du changement : trop complexe. Sa valeur ajoutée, c’est de sentir quand il faut changer, en ayant écouté de façon non partisane et non superficielle en permanence ses équipes. Ce qui permet d'entrevoir des possibilités avec un temps d'avance et d'en tirer profit. Le leader délègue très vite c'est-à-dire fait confiance aux capacités de leadership des autres…


Un dernier point : tant qu’on ne tuera pas le leader-ce-héros, nous aurons du mal à attaquer efficacement la transformation digitale.



(1) Caracal L'Airbus Helicopters H225M est un hélicoptère de transport militaire fabriqué par Airbus Helicopters (anciennement Eurocopter). Il porte le nom de Caracal dans l'Armée de l'air française et l'aviation légère de l'Armée de terre (ALAT)

(2) Meindl, 1993 “The Romance Of Leadership”

(3) Belbin 2010 “Teams Management”

(4) François Dupuy 2011 "Sociologie du changement"

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