Certaines expressions deviennent des évidences sans avoir été situées ou véritablement expliquées. Cette semaine, un court papier pour éclairer la façon dont les données (je devrais dire la datafication si c'était français) sont en train de transformer la perception du client et partant, de l'employé. La production des données renforce la présence continue et renseignée du premier dans l’entreprise. Elle accélère ainsi la mutation du management : il dépasse les anciens principes du Command & Control pour aller vers une décentralisation des décisions, au plus près du terrain.
La présence du client dans l’entreprise
Il y a peu encore, une entreprise concevait, fabriquait et vendait un produit à un client. Ce dernier était représenté - plus ou moins bien - par la direction marketing et commerciale. Après l’achat, au-delà d’une éventuelle maintenance, ce client disparaissait des écrans radar de l’entreprise. Pour s'en convaincre, il suffit de constater qu’on parle d’« après vente » : pendant longtemps, nous n'avons pas été capables de qualifier ce qui se passait après la vente par un terme qui lui soit véritablement dédié ;) Maintenant, systèmes experts, plateformes, réseaux sociaux et capteurs génèrent des données sur les usages de ce produit. Elles “incarnent” le client qui reste ainsi toujours présent dans l’entreprise. Du coup, on parle d'expérience client. Ce dernier met sous tension les équipes qui doivent alors élaborer – vite - les réponses ad-hoc à ses problèmes et ses demandes.
Une organisation repensée ?
Dans ce contexte, l’expérience client tire tout son sens et fait advenir « l’expérience employé ». Elle provoque deux types de réactions : la première est seulement symbolique : ce sont les slogans vides de sens qui ont fait les délices de la langue de bois corporate « Soyons proche du client ». La seconde est moins cosmétique : les dirigeants adaptent l’organisation pour mieux satisfaire ce client devenu omniprésent. Ils inversent l’ordre d’importance des acteurs de l’entreprise : d’abord les clients puis les collaborateurs à leur contact puis tous les autres… hiérarchie comprise. Une bonne expérience client dépend étroitement d’une « expérience employé » elle-même satisfaisante. Celle-ci est conditionnée à son tour, à une large autonomie accordée aux équipes : elles sont au contact du client et donc mieux à même de le servir. Cette liberté lorsqu'elle est bien pensée, implique de concevoir un cadre constitué de valeurs et de principes qui guident les collaborateurs. Concevoir, installer cette écosystème est un vrai défi pour beaucoup de managers : On est loin, en effet, de la simple transmission de règles à appliquer. Les collaborateurs sont évalués sur la compréhension qu’ils en ont et l’application qu’ils en font. Une fois cette compréhension acquise, les managers leur font confiance pour ajuster comportement et pratiques professionnelles selon les situations dans lesquelles ils se trouvent et les données dont ils disposent. La liberté va de pair avec la responsabilité effectivement exercée par les collaborateurs sans en référer à un quelconque chef.
Liberté, responsabilité et … humilité
Les décisions se prennent alors sur le terrain. En effet, les équipes au contact des clients sont les plus à même d’exploiter intelligemment les données. Par exemple : un client ramène pour la deuxième fois dans un magasin de bricolage un produit défectueux. Face à lui, le vendeur a toutes les informations sur son terminal : historique des achats, fréquence, montants, contributions sur les forums “bricolage” hébergés sur la plateforme de la marque... En mode management Command and Control, il fait appel à son manager pour traiter le cas : “Attendez, je me renseigne auprès du responsable”. Extrait d’un autre problème, ce manager doit :1. se plonger dans ce nouveau contexte, 2. prendre connaissance du problème sur le terminal du vendeur, 3. évaluer la solution, 4. décider devant le vendeur et le client qui attendent. C’est du temps perdu et une piètre image de la marque. En mode Agile, le vendeur comprend tout de suite, à l’examen des données, qu’il faut faire un geste commercial (offrir un bon d’achats, rembourser...). L’humilité intellectuelle est ici nécessaire parce que c’est la capacité de reconnaître que ce qu’il sait est très limité par rapport aux données et informations que l’IA peut stocker. C'est reconnaître le pouvoir de l'exploration. Plus que l’expérience, le collaborateur valorise l’expérimentation. C’est elle qui permet de qualifier une information qu’il avait peut être ignorée ou sous estimée dans sa pratique professionnelle. Elle peut déboucher sur des conclusions contre intuitives et l’oblige à penser hors du cadre. Dans ses domaines de compétences, il casse ainsi ses propres certitudes. Sera-t-il capable d’affronter ces changements drastiques ? Le manager va devoir l’accompagner afin de l’aider à redéfinir son identité professionnelle de ses apprentissages : ce n’est plus une logique de statut mais une dynamique de progrès. Ce qui suppose l’acquisition d’un ego souple. Il admet ainsi ses incertitudes et son ignorance sinon il n’apprend pas ! Mieux : il ne les cache pas aux autres et apprend d’eux. C’est un collaborateur à la fois humble et « augmenté ». Se fiant à l’examen des données, il sait qu’il va affronter des nouveautés. Par conséquent, Il pose plus de questions, il compare, connecte, explique et relativise les savoirs et ceux qui les détiennent, y compris lui même. Il devient plus attentif à la rigueur de son raisonnement. Sa réaction rapide et appropriée rend l’expérience client positive (“on m’a compris très vite”). Cette satisfaction exprimée valorise et renforce encore la motivation du vendeur.
Ce collaborateur responsabilisé, comprend de mieux en mieux la chaîne de valeur client. Il est capable par ses décisions, de créer littéralement de l’image de marque. Le modèle managérial du Command & Control sensé l’encadrer, apparaît étroit, simpliste et dépassé.
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