Idée clé : expérience client et expérience collaborateur vont de pair. Or, si les discours sont au point, les actes restent encore timides. Il est vrai que l'exigence de cohérence supposerait de forts bouleversements et plus de pouvoir aux managers de terrain...
Un client qui vit une expérience positive avec une entreprise/marque est plus susceptible de devenir un client loyal et fidèle. Ce constat - de bon sens - validé par de nombreuses études, a donné naissance à l’expérience client (appelée par les marketeurs, avides d’acronymes anglo-saxons : CX pour « Customer eXperience »). Elle se concrétise dans les interactions entre un client et une entreprise/marque. Pour le fidéliser, les entreprises lui proposent une expérience créatrice de valeur, à chacune des étapes - ou « moments de vérité » - de la relation. Lors de sa décision d’achat, le client évalue en effet, autant les bénéfices fonctionnels que sociaux et émotionnels du produit ou service. Cette exigence suppose, bien entendu, un parcours client en ligne sans frottement, une atmosphère “raccord” en magasin (hôtel, etc.) et surtout un personnel engagé : ce qui nous amène à l'expérience collaborateur. Elle englobe, quant à elle, ce qu'un collaborateur vit tout au long de sa relation à l’entreprise - du premier contact en tant que recrue potentielle à l’entretien de sortie à son départ. L'exigence de cohérence entre les deux expériences est vitale. Vous pouvez consacrer des ressources énormes à l'acquisition des dernières technologies, à l’étude de la concurrence ou à la création d'une campagne marketing exceptionnelle, si vos dirigeants ne prennent pas en compte cette expérience collaborateur, vos investissements ne servent à rien. Au delà du discours : cette cohérence est-elle réalisée ? Si on poursuit l’idée, une réelle expérience client changerait profondément la structure de l’entreprise : elle suppose, en effet, une pyramide hiérarchique inversée. Les cadres supérieurs sont au service des managers de terrain et des collaborateurs pour faire vivre l'expérience collaborateur. Car ce sont eux qui réalisent la promesse de la marque. Chaque collaborateur, de son coté, a la responsabilité de comprendre le modèle d’affaires de l’entreprise et de prendre les décisions qui concrétisent ses principes fondamentaux. A cet égard, les clients font très vite la différence entre l'employé qui est engagé et celui qui “fait ce qu’on lui demande”. Toutefois si le principe de pyramide inversée semble pertinent, les conditions permettant cette inversion, n’existent pas.
Structure et organisation
Le fonctionnement d'une entreprise, sédimenté sur des structures (procédures, règles, organigrammes, processus…) et une organisation (territoires, façons de travailler, relations de pouvoir…) change peu. Et le slogan habituel « le client au centre » est évidemment peu réaliste. Les entreprises mettent généralement leur rentabilité avant le client. Elles simplifient ainsi fortement leurs problèmes pour prendre des décisions. Ça se manifeste d’abord par la fameuse structure en silos. En effet, il n’existe pas un seul individu disposant de toute l'information. La structure produit donc des procédures pour décider que tel problème relève de tel département et de tel traitement. Mais cette façon de faire réduit la complexité des décisions à prendre en négligeant les couplage entre différents choix, qu'elle traite en segmenté / séquentiel. Le département de production réduira les coûts avec des contraintes de fonctionnalités et de qualité du produit déterminée par ses propres priorités ou par des indications que lui donne le marketing, tandis que le département commercial fixera les prix. La simultanéité / coopération n’existe pas : les marketeurs ET les commerciaux ET les ingénieurs de production décideraient ensemble des thématiques propres à chacun, en équipe pluridisciplinaire. Les produits des décisions segmentées séquentielles ne sont pas optimaux mais tant que ça passe… Ça risque de ne plus passer. Avec les exigences de l'expérience client, les effets pervers de cette structure en silos sont encore plus visibles. Le segmenté / séquentiel devient vite un repère d'experts qui perdent de vue la logique globale de la prestation client. Entourés de leurs certitudes et de leur processus, ils sont d'une certaine façon protégés du client par la structure ! Ainsi, personne parmi les collaborateurs n’est véritablement comptable du résultat final acheté par le client. Ce système s'oppose à une flexibilité rendue nécessaire par l’évolution de marchés plus concurrentiels et l’apparition de l’expérience client comme arme anti compétiteurs. Or, comme le client a de plus en plus le choix, il faudrait passer à l'attelage simultané / coopératif. La coopération n'est pas un comportement naturel ou spontané, du moins dans les situations quotidiennes du travail. Pour les acteurs concernés, elle remplace l'autonomie par la dépendance ou encore la neutralité de la relation du séquentiel / segmenté par la confrontation de points de vue différents. Cette dernière leur « coûte » psychologiquement. Quelles seraient alors les conditions de l'inversion de la pyramide hiérarchique ?
Régulation plutôt que règle
Ça commence par choisir la régulation entre acteurs responsables plutôt que la règle. Or, c'est difficile pour les dirigeants et le management d’accepter ce raisonnement parce que toute leur rhétorique est basée sur le volontarisme (la règle) plutôt que l’élaboration d’un écosystème favorable à l’éclosion de l’agilité. Il faudrait qu’ils imaginent un monde où les acteurs dépendent étroitement les uns des autres sans que ce soit lié à des règles et des procédures ni à quelconque système de contrôle mais à la façon dont l'expérience client est mise en avant. On sait alors qu'une mauvaise performance à un endroit à des répercussions immédiates à un autre. L'entreprise est auto régulée. Les dirigeants ne “micro managent pas”. Du reste, les équipes du siège se positionnent en consultants internes. La régulation permet aux différents acteurs d'ajuster leurs stratégies à celle des autres pour jouer collectif. Les règles, procédures et processus sont peu nombreux et créés en vertu d'un strict principe de nécessité accepté par tous. Dans cette organisation floue, il est très important de se constituer un réseau et connaître les bonnes personnes. C'est la meilleure façon de résoudre n'importe quel problème : ce qui est d'ailleurs assez cohérent avec l'absence de procédures. Ceci renforce la nécessité de jouer un jeu très collectif et d'alterner les postes sur le terrain et les responsabilités au siège. Une entreprise agile réduit - si elle ne l’inverse - la hiérarchie de la structure grâce à la création d'équipes semi-autonomes, auto-organisées et pluridisciplinaires.
Équipe pluridisciplinaire
Elle intègre toutes les compétences nécessaires pour proposer l’expérience client. Contrairement aux structures hiérarchiques ou matricielles traditionnelles, elle est responsable de la livraison d'un produit ou d'un service de bout en bout (de la conception à l'achèvement). Par conséquent, elle n’a pas besoin de contributions ou de transfert à d'autres équipes à des étapes prédéterminées. Les avantages sont appréciables :
Délais de livraison plus rapides car les délais de transfert sont moins longs et les efforts de communication moindres,
Vision globale du travail qui favorise une cohérence dans l’exécution des tâches,
Réponse rapide aux nouveaux problèmes, et
Amélioration du partage d'informations à travers l'organisation.
On pourrait même imaginer d'intégrer le client ou son représentant dedans. Ce qui améliore considérablement le propre engagement des clients qui, de facto, partagent la responsabilité de la livraison.
Auto-organisation
Une équipe auto-organisée vise la satisfaction du client et s’organise en conséquence. Sa structure est souple : elle remplace certains membres, en forme d’autres ou se réorganise selon les besoins. Les membres de l'équipe ont des spécialisations mais ils sont en mesure d'assumer d’autres rôles, avec un bémol à accepter : ils sont alors moins productifs. Un point positif vient toutefois compenser ce bémol : les collaborateurs qui assument plusieurs rôles ont tendance à être plus créatifs. Du coup, cette équipe raisonne en somme de compétences dont elle dispose et pas en profil de poste tenu par un collaborateur. Pour qu'une telle équipe travaille alignée avec l'entreprise, il faut s'assurer qu’elle en connaisse les objectifs, qu’elle en partage la même définition. Afin d' y parvenir, le facilitateur d'équipe provoque des échanges courts mais réguliers à ce sujet. Les briefings des équipes agiles sont une bonne source d'inspiration à cet égard.
Autonomisation
Au-delà de l'équipe auto-organisée elle-même, la réflexion est systémique et prend en compte l'environnement dans lequel elle baigne. Ainsi, le frein plus puissant à l'agilité est la structure conçue pour une exécution "fidèle" de la stratégie : règles, processus, reportings. Dans une organisation agile, cela est surmonté de 2 façons : en donnant à l’équipe individuelle la responsabilité et le pouvoir d'interagir avec ses clients et en changeant l’état d’esprit de certains départements (voir ci-dessous l'exemple des ressources humaines). Comment y parvenir ? On sort ici du design organisationnel pour aller vers…la confiance qui fait baisser la coercition des règles. Les collaborateurs doivent faire confiance aux dirigeants (« je leur fais confiance pour nous amener dans la bonne direction ») et les dirigeants doivent faire confiance aux collaborateurs (« Je leur fais confiance pour satisfaire le client »). Les clients doivent faire confiance à l'entreprise et l'entreprise doit faire confiance à ses clients quand elle les intègre parfois dans une équipe pluridisciplinaire. La confiance s’acquiert avec une communication explicite et une bonne capacité d’écoute. Laquelle permet l'empathie. Cette empathie est à la base du capital de confiance nécessaire à l’engagement.
Changer les RH
Changer les RH : passer des centres d'expertise à des équipes dédiées à l’expérience collaborateur. Aujourd'hui constituées en centre d'expertise, les DRH ont souvent fait face a l'accusation qu'elles étaient trop portées sur la production de solutions parfaites de recrutement, de gestion de talents, de développement, de diversité, de gestion des performances ou de rémunération au lieu de connecter les RH aux besoins de l'entreprise. Si les entreprises de la grande consommation ont ouvert la voie avec des structures axées sur l'expérience clients, certains centres d'expertise RH se structurent de la même façon autour de l'expérience collaborateur. Leurs objectifs sont alors plus clairs et leur performance globale est supérieure à la somme des différents centres d’expertise RH. Magnifique ! Toutefois, beaucoup d'entreprises ne sont pas prêtes et préfèrent les demi-mesures : d’accord pour des pratiques de travail agiles sur des sujets précis ; Ok pour réfléchir au management agile (sans le mettre réellement en pratique) mais pas prêtes au bouleversement que suppose la structure agile. Or, c’est une des clés du succès si on veut être en capacité de proposer une excellente expérience client…
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