Chaque manager devrait être un leader : la différence ne devrait plus exister. Elle est encore moins pertinente à l’ère hybride. La révolution numérique renforcée par la situation Covid a besoin de leaders parce qu’elle bouleverse les repères connus : modèles d’affaires, opérationnel, managérial changent. La gestion de ces changements ne peut plus se réaliser par les décisions d’un super PDG et /ou d’un petit groupe de dirigeants. La force de traction doit être bien plus grande quand l'organisation est éclatée et les acteurs se rencontrent physiquement beaucoup moins souvent. Le collaboratif, la co construction, s’ils sont promus, doivent aussi se traduire dans une gouvernance plus collective (de l’entreprise, de l'équipe). Il faut des leaders à tous les étages managériaux. Ce sera d’autant plus facile qu’avec l’Agile et l’intelligence artificielle, nous aurons moins de managers.
Le contexte hybride impose d’abord une certaine agilité individuelle et organisationnelle. La première agilité conditionne la seconde. Les deux ne fonctionnent qu’avec une bonne dose de leadership dans le management. L’agilité individuelle, c’est avant tout une capacité à apprendre, à se remettre en cause, à écouter ceux qui ont moins d’expérience, à ne mobiliser son expérience qu’à posteriori, accepter d’être contredit pour apprendre des autres. Devenir manager à l’ère Covid, c’est faire le deuil du management par statut et par territoire de l’époque précédente, qui était par définition très protecteur pour cet acteur. C’est faire face à soi-même et à sa valeur ajoutée, donc mesurer ses propres limites (= confronter des réalités qui ne sont pas toujours plaisantes à propos de soi-même quand on reçoit du feed-back de ses collaborateurs). C'est à dire être un leader. Ce leader a confiance en lui, sans s’appuyer sur des certitudes. Il donne confiance, il est crédible par sa capacité d’analyse, de prise de recul plus que par ses connaissances. Il met en confiance et donc en mouvement son équipe. Il fait confiance et permet ainsi l’agilité organisationnelle. Plutôt que de voir l'organisation comme une pyramide, avec ses fameuses strates, il vaut mieux évoquer ces bancs de poissons qui se reconfigurent en fonction des situations. Des centaines de cellules, collaborant vers des objectifs et des résultats communs mais indépendantes dans l'action. Une organisation agile y parvient en réduisant la hiérarchie et en minimisant les "coûts" de communication grâce à la création d'équipes semi-autonomes, auto-organisées et pluridisciplinaires. Dans cet environnement, un seul manager devrait être capable de soutenir quelques équipes pluridisciplinaires, composées de 5 à 9 collaborateurs travaillant vers un résultat unique et spécifique. Ce manager ne peut pas descendre au niveau des tâches, les assigner aux collaborateurs et les motiver à les effectuer. Il propose plutôt une vision, une direction aux équipes. Il ne fixe que des objectifs “macro” et attend des équipes la déclinaison “micro” et les calendriers correspondants. Il veille au développement des compétences de gestion de projet et d’intelligence émotionnelle (pour travailler en équipe pluridisciplinaire). Il ne peut mesurer avec précision les performances des uns et des autres mais il institue une régulation intra équipe avec des débriefs réguliers (analyses post-mortem par exemple). Il se préoccupe des parties prenantes externes à son projet car il a compris que la complexité l’oblige à écouter et répondre à un environnement en constante évolution. Le portrait dressé précédemment nous invite à conclure que de nombreux managers n’auront pas le niveau…
L'expérience client redéfinira le manager
Par ailleurs, l’expérience client, l’un des véhicules les plus puissants de la transformation digitale, impacte de plein fouet la définition du manager. L’objectif de la transformation consiste à créer en effet plus de valeur pour les clients existants ou potentiels en s’appuyant sur les technologies digitales. Pour cela il est nécessaire de comprendre en profondeur leur expérience. Avec le digital, le client est dans l’immédiateté, le souhait d’une personnalisation forte. Il a pris l’habitude d’un hyper choix et de l’ubiquité (logique phygitale, logique multicanale). La connexion est permanente, la géolocalisation est possible enrichissant encore les données de marché. Enfin, last but not least, ce client - mais encore le collaborateur - évalue produits et entreprises (de TripAdvisor à Glassdoor). Un patron renforce ce constat :“Si on gère une entreprise qui veut avoir une existence significative dans le monde digital il faut être moderne dans les rapports sociaux, l'immobilier, l'occupation des locaux, méthode de travail, l'approche des clients, la conception de la hiérarchie” Stéphane Priami alors, patron du pôle Crédits à la consommation du Crédit Agricole (cité par Christophe Deshayes, recherche de La Fabrique de l’Industrie). Les personnels en contact direct avec les clients ont donc beaucoup de défis à relever. Ça tombe bien, ils ont changé : ils sont souvent sur-informés et par conséquent, posent plus de questions. Ils ont l’habitude de connecter les idées, de comparer, de relativiser les savoirs et … ceux qui les détiennent. On est - en moyenne - assez loin du simple exécutant.
L'engagement, capital dans l'expérience client
Le paradoxe, c'est que le manager de l'ère covido - numérique doit aider ses collaborateurs à développer des capacités qui sont par nature peu “manageables” (passion, créativité, …) Pour qui se contente de raisonner en manager sans dimension de leader : comment rendre un collaborateur “passionné” ? Impossible - sauf à tomber dans l’injonction : “Soyons Passionné au Service de Notre Client”(Quand on a des messages pauvres en sens, on met des capitales partout). Seul un manager leader comprend que l’engagement est la clé et travaille à partir d’un raisonnement systémique (1) en complément d’un raisonnement analytique, de ses connaissances de l'histoire et de la culture organisationnelles, mais encore de l'empathie et de sa réflexion éthique. C’est ainsi qu’il est capable d’identifier les conditions dans lesquelles ses équipes donneront le meilleur d’elles mêmes au service du client. Face à des collaborateurs qui connaissent la situation du client mieux que lui, qui ont déjà analysées les données fournies par les différentes IA, le manager cherche moins à expliquer ou donner les clés d’un problème et plus à susciter le questionnement. Il passe d’une logique de justification (“je suis celui qui décide car je sais”)à une logique d'élaboration de raisonnement pour créer les conditions favorables à la construction d’une solution. Les problèmes clients qui "remontent" vers le manager, sont rarement blancs/noirs. Ils s’articulent en multiples dimensions, niveaux, relations. Dans ces décisions multidimensionnelles complexes, il est peu probable que des processus d'analyse simples résolvent clairement la question amenée par des collaborateurs face à ces problèmes clients. Or ce sont les seuls que le manager pourrait éventuellement proposer sans “entrer” dans chaque problème traité par ses équipes. Sa valeur ajoutée se situe alors dans sa capacité à faire raisonner (en collectif ou pas) ses collaborateurs, au delà de ce que l'intelligence artificielle peut tirer des seules données. En revanche, le manager sans dimension de leader dépendra, lui, de l'IA pour résoudre ces problèmes car il ne sera pas capable de stimuler l’intelligence collective du groupe. Sauf que ses collaborateurs auront une maîtrise au moins égale à la sienne de l’exploitation de cette IA. Quelle sera alors sa valeur ajoutée ? Ce “simple” manager n’y survivra pas. A l’époque pré-digitale, il pensait qu'une fois nommé, il pourrait prendre les décisions et donner des ordres. L’implantation et l’usage de l’IA réduit son autorité formelle qui était déjà une ressource de pouvoir limitée. Ce manager pouvait avoir le contrôle sur ses collaborateurs mais aucun engagement de leur part : les humains ne sont pas très engagés et inspirés lorsqu'ils sont contrôlés. L'engagement, garantie de créativité et d'initiative dans l'expérience client, s'accompagne nécessairement d'une autonomisation des collaborateurs, accentuée par leur accès à l’IA. Être en contrôle, ce n’est pas diriger, c’est plus partager. C’est là que le leadership s’éprouve réellement. En fait, être un manager à l’ère covido - numérique suppose nécessairement d'exercer le rôle de leader.
Les suites logiques de ce papier sont :
Formation présentielle ou hybride ou distancielle : "Devenir un manager hybride". Durée 2 jours (scindée en demi journées pour la formule distancielle).
(1) La systémique est une manière de définir, étudier, ou expliquer tout type de phénomène, qui consiste avant tout à considérer ce phénomène comme un système : un ensemble complexe d’interactions, souvent entre sous-systèmes, le tout au sein d'un système plus grand. Elle se distingue des approches traditionnelles qui s'attachent à découper un système en parties sans considérer le fonctionnement et l'activité de l'ensemble, c'est-à-dire le système global lui-même. Wikipedia.
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