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Photo du rédacteurErwan Hernot

Du doute à la peur, de la peur à la pression


La pression provient très souvent d'une peur qu'on trouve d'abord au niveau hiérarchique du dessus. Cette peur se propage, créant une cascade de pressions qui affecte les managers, les équipes et la performance globale de l'entreprise. C'est ce que démontre ce papier.


L'analyse de l'environnement (par ex. un constat de l'accroissement de la concurrence, des exigences de plus en plus fortes des marchés financiers, une réglementation de plus en plus contraignante…) fait émerger des enjeux (par ex. la sécurité des emplois) auxquels font face dirigeants et managers. Ces enjeux posent inévitablement la question : dans ce contexte, va-t-on y arriver ? Le doute s'installe : il s'accompagne de la peur d'échouer et/ou d'un surcroît d'énergie qui va galvaniser. La peur a ceci de particulier qu'elle se transmet très facilement et pour de bonnes raisons. C'était la peur qui maintenait en alerte les premiers hommes et leur évitait ainsi de terminer trop souvent en dîner des grands carnassiers. Elle est d'autant plus prégnante qu'elle touche des dirigeants qui ne connaissent pas toujours intimement les métiers de leur entreprise : ils sont alors moins capables de prendre du recul et de nuancer leur premier constat, c'est à dire de douter de leur propres … doutes. Ces dirigeants et managers qui ont peur, transmettent leur anxiété par le biais d'un langage négatif voire menaçant, un focus excessif sur les échecs potentiels et une aversion au risque, un micro management et/ou la définition d'attentes irréalistes. La peur se mue alors en pression.


Certes à court terme, la pression peut aiguiser la concentration et pousser les équipes à travailler plus efficacement. Mais au fur et à mesure, elle modifie la prise de décision : les individus prennent des décisions visant leur survie à court terme plutôt que d'investir leur intelligence dans une stratégie de long terme. Descendant dans la hiérarchie, la pression se renforce en même temps que le message s'appauvrit : d'un constat de départ qui permettait de multiples interprétations, on aboutit au "On va tous mourir" qui effraie évidemment les équipes. Chaque niveau "double la mise" de peur de ne pas réussir à obtenir ce qui a été demandé. Il ne faut pas chercher plus loin la formulation d'objectifs inatteignables : augmentation de la charge de travail et des responsabilités, diminution des délais, le tout sans fournir les ressources supplémentaires et/ou le soutien adéquats. Dans une atmosphère de peur, les dirigeants peuvent en effet réduire leurs investissements en ressources, en formation ou en développement des employés : l'urgence leur parait tellement évidente qu'elle ne souffre pas d'aménagements. Les managers et les équipes se sentent alors obligés d'accomplir plus avec moins, ce qui exacerbe la pression sur leurs performances et leur bien-être. Cette demande de performance plus élevée ne tient pas compte des limites ou des besoins des employés. Elle amène les managers et les équipes à travailler plus longtemps, à prendre des raccourcis, ce qui conduit à l'épuisement professionnel et à une diminution de la satisfaction au travail. Le stress augmente et avec lui, l'épuisement professionnel et une baisse du moral. Cela se traduit souvent par un absentéisme plus élevé, une baisse de la productivité et une augmentation des démissions du personnel. Quand on connait les coûts d'un recrutement, ça laisse songeur, d'autant plus que cela nuit à la réputation de l'entreprise, ce qui rend plus difficile l'attraction et la rétention des employés. Sous pression, les acteurs donnent la priorité aux tâches personnelles par rapport au travail d'équipe (moins visible), ce qui entraîne une réduction de la collaboration et de la communication. Cela renforce les silos et entrave le partage des idées. La pression entraîne des erreurs, un travail précipité et une moindre attention aux détails. Les acteurs privilégient la rapidité (on montre vite des choses pour rassurer) à la qualité ce qui entraîne souvent des résultats inférieurs à ceux qui auraient été obtenus sans pression.


La pression conduit encore à un contrôle accru, matérialisé par des audits et des évaluations de performance fréquents. Ces derniers peuvent créer un environnement dans lequel les acteurs se sentent constamment jugés, ce qui ajoute à leur stress et à leur anxiété. Le management basé sur la peur décourage souvent la dissidence ou les perspectives alternatives. Les managers et les employés se conforment aux directives d'en haut, même s'ils ne sont pas d'accord ou discernent des failles dans le système. La pression étouffe l'esprit critique et la créativité. Elle génère sa propre culture : les employés commencent à penser que l’échec n’est pas une option (croyance), que les erreurs seront sévèrement punies (norme de comportement) parce que c'est inadmissible (valeur) et que la sécurité de l’emploi est constamment menacée. Cette façon de travailler se perpétue car les managers intermédiaires adoptent des comportements similaires pour s’aligner sur ce qu’ils perçoivent comme la norme de l’entreprise. Ils établissent des contrôles stricts et surveillent de près les performances au détriment de leurs relations interpersonnelles avec leur équipe. Ce micromanagement renforce le sentiment d’avoir peu d’autonomie, ce qui intensifie encore la pression. Ainsi les dirigeants considèrent qu’obtenir une performance efficace suppose un management prescriptif (pour ne pas dire directif). Compte tenu de ce que l'on sait de l'environnement et de la stratégie, il s'agit de spécifier aux salariés quoi faire et comment se comporter (que ce soit explicitement ou implicitement). La principale victime est ici la confiance. Or, sans elle, le système "entreprise" est uniquement transactionnel. C'est à dire rigide, lent et peu adaptatif.


Bien entendu, le sentiment de peur ne se supprime pas. Mais il peut toutefois être mis à distance. Pour éviter un management par la peur, il serait judicieux d'accompagner les dirigeants et les managers à la reconnaître. Cela se fait par des sessions de coaching ou de formation en intelligence émotionnelle, où ils apprennent à comprendre les sources de leur peur (par exemple, l'incertitude du marché, la pression des actionnaires, etc.). On y "normalise" la peur comme une réponse émotionnelle légitime. En reconnaissant que la peur fait partie intégrante du leadership, les dirigeants peuvent commencer à l'aborder de manière plus positive. Ensuite, dans la pratique, il faut créer un espace de dialogue : encourager un environnement où la peur peut être discutée ouvertement sans jugement est essentiel, qu'il s'agisse de séances de groupe ou en individuel où les dirigeants et managers peuvent partager leurs préoccupations. Mais ça suppose un changement de croyance où la sensation de vulnérabilité est appréhendée de façon constructive. Les dirigeants qui admettent leurs peurs montrent l'exemple. Cette transparence permet le dialogue, lequel aide à dissiper la culture de la peur et à promouvoir un climat de confiance.

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