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Photo du rédacteurErwan Hernot

Danone se restructure ? Voyons le verre à moitié plein !


Danone a récemment fait l’objet de titres qui claquent (« De la RSE au PSE » ) dans la presse, à cause de la contradiction – apparente – de ses choix stratégiques avec son statut de société à mission. Je ne m’intéresse pas ici à cette polémique ; je traiterai dans de prochains papiers, la société à mission. Je centre mon propos sur la logique de réorganiser la structure, tirant les enseignements d'un changement d'environnement dont l'acmé est la crise de la COVID-19. J’ai imaginé (je n’ai pas de source interne) les raisons de la réorganisation et les possibles conséquences sur le management. Pour rester pédagogique, j'exclus les doubles logiques organisationnelles (1) qui existent peut être dans ce groupe.


Quel est le constat ? Il est d’abord financier. Le chiffre d'affaires global a reculé de plus de 5% sur les neuf premiers mois de l'année, la division Eaux a souffert de la fermeture des restaurants etc. Le cours de Bourse a reculé de 30 % depuis le début de l'année, provoquant l'envol de 15 milliards d'euros de capitalisation. L’action a baissé de 75 à 52 euros en un an. Plusieurs arguments (2) sont évoqués pour justifier les changements : « Nous avons raisonné trop global. Pas assez local. Il nous faut prendre de la distance avec l'héritage pyramidal commun à tous les grands groupes au XXe siècle », « La pyramide n'est plus adaptée pour gérer la complexité du monde qui vient. » « La crise a montré que nous devions nous renforcer en vue d'autres sortes de Covid, dont on ne sait pas quelles formes ils vont prendre. » « Il faut réorganiser le groupe en le mettant à l'écoute de chaque marché en faisant en sorte que le siège soit là pour venir en appui de décisions prises au plus proche du terrain. »


Quelle est la décision ? Prenant en compte les demandes des actionnaires, la direction affiche l'objectif de hausser la marge opérationnelle courante au-dessus de 15% en 2022, contre 14% cette année et la rapprocher de 20%, étiage des principaux concurrents de Danone à «moyen terme». Pour atteindre cet objectif de marge opérationnelle, Danone a conçu un plan d’économies à court terme : il doit générer une économie récurrente de 1 milliard d’euros d’ici 2023, (l’année où il sera pleinement mis en œuvre). À moyen terme, une nouvelle structure organisationnelle (3) permettrait de gagner en efficience pour retrouver la croissance. A la clé : un élagage du portefeuille de produits et une suppression de 2.000 postes (sur environ 100.000 dans le monde) majoritairement dans les sièges. Le groupe reconnaît un retard d'adaptation dans un monde VICA. En lieu et place d’une organisation mondiale par métiers, la direction passe à une organisation par zones géographiques. Elle nomme 2 directeurs généraux qui seront responsables du compte de résultat de 2 macro-régions. D'un côté, Danone Amérique du Nord, de l'autre, Danone International y compris l'Europe et la France. Cette seconde entité sera désormais forte de 5 zones géographiques : Europe, Asie/Afrique/Moyen-Orient, Chine/Océanie, CIS/Turquie, et Amérique Latine. Cette restructuration se reflète dans un élargissement de son comité exécutif à 6 nouveaux membres pour représenter les nouvelles zones géographiques. Le groupe donne de l'autonomie à ses organisations locales chargées de concevoir des stratégies à leur niveau. Elles s’appuient sur leurs spécificités afin de gagner en capacité à servir les clients et les consommateurs. La mise en commun de plusieurs départements opérationnels comme fonctionnels sous le contrôle d'une région devrait accroître les synergies entre les marques et les catégories de produits, bénéficier d'un effet d'échelle qui permettrait un meilleur accès aux grands distributeurs. Aux Etats-Unis, par exemple, Evian et Happy Family (n°1 de l'alimentation bio pour enfants), bénéficieront du poids de Whitewave, (producteur de lait bio et végétal). Elle raccourcit aussi les échelles de décision. Cette stratégie (regagner de la croissance en redonnant du pouvoir au terrain) incite le groupe à changer de structure : « La pyramide n'est plus adaptée pour gérer la complexité du monde qui vient. » D’où une bascule de la structure par métiers du groupe (qu’on peut apparenter à une structure fonctionnelle) vers une structure décentralisée (qu’on peut apparenter à une structure divisionnelle).



Sur quelle logique pourrait se baser cette décision ? La structure fonctionnelle divise une entreprise en plusieurs fonctions : par exemple, tous les responsables marketing sont regroupés dans un département marketing, tous les responsables RH dans le département des ressources humaines, etc. L’avantage est que les collaborateurs peuvent accroître leur expertise. Des domaines de compétences et de responsabilités clairs évitent aussi la duplication d’activités : par exemple autant de services comptabilité que de différents départements. Toutefois, des obstacles surgissent entre les silos fonctionnels. En effet, plus un département s’enferre dans sa logique métier, moins sa capacité à communiquer et sa compréhension des autres départements est satisfaisante. À l'extrême, il en résulte un isolationnisme, qui se manifeste par une mise en avant, d’emblée, d’intérêts exclusifs, des non coopérations voire des conflits. A long terme, la productivité diminue et le coût de fonctionnement de l'ensemble s’accroît significativement. La structure fonctionnelle induit encore un degré élevé de standardisation et de formalisation mais limite le potentiel d’innovation. Or la direction de Danone souhaite « optimiser la qualité d'exécution et mieux travailler la chaîne entre l'innovation, la recherche, les relations avec les fournisseurs, le travail en usine jusqu'à la relation client. Soit des solutions de « bout en bout. » La structure fonctionnelle est plus que d’autres, une usine de transmission de données. Les niveaux intermédiaires de management se concentrent là dessus, au détriment de l’animation de leurs équipes. Ils prennent les directives et les informations du haut et en les précisant pour les niveaux inférieurs de la hiérarchie. Ils prennent des données détaillées sur le terrain (les mauvaises langues diront « sélectionnent »), les interprètent, les agrègent pour en faire des informations utilisables par les dirigeants. Ces processus descendants et ascendants du traitement de données et de reporting sur des dizaines d'indicateurs de performance sont chronophages. On peut tirer 2 conséquences : 1) Il n'est pas étonnant d'apprendre des suppressions de postes dans les sièges ; gageons qu'il s'agit de métiers agrégateurs de données qui deviennent moins utiles lorsque les décisions sont prises au plus près du terrain, 2) La structure fonctionnelle est bien adaptée à un environnement stable. Avec le monde VICA, on en est loin. Et ce qui caractérise la complexité, c'est qu'elle ne se réduit pas. La structure fonctionnelle trouve là ses limites.


Pourquoi choisir une structure divisionnelle ? Partons déjà du principe que Danone saura échapper au piège qui confond structure et réalité. Dans ce cas de figure, changer serait simplement changer les structures : modification des règles des procédures, redécoupage des responsabilités. On change de structure et on se dit que la réalité aura l’élégance de s’y conformer ;) Mais l'organisation réelle survit (ajoutant alors une couche supplémentaire de complexité) si les anciens départements continuent à détenir le pouvoir. Danone semble anticiper ce risque en donnant l'autorité nécessaire, matérialisée par la responsabilité de leurs résultats, aux leaders des zones géographiques. C'est la meilleure façon de changer la stratégie des acteurs : les anciens (leaders des entités métier en haut des précédents organigrammes) perdent du pouvoir quand les nouveaux en récupèrent de façon visible et concrète.

Par ailleurs, la structure divisionnelle est facile à comprendre par tous les acteurs. Chaque zone géographique se concentre sur son activité : développer son chiffre d'affaires, augmenter ses marges et satisfaire ses clients, sans se battre avec de puissants service supports du siège qui se retrouvent à son service. La zone travaille ainsi plus rapidement, de façon plus coordonnée. C'est une bonne façon de traiter la complexité de l'environnement par des règles relativement simples. La prise de décision est décentralisée ; il y a alors une réelle proximité avec le marché (ce que souhaite la direction de Danone). L’autonomie des zones géographiques contribue à motiver davantage les collaborateurs : la structure renforce le sentiment de responsabilité : chacun voit le résultat de ses efforts.


Quelles sont les conséquences sur le management ?

  • La structure divisionnelle cherche à simplifier les processus décisionnels et alléger le poids des hiérarchies. Pour forcer le trait, on peut dire que les managers quittent un contexte confortable car ils pouvaient se contenter d’une vision étroite et segmentée de la réalité, voire se permettrre d’exclure des coopérations avec les autres silos et s’exonérer de la responsabilité du résultat final. Mais aujourd'hui la complexité et le fait d'être face au client obligent à des coopérations multiples. La structure divisionnelle fait peser sur ces managers des contraintes qui les amènent à intégrer très tôt des dimensions contradictoires dans leurs actions. Dans la nouvelle configuration, ils sont proches du terrain où ces contradictions sont concrètes et les décisions plus faciles à arbitrer.

  • Pour mieux piloter une structure divisionnelle, un dirigeant renonce à l'illusion du contrôle. Responsable du compte de résultat d’une région, il y a de fortes chances qu'il mette la pression sur ses équipes pour « faire du chiffre ». C'est une façon pour lui de contrôler son succès… en apparence car c’est un raisonnement de court terme. Dans chaque zone géographique, sa première mission n’est plus de contrôler des individus, par des règles et des procédures mais de gérer un écosystème. Pour un meilleur contrôle global de la zone, la plupart des décisions doivent être prises dans les marchés locaux, à un niveau où le manager a des informations très précises, en prise directe avec les opérations. La raison n'est pas d'améliorer en premier lieu, la motivation mais bien la « managériabilité » de l'ensemble. Dans ce contexte, les managers déclinent les objectifs stratégiques de l'entreprise sur leur terrain. C’est à eux qu’incombe la définition de la mission et de son explication afin que leurs collaborateurs sachent dans quel sens décider. On peut y voir une analogie avec l’Auftragstaktik (de l’armée allemande depuis le XIX siècle) : le manager donne plus d'autonomie aux forces de terrain après s’être assuré que l'objectif stratégique a bien été compris. Du reste, la migration du pouvoir vers le bas ne se fait pas en direction d’un individu isolé et en excluant les managers : c’est toute la pyramide, y compris sa pointe, qui devient collégiale.

  • Dans la structure divisionnelle, le manager doit acquérir une mentalité d’entrepreneur. Il avait l’habitude d’appliquer des processus dans des cadres. A présent, on lui demande d’innover au quotidien, c’est-à-dire de proposer des idées, de prendre des risques et de co créer des solutions avec ses équipes, les clients, les consommateurs, sans nécessairement répliquer ce qu’il sait faire. L’appui de son propre hiérarchique est importante et l‘échec devrait être revalorisé. Le manager entrepreneur est un apprenant permanent : découvrir un nouveau marché suppose d’apprendre avant de gagner quoi que ce soit, expérimenter à petite échelle des solutions à corriger ou à abandonner, à re-tester, et enfin à adopter. Le pragmatisme devrait maintenant l’inciter à privilégier les solutions partielles dès lors qu’elles sont efficaces. On est loin de certaines réunions lunaires ou des spécialistes argumentent à n'en plus finir sur des détails. Pour concrétiser cet apprentissage, les dirigeants et les managers ont intérêt à développer des métriques qui le ciblent ; par exemple le nombre de pilotes qui sont en cours sur un marché donné, etc.

  • Le changement de structure sort enfin le manager de son bureau ou des salles de réunion et le remet au cœur de l'action, avec son équipe. Il doit révéler sa valeur ajoutée dans la contribution au résultat de l'entité et dans la résolution des problèmes du terrain … plutôt que se battre contre les contradictions inhérentes à la précédente structure par métiers. C'est bien plus difficile : en structure fonctionnelle, l'important c'est l'expertise ; en structure divisionnelle, l'important c'est le résultat. La pression de ce résultat incite le manager à s’appuyer sur ses points forts et ceux de ses collaborateurs. Or ceux des collaborateurs sont souvent inhibés par une répartition des rôles qui réduit chacun(e) à des cases dans un organigramme. Pour qu’ils s’en affranchissent, le manager doit créer un environnement bienveillant dans lequel le collaborateur aura le désir de s’exprimer ou de prendre les initiatives contribuant à cette valeur ajoutée. Pour certains managers, le changement de posture sera probablement conséquent.

Comme souvent, la stratégie est facile et l'exécution plus problématique. Au-delà des annonces, le nombre de leviers à actionner et de chausse-trapes à éviter est conséquent. Est-ce que Danone réussira ? On ne peut, bien évidemment que le souhaiter.


(1) Une double logique organisationnelle : c'est par exemple le cas avec une structure classique fonctionnelle à laquelle on ajoute une structure matricielle. C'est-à-dire que l'on rajoute de la complication à la complexité. Bon appétit…

(2) Source : Emmanuel Faber, PDG dans divers papiers des Echos et communiqués du groupe Danone.

(3) La structure organisationnelle d'une entreprise, c’est l'ensemble de ses règles de répartition de l'autorité, des tâches, de contrôle et de coordination. La structure rend possible l'application des processus de management : elle crée un cadre à travers lequel les activités de l’entreprise peuvent être planifiées, organisées, dirigées et contrôlées. La structure impacte non seulement la productivité et l'efficacité économique mais encore le moral et la satisfaction au travail des collaborateurs.



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