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Composer l'équipe projet : du "casting de rêve" à la réalité

Photo du rédacteur: Erwan HernotErwan Hernot

La réussite d’un projet ne repose pas uniquement sur une excellente idée, une méthodologie éprouvée ou des outils techniques performants : elle dépend en grande partie de la qualité et de la cohésion de l’équipe mobilisée. Or, créer une équipe projet revient à tenter de résoudre une équation complexe, mêlant compétences techniques, affinités de personnalité, valeurs partagées, disponibilité des ressources humaines, contraintes organisationnelles et degré de contrôle dont dispose le chef de projet sur le processus de recrutement. Lorsqu’il s’agit de projets stratégiques, la composition de l’équipe revêt un caractère encore plus délicat. Idéalement, le chef de projet devrait sélectionner ses équipiers sur la base de ces critères, de manière à créer une alchimie optimale. Pourtant, la réalité du terrain s’avère bien plus nuancée, voire frustrante car le chef de projet n’a pas toujours le dernier mot sur le choix des collaborateurs. Les managers métiers, détenteurs des ressources, peuvent imposer leurs propres logiques, mettant à disposition du projet des profils qui ne correspondent pas forcément au schéma idéal. Le chef de projet – chef d’orchestre – devrait pouvoir décider qui joue dans son ensemble, quelles compétences et personnalités sont convoquées pour co-écrire et exécuter la partition. Cette prérogative est fondamentale à plusieurs égards :


  • Le chef de projet est, in fine, le principal responsable de la réussite ou de l’échec du projet. C’est vers lui que convergent les attentes du sponsor, c’est sur lui que reposent la cohérence et la synergie des travaux. S’il est responsable, il est donc logique qu’il puisse choisir les compétences et les personnalités en adéquation avec les objectifs. Difficile de lui faire porter toute cette responsabilité sans lui en donner les moyens ? Ce serait oublier la capacité schizophrène des entreprises ;)

  • L’alchimie de l’équipe. N'importe quel entraîneur de sport collectif vous le dira : la composition de l’équipe n’est pas qu’une simple juxtaposition de compétences techniques. C’est une alchimie subtile qui dépend de la complémentarité des profils, de l’équilibre entre esprits créatifs et méthodiques, entre caractères affirmés et tempéraments conciliants. Le chef de projet, futur leader, est - normalement - mieux placé pour savoir quelle dynamique il veut insuffler et par conséquent, choisir les équipiers susceptibles de s’engager pleinement.

  • La cohérence avec la vision du projet : un projet a besoin d’une feuille de route claire, de valeurs partagées, de règles éthiques et de modes opératoires bien définis. Le chef de projet, garant de cette vision, devrait avoir la capacité de sélectionner les personnes qui y adhèreront, sans créer de dissonance interne, susceptible de miner la performance.


Or, dans la réalité, ce pouvoir de décision est rarement entre les mains du chef de projet. Les structures organisationnelles qui privilégient le pouvoir du chef de projet existent mais elles sont plus rarement utilisées : voir le tableau ci dessous.


Le pouvoir du chef de projet selon le type de structure dans lequel il est
Selon la structure, le pouvoir du chef de projet varie considérablement

Plus le projet est stratégique, complexe ou visible, plus la composition de l’équipe est un enjeu critique. Les grandes initiatives, qu’il s’agisse de la mise en place d’un nouveau système d’information, d’une refonte organisationnelle d’envergure ou du développement d’un produit innovant à haute valeur ajoutée, impliquent des contraintes techniques mais aussi organisationnelles, managériales. Un projet majeur nécessite des compétences variées : experts métier, techniciens, ingénieurs, spécialistes en communication, en gestion du changement, etc. De plus, les tâches sont souvent très interconnectées. Une faiblesse dans un domaine (par exemple une compétence technique mal maîtrisée) peut avoir des répercussions sur d’autres volets du projet. Le choix des membres de l’équipe a donc un impact démultiplié sur la qualité globale du travail. Ce type de projets dure parfois des mois, voire des années. La cohésion de l’équipe doit être durable. Les incompatibilités de personnalité, la difficulté à communiquer ou à collaborer sont forcément abordées (on ne peut pas les ignorer) si l’équipe doit rester stable dans le temps. Un expert brillant mais incapable de s’entendre avec les autres va créer des tensions à long terme, sapant progressivement l’efficacité globale. Enfin, plus un projet est important, plus il est scruté par la direction générale, les sponsors, voire les partenaires externes. La composition de l’équipe doit refléter un certain professionnalisme et une capacité à tenir la distance. Des profils mal adaptés seront rapidement repérés, entraînant des questionnements ou des réorganisations dommageables à la dynamique du projet.


Projetons nous dans un modèle idéal où le chef de projet a la main sur les recrutements. Aidé par des spécialistes et des parties prenantes au projet, comment procède-t-il ? Il dresse d'abord une cartographie des compétences nécessaires : savoirs, savoir-faire et savoir-être. Il définit le nombre de collaborateurs requis, les spécialités indispensables (développeurs, analystes métier, etc.) et établit une liste de priorités. Chaque rôle clé doit être pourvu par un acteur compétent, afin que le projet fonctionne comme une machine bien huilée.Si le projet est de courte durée, il peut se permettre des profils plus « pointus » ou des stars individualistes car l’effort collectif sera intense mais bref. En revanche, pour un projet long, il cherchera des collaborateurs capables de travailler ensemble dans le temps, de préserver une bonne ambiance et de se soutenir mutuellement. Au-delà de la compétence technique, le chef de projet tient compte de l’aspect psychologique. Il sélectionne des personnes capables de s’adapter, d’écouter, de communiquer efficacement, de gérer les conflits de manière constructive. Il cherche un équilibre entre différents types de personnalités – des leaders, des suiveurs, des médiateurs, des créatifs, des méthodiques – afin de créer une synergie plus riche que la somme des individus. Ce qui va bien sans le dire, va mieux en le disant : le chef de projet explique clairement la mission de l’équipe, définit une charte commune de valeurs (respect, honnêteté, solidarité) et fixe des règles de fonctionnement (processus de prise de décision, modalités de reporting, gestion des conflits). Il recrute donc des profils qui peuvent adhérer à ces valeurs et respecter ces règles, s’assurant ainsi que tout le monde « rame dans la même direction ». Idéalement toujours, le chef de projet veille à composer une équipe diversifiée, afin d’éviter la pensée unique et de stimuler la créativité. Mais il fait en sorte que cette diversité ne soit pas source de trop grandes divergences, rendant les consensus impossibles. C’est une question de dosage subtil : assez de différences pour être complémentaire, pas trop pour éviter les fractures internes.


Souvent, l’organisation du travail confie la gestion des ressources humaines aux managers métiers. Ce sont eux qui décident quel collaborateur ils « délèguent » aux projets. Or, ils ont leurs propres contraintes : un manager métier aura tendance à conserver ses meilleurs éléments pour les tâches stratégiques de son département plutôt que de les libérer pour un projet transverse. Il pourra donc proposer des profils moins expérimentés ou moins spécialisés que ceux, initialement souhaités par le chef de projet. L’affectation aux projets est utilisée comme variable d’ajustement pour placer certains collaborateurs en transition ou pour répondre à des logiques politiques internes (par exemple, « tester » un nouveau venu dans une équipe projet pour voir s’il s’adapte, déléguer un collaborateur que l’on souhaite éloigner temporairement de son équipe d’origine, etc.) Le chef de projet sait de quoi il a besoin sur le terrain mais le manager métier peut avoir une vision plus théorique et moins précise des impératifs du projet. Le chef de projet subit plus qu’il ne choisit. Cela complique considérablement la création d’une équipe projet cohérente, aboutissant à des compromis et une moindre efficacité.


À ce stade, on peut se poser 2 questions : 1) Comment rapprocher l'idéal et la réalité ? 2) Comment faire face aux compétences de sélection limitées de certains chefs de projet ? Le chef de projet peut tenter de convaincre les responsables hiérarchiques qui détiennent les ressources. Pour cela, il argumente sur les bénéfices pour l’entreprise : un projet mieux pourvu avec les profils adéquats sera livré plus rapidement, avec une meilleure qualité. Pas sûr que ce soit suffisant : les projets se sont multipliés et tous sont évidemment prioritaires vu que le pilotage au niveau d'un PMO (1) ou d'un portefeuille est souvent inexistant. Il peut également s’efforcer d’anticiper les compétences nécessaires, en les communiquant très tôt aux managers, afin de leur donner le temps de libérer les bonnes ressources. Ça suppose que lui même soit "planifié" assez t^to sur le projet... L’entreprise peut encore formaliser des règles (pas des obligations) concernant la composition des équipes projet. Par exemple, en instituant une règle selon laquelle le chef de projet doit être consulté avant toute affectation. Ou en mettant en place un processus interne de négociation qui reconnaît le rôle clé du chef de projet dans le choix de ses équipiers. Ça peut aider à imposer certaines exigences minimales. Lorsque le profil ne correspond pas parfaitement à l’idéal, la formation, le coaching ou le mentorat peuvent aider. Le chef de projet a toutefois intérêt à s'en ouvrir au sponsor et au commanditaire : le projet pourrait prendre un certain retard au départ. Par ailleurs, un chef de projet à l'étoffe de leader, même s'il n'a pas choisi les membres de l’équipe, peut les embarquer en leur présentant clairement les valeurs, les objectifs, les règles du jeu. Si le chef de projet sait qu’il n’a pas la main sur l’affectation des ressources, il doit intégrer cette contrainte dans la gestion des risques. Il faut planifier le projet en tenant compte du fait que certaines compétences pourraient ne pas être disponibles, prévoir des marges de manœuvre, adapter le périmètre ou le calendrier en conséquence. Cette approche évite d’établir un plan de bataille irréaliste, qui échouera faute d’équipe adéquate.


Enfin, le chef de projet lui-même peut ne pas être compétent pour composer son équipe. Par ex. il maîtrise la dimension technique du projet, mais moins la dimension humaine. Sans formation en psychologie du travail, sans expérience en recrutement, il risque de s’appuyer sur des stéréotypes, de privilégier des clones de lui-même, ou de négliger la compatibilité entre les personnalités. Dans ce cas, même s’il obtenait le pouvoir de décision, il ne parviendrait pas à tirer le meilleur parti de cette liberté. Ici la formation est clé. L’entreprise doit accompagner les chefs de projet, leur offrir des outils (tests de personnalité, grilles de sélection basées sur les compétences comportementales et relationnelles, ateliers de mise en situation) et des conseils d’experts internes ou consultants. Le développement des compétences managériales, de leadership et de sélection des talents est indispensable afin que les chefs de projet sachent mieux argumenter leurs choix, qu’ils identifient plus finement les enjeux humains et qu’ils deviennent ainsi plus crédibles aux yeux des managers métiers. Cet effort fait partie intégrante de la professionnalisation du rôle de chef de projet.


(1) Un PMO (Project Management Office) standardise les pratiques de gestion de projet, améliore leur cohérence et leur efficacité, et fournit un soutien stratégique, tactique et opérationnel aux équipes projet. Je parle ici de PMO stratégique, qui aligne les projets avec la stratégie globale de l’entreprise et pilote le portefeuille de projets.


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