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Photo du rédacteurErwan Hernot

Celui qui fait "tourner la boutique" ce n'est pas l'IA mais le manager de proximité...


Un manager de proximité entouré de son équipe
Manager de proximité : une connaissance intime de l'équipe

Les managers de proximité jouent un rôle charnière entre la théorie stratégique élaborée par les directions générales et la réalité du terrain, où les salariés évoluent au quotidien. Ils ont joué un rôle de support aux équipes durant les confinements. "Ils ont tenu la maison" comme me le confiait un dirigeant. Certes, leur rôle est central dans la gestion des organisations. On est toutefois prêt à changer d'avis avec l'avancée de plus en plus forte de l'IA dans les systèmes informatiques des entreprises. Or, si on souhaite une organisation performante, c'est bien du coté du manager de proximité qu'il faut regarder. C'est ce que rappelle ce papier.


Par définition, plus un système est complexe, moins nous pouvons le contrôler. Et les entreprises sont complexes. Heureusement, il existe une solution : la délégation. Les contrôleurs aériens ne gèrent pas les avions. Ils laissent les pilotes s’en charger. Les pilotes n’exercent pratiquement aucun contrôle eux-mêmes (1). Une grande partie de ce contrôle est déléguée à des systèmes automatisés. Le (bon) dirigeant délègue évidemment la plupart des activités aux membres de l’équipe. Il délègue encore la prise de décision. Cette délégation - demain épaulée par l'IA - lui permet de partiellement contrôler ce système complexe. Il transfère les décisions et les responsabilités à un niveau où un acteur dispose d’informations plus détaillées et plus précises. Si on force un peu le trait, on peut dire que le dirigeant réalise qu’il doit essayer de prendre le moins de décisions possible. Pour un meilleur contrôle global d’un système complexe, la plupart des décisions doivent être prises dans les sous-systèmes c'est à dire sur le terrain, là où les managers sont en proximité avec leurs équipes et confrontés à la réalité quotidienne. Si on veut être plus brutal, disons qu'ils se prennent cette réalité en pleine figure. Pour utiliser une expression macronienne ;) ils sont à portée de baffes. Ils doivent ajuster et adapter les stratégies conçues au sommet de l'organisation pour qu'elles puissent être mises en œuvre efficacement. Sans cette flexibilité, ces directives stratégiques risquent de rester de simples concepts abstraits, déconnectés des capacités et des réalités opérationnelles souvent contraintes par l'ambiguïté et les imprévus.


Dans un environnement où l’autonomie et l'interprétation des règles sont cruciales, le manager de proximité joue un rôle clé en naviguant dans les zones grises là où l'IA ne peut pas beaucoup l'aider. Les directives générales ne couvrent pas toutes les nuances et spécificités du terrain. Les managers de proximité sont ceux qui, en appliquant leur jugement, rendent les décisions stratégiques exécutables. Prenons l'exemple d'une entreprise de distribution qui met en place une nouvelle stratégie de réduction des coûts, incluant une directive stricte sur l'optimisation des stocks. La direction générale exige que tous les entrepôts suivent cette politique pour éviter les surcharges et réduire les coûts d'inventaire. Cependant, cette directive est générale et ne tient pas compte des spécificités de chaque entrepôt ni des variations imprévisibles de la demande locale. Un manager, responsable d’un entrepôt en zone urbaine, constate rapidement que la mise en œuvre stricte de cette politique pourrait entraîner des ruptures de stock fréquentes, car la demande dans sa région est très fluctuante en raison d'événements saisonniers et de comportements d'achat imprévisibles. Appliquer à la lettre les directives de réduction des stocks mettrait l’entrepôt dans une situation où il ne pourrait plus répondre rapidement aux commandes des clients, ce qui pourrait provoquer une baisse de satisfaction et de fidélisation, contrecarrant finalement les objectifs globaux de l'entreprise. Au lieu de suivre aveuglément les règles, le manager décide d'adopter une approche flexible. Il garde un niveau de stock un peu plus élevé que ce qui est prescrit par la stratégie centrale, tout en maintenant un suivi rigoureux pour minimiser les excès inutiles. Il justifie ce choix auprès de la direction en expliquant que cela permet de mieux répondre aux pics de demande sans compromettre les économies globales à long terme. Grâce à son jugement et sa capacité à adapter la stratégie à la réalité du terrain, ce manager réussit à équilibrer les objectifs de réduction des coûts avec la satisfaction des clients. Il gère les imprévus avec pertinence, tout en évitant les risques que l’application stricte des directives aurait pu engendrer. Il prouve ainsi que son autonomie est cruciale pour le succès de l'entreprise.


Le manager de proximité agit comme médiateur entre le cadre rigide des règles et la nécessité d'autonomie opérationnelle. Il sait qu'une application littérale des directives, comme dans une "grève du zèle," peut paralyser l'organisation. Son rôle consiste à favoriser une interprétation réaliste des règles, permettant ainsi aux équipes d'atteindre leurs objectifs tout en restant alignées avec les attentes de la direction. Imaginons une administration publique (probablement pas en France) où une directive nationale impose une nouvelle procédure stricte pour traiter les dossiers des citoyens, visant à renforcer la conformité aux réglementations et à éviter les erreurs administratives. Cette nouvelle procédure, très détaillée, impose de suivre chaque étape à la lettre, avec des délais stricts et une grande formalité dans les vérifications. Si elle est appliquée de manière rigide, elle risque d'engendrer des retards considérables dans le traitement des demandes, car elle ne prend pas en compte les cas particuliers et la diversité des situations rencontrées au quotidien par les agents. Un manager de proximité, à la tête d'une équipe qui traite ces dossiers dans un bureau local, se rend rapidement compte que certains aspects de la directive ne sont pas réalistes dans le contexte de leur service. Par exemple, certains dossiers complexes demandent plus de flexibilité pour être traités efficacement. L'application stricte des étapes imposées pourrait non seulement retarder le traitement, mais aussi nuire à la qualité du service rendu aux citoyens. Plutôt que d’appliquer aveuglément la procédure où chaque agent suit chaque règle au pied de la lettre pour être conforme, le manager choisit d’adopter une approche plus souple. Il adapte la mise en œuvre de la procédure en permettant aux agents de terrain d'exercer un jugement professionnel dans des situations spécifiques, tout en restant globalement aligné avec les objectifs de la directive. Par exemple, il encourage ses équipes à prioriser certains dossiers urgents ou à adapter la vérification selon la complexité du cas, en faisant preuve de discernement. En parallèle, ce manager fait remonter ces ajustements au niveau hiérarchique supérieur, en expliquant les raisons de ces interprétations et en suggérant des ajustements à la directive nationale pour mieux coller à la réalité du terrain. Il joue ainsi un rôle de médiateur, traduisant les directives en actions praticables, tout en garantissant que les objectifs principaux de conformité et de qualité du service sont respectés. Grâce à son intervention, les agents peuvent travailler de manière plus efficace, les dossiers sont traités dans des délais raisonnables, et la qualité du service rendu aux citoyens est maintenue. Le manager a ainsi réussi à traduire les règles rigides en actions pragmatiques et à protéger l’autonomie nécessaire à ses équipes, évitant ainsi les blocages potentiels qu’une application littérale aurait causés. Tandis que les dirigeants définissent des priorités stratégiques à long terme, les managers de terrain sont responsables de la mise en œuvre à court terme, ce qui implique souvent de prendre des décisions tactiques rapides en fonction des circonstances. Leur capacité à ajuster les priorités en temps réel, en tenant compte des contraintes du terrain, est cruciale pour assurer la réussite des projets et la fluidité des opérations.


Sans le dire mais à coups ( et coûts ;) de processus, certaines organisations cherchent à contrôler ou limiter les marges de manœuvre des salariés, le manager de proximité constitue alors un rempart de sagesse opérationnelle. Il sait qu'une certaine autonomie est nécessaire pour assurer la fluidité du travail. Il permet aux équipes de se créer des marges de manoeuvre officieuses qui sont essentielles au bon fonctionnement de l'organisation. Ces espaces d'autonomie permettent aux salariés d’adapter leur travail aux conditions réelles, tout en préservant l’alignement avec les objectifs globaux dont le manager reste le gardien. Il facilite ainsi une satisfaction du travail accompli. En étant au plus près des collaborateurs, il possède cette capacité unique à leur donner des arguments pour se motiver voire s' engager. Sa connaissance fine des dynamiques relationnelles et des besoins individuels lui permet de mobiliser les ressources humaines de manière plus personnalisée, favorisant ainsi l’adhésion à la stratégie et une meilleure performance globale. Le manager de proximité talentueux et bien formé est un atout qu'il ne faut pas négliger.


(1) Cet exemple est de Jurgen Appelo, Management 3.0, 2010


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